Les recommandations de la Haute Autorité de Santé en France de 2010 sur le dépistage organisé du cancer du col de l’utérus préconisent la réalisation d’un frottis cervico-utérin tous les 3 ans (après deux frottis normaux à un an d’intervalle) entre 25 et 65 ans1. L’examen gynécologique (EG), hors frottis cervico-utérin, n’a fait l’objet d’aucune recommandation. Des publications ont tendance à remettre en question l’EG de dépistage chez la femme asymptomatique en dehors du frottis cervico-utérin2–4. Cependant les jeunes filles peuvent parfois avoir besoin d’un premier EG. Si des publications ont analysé les craintes liées à l’EG, peu ont évalué les attentes des jeunes femmes concernant cet examen. Cette notion était déjà d’actualité dans les années 1990, dans un article de Louise Charbonneau stipulant qu’ « il est étonnant de constater que pratiquement toutes les adolescentes qui consultent n’ont aucune idée du déroulement de l’EG, de sa durée et des structures impliquées »5. Il est démontré que le bon vécu du premier EG chez la jeune fille a une influence considérable sur le futur suivi gynécologique6,7.
Notre recherche exploratoire avait pour but d’améliorer les pratiques des professionnels de santé en se basant sur les attentes des jeunes patientes. Tôt ou tard les jeunes filles auront à vivre l’EG (frottis cervico-utérin, suivi de grossesse, symptômes infectieux, etc.) et en partant de leurs attentes nous espérons pouvoir améliorer le vécu de cet examen. Nous n’avons retrouvé aucune étude explorant ce domaine précis.
MÉTHODES
Nous avons réalisé une étude qualitative, par entrevues individuelles semi-dirigés auprès de 16 jeunes filles âgées de 15 à 19 ans, n’ayant jamais eu d’EG, en Midi-Pyrénées (France) et en Auvergne (France) entre le 30 mars et le 1er octobre 2014. Les entrevues individuelles se justifiaient par le caractère intime du sujet.
Le mode de recrutement de l’échantillon a été double : sélection des jeunes filles par deux chercheurs par la technique boule-de-neige et sélection par la technique d’échantillonnage ciblé jusqu’à l’obtention de la saturation des données tout en cherchant la variation maximale dans les profils des sujets. Lors de la sélection, nous avons demandé si un EG avait été fait. Nous n’avons pas inclus de jeunes filles ayant déjà eu un EG. Les entrevues ont été réalisées, selon le choix des jeunes filles, à leur domicile, au domicile des chercheuses ou en cabinets médicaux.
Un guide d’entrevue a été élaboré par trois chercheurs (A.F., M.D., E.F.) et a fait l’objet d’adaptations mineures suite aux premières entrevues. Les questions ouvertes portaient sur les sources d’informations, les connaissances, les critères de bon déroulement et l’imaginaire autour de l’EG.
Les entrevues ont été réalisées par deux chercheurs femmes médecins (M.D., E.F.) et entièrement enregistrées sur appareil audionumérique après l’obtention d’un consentement écrit des jeunes filles majeures et des parents des mineures, sous couvert d’anonymat. La commission d’éthique du département de médecine générale de Midi-Pyrénées a donné son accord le 25 mars 2014. Les données anonymisées peuvent être consultées auprès des auteurs (A.F., E.F.).
L’analyse des données enregistrées a commencé par la transcription des enregistrements audionumériques de façon intégrale par les chercheurs. Le verbatim a fait l’objet d’une analyse longitudinale immédiate rassemblant le contexte (notes des chercheurs) et les idées principales de l’entretien. Une analyse transversale thématique (à l’aide d’un tableau Microsoft Excel) a été réalisée par un séquençage et un codage des données par les deux chercheurs de façon indépendante. Une triangulation des données a été effectuée par les chercheurs qui ont mis en commun leurs codages indépendants, entretien après entretien. Les catégories obtenues ont été validées par trois chercheurs (A.F., M.D., E.F.).
RÉSULTATS
Dix-sept jeunes filles ont été contactées pour leurs profils différents et 16 entretiens ont été réalisés, une jeune fille n’ayant pas obtenu le consentement parental. Les jeunes filles avaient entre 15 et 19 ans (âge moyen 16 ans et 7 mois). Les entrevues ont duré 23 minutes en moyenne (extrêmes de 17 à 40 minutes). Sept jeunes filles avaient eu des rapports sexuels. La saturation des données a été obtenue lors de la 14ème entrevue, confirmée par les 15ème et 16ème entrevues en recherchant la variation maximale dans les profils (Tableau 1).
L’EG imaginé par les jeunes filles
Toutes les jeunes filles ont reconnu l’existence d’une carence au niveau des informations fournies sur l’EG, tant au niveau médical qu’aux niveaux scolaire et familiale. Les méconnaissances concernaient les différentes étapes de l’EG : du frottis cervico-utérin au toucher vaginal et de l’examen sénologique aux différents outils utilisés au cours de l’examen : « Euh, pff je n’en ai aucune idée … ben franchement, je n’en ai aucune idée. Euh, pour moi, il ne s’occupe que du bas » (entretien 9). Les indications justifiant la réalisation de l’EG étaient, en grande partie, inconnues chez les jeunes filles : « La première fois, je ne saurai pas trop pourquoi j’y vais » (entretien 1), tout comme l’utilité réelle de l’EG et elles ignoraient le moment adéquat pour la réalisation de ce dernier : « Exactement, je sais pas trop à quoi il sert » (entretien 16). Ce monde inconnu que représentait l’EG entretenait l’imaginaire des jeunes filles laissant émerger la notion d’obligation de l’examen. Elles estimaient qu’elles n’avaient pas d’autres choix que de devoir vivre cet examen, devant ainsi l’accepter par fatalité : « Il faut le faire donc je vais le faire » (entretien 5). Certaines situations rendaient cette obligation plus évidente, notamment en cas de changement de partenaires sexuels : « Comme elle, elle change assez souvent de partenaires donc elle, elle a dit faut quand même que j’y aille » (entretien 12), ou bien lors d’un désir de grossesse : « Ou même pour après, quand on veut avoir des enfants, pour voir si tout se passe bien, il faut bien y passer » (entretien 12). Certaines des jeunes filles percevaient l’EG comme un semblant de rite initiatique dans la vie d’une jeune fille. L’examen serait ressenti comme un moment de transition entre l’adolescence (et plus globalement entre l’enfance) et l’âge adulte au cours duquel la féminité apparaitrait : « Ben, ben, ben parce que finalement, ça se rapporte, je sais pas, ça se rapporte à la féminité » (entretien 3).
Les conditions pour un bon vécu de l’EG
La présence d’une tierce personne.
Certaines jeunes filles souhaiteraient être accompagnées au cours de l’EG par une personne (mère, amie, petit-copain) de leur choix afin d’être rassurées : « Donc ma mère elle va me parler, et en me parlant, elle me rassure » (entretien 4). Pour d’autres, l’accompagnant ne devrait pas franchir les portes de la salle d’attente. D’autres ne souhaitaient pas être accompagnées d’un membre de leur entourage lors de leur premier EG. Unanimement les jeunes filles ne souhaiteraient pas que le professionnel examinateur soit assisté d’une tierce personne appartenant au corps médical lors de l’EG : « Une personne c’est déjà assez …. C’est déjà une personne de trop, donc s’il y en a deux en plus » (entretien 8).
La relation examinateur-patiente.
Les jeunes filles souhaiteraient entretenir avec la personne qui réalise leur premier EG une relation sincère, durable dans le temps, confidentielle, « amicale » et de qualité. Les jeunes filles décrivaient des conditions nécessaires à l’acceptation de l’examen : elles ne se laisseraient pas examiner si le professionnel examinateur n’avait pas une attitude adéquate à leur égard : « S’il me fixe alors là, il aura rien du tout … et si il me parle pas, il aura rien du tout » (entretien 4).
Les caractéristiques de la salle d’examen.
Elles souhaiteraient se déshabiller dans un espace dédié (paravent ou cabine de déshabillage), hors du regard du praticien : « Non, non, ben, j’imagine qu’il doit y avoir quelque chose pour se déshabiller, un paravent peut être » (entretien 3). Cette pièce devrait être à l’abri de tout regard extérieur : « Que vraiment ça soit isolé, enfin qu’elle puisse, pour que personne, personne puisse, puisse rentrer dans la pièce » (entretien 10). Elles souhaiteraient une pièce chaleureuse, propre, confortable et rangée dont les murs ne seraient pas blancs : « Propre et bien rangé …. S’il commence à chercher des choses partout ça va être inquiétant » (entretien 11).
L’information préalable et le sentiment d’être prête.
Les jeunes filles souhaiteraient se sentir prêtes au moment de leur premier EG : « Si on se sent pas prêt, on va être mal à l’aise et après, on va en avoir un mauvais souvenir, on va se dire ah, ça s’est plutôt passé comme ça, alors que des fois, pas du tout, donc euh, c’est bien d’y être préparé … mentalement [rires] » (entretien 11). Elles aimeraient avoir reçu des informations avant cet examen : « En fait, je préfèrerais qu’on m’explique avant, en fait, ça serait mieux comme cela, je saurai à quoi m’attendre pendant » (entretien 1).
DISCUSSION
L’étude a mis en évidence un manque de connaissances des jeunes filles sur l’EG, élément initiateur du développement de l’imaginaire des jeunes filles sur cet examen, une tendance dont Charbonneau avait pris note en 19915. Si les jeunes filles rapportaient qu’elles avaient eu des séances d’éducation à la sexualité au cours de leur scolarité, peu de détails sur l’EG avaient été révélés. La perception d’obligation, liée au manque de connaissances, ne favoriserait pas le bon déroulement de l’EG. Mêmes chez des jeunes femmes qui avaient déjà vécu un EG, la perception d’obligation était palpable. La remise en cause du toucher vaginal2 et même de l’EG chez les femmes asymptomatiques, en dehors des périodes de grossesse et en dehors du dépistage du cancer du col de l’utérus3 rendrait obsolète cette perception d’obligation.
Tous les professionnels de santé amenés à côtoyer les adolescentes pourraient se mobiliser afin de proposer une consultation d’information préalable à l’EG. Elle reprendrait toutes les étapes de l’examen, en utilisant des planches anatomiques, en montrant les différents instruments utilisés et leur mode de fonctionnement et en révélant les véritables indications de l’EG. Elle constituerait un espace de dialogue où les adolescentes pourraient exprimer leurs craintes et leurs représentations et prendre charge de leur santé. La jeune fille, grâce à l’EG, semblerait acquérir une certaine autonomie et le curseur se déplacerait lentement vers l’âge adulte. Le premier EG comporterait une connotation symbolique majeure et constituerait une sorte de rite d’initiation dans une société médicalisée dans laquelle la jeune fille serait acceptée comme une adulte6.
La présence d’un membre de l’entourage de la jeune fille devrait être permise s’il est bien rappelé à la consultante qu’elle a le droit d’être reçue seule si elle le souhaite8–10. Les jeunes filles de notre étude ne souhaitaient pas la présence d’un tiers qu’elles ne connaitraient pas et qui appartiendrait à l’équipe médicale, personne désignée chaperon. Plusieurs publications recommandent de proposer aux femmes venant consulter la présence d’un chaperon4,6,11; une publication suggère de le proposer systématiquement à chaque femme venant consulter un professionnel examinateur de genre masculin2.
Une étude qualitative réalisée auprès de jeunes femmes suédoises âgées de 18 à 25 ans suite à un EG a mis en évidence un sentiment de perte de contrôle des femmes du fait de l’exposition de leurs organes génitaux à une personne étrangère, ce qui les place dans une situation de vulnérabilité12. Si le praticien ne donnait pas des informations à sa patiente tout au long de l’EG, celle-ci douterait de ses intentions, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un homme. C’est la relation qui va se tisser avec le praticien qui permet aux femmes de reprendre le contrôle et de ne pas subir l’EG. Cette prise en charge (empowerment) illustre le besoin des jeunes femmes venant se faire examiner d’avoir un rôle actif dans la consultation. Des auteurs ont recommandé d’informer les jeunes femmes de la possibilité de mettre fin à cet examen si elles le jugent trop inconfortable, et ceci tout au long de l’EG et même avant de le débuter4,9,10,12. Les jeunes filles revendiquaient une relation de confiance basée sur des conditions d’acceptation bien définies par elles. Elles désiraient être dans une relation de parité, et non pas dans une relation paternaliste où celui qui sait, à savoir le professionnel examinateur, prend l’ascendant sur les jeunes filles qui ignorent tout de ce qui va se passer. Cette notion illustre l’importance de la qualité de l’échange entre le praticien et sa patiente.
Les jeunes filles ont été nombreuses à faire part de leur souhait de se déshabiller dans une pièce séparée, ou au moins derrière un paravent. Peu d’études abordent les caractéristiques de la salle d’examen idéale selon les jeunes femmes, alors que cela semblait revêtir une grande importance au cours des entretiens, les jeunes filles souhaitant une pièce décorée, chaleureuse, dont les murs ne seraient pas blancs, bien rangée et propre.
Limites de l’étude
En ce qui concerne les forces de l’étude, les deux chercheuses se sont formées à l’entrevue semi-dirigée. Elles ont fait un travail de réflexivité sur leur rôle dans l’étude, étant médecins, en tentant de se défaire de leurs « a priori ». Elles ont été formées à la méthode qualitative et encadrées par un troisième chercheur expérimenté en recherche qualitative qui a validé toutes les étapes. En ce qui concerne les limites de l’étude, les jeunes filles ayant accepté l’entretien étaient probablement intéressées par le sujet. Les adolescentes mineures devant recueillir le consentement écrit de leurs parents, il est possible que seules celles dont les parents étaient à l’aise avec le sujet aient été recrutées. Il y a eu une probable perte d’informations inhérente à la retranscription et au codage, ceci étant limité par le double codage réalisé par deux chercheuses de façon indépendante.
Conclusion
De plus en plus la littérature suggère de ne faire un EG que dans un contexte de pathologies. Dans ce contexte précis, les pratiques des professionnels de santé amenés à recevoir des adolescentes pour un premier EG devraient tenir compte des critères de bon déroulement définis par les jeunes filles afin de faciliter celui-ci et d’en améliorer le vécu. Il pourrait être intéressant de comparer les constatations de cette recherche française à la culture des patientes et des professionnels de santé canadiens.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Peu de recherches ont évalué les attentes des jeunes femmes concernant le premier examen gynécologique (EG).
Cette étude a exploré les représentations du premier EG chez les jeunes filles n’ayant jamais eu cet examen. Ces jeunes filles manquaient de connaissances sur l’EG, en particulier, son déroulement, ses indications et son bien-fondé. Cette méconnaissance générale entretenait l’imaginaire autour de cet examen perçu comme obligatoire. Certaines des jeunes filles percevaient cet examen comme un semblant de rite initiatique dans la vie d’une jeune fille.
L’étude décrit les conditions précises au bon déroulement de cet examen, exprimées par les jeunes filles : de l’information adéquate, la possibilité d’être accompagnée par une tierce personne proche pendant l’EG, une bonne relation professionnelle examinateur-patient et une salle d’examen propre et bien rangée comportant un endroit de déshabillage qui respecte l’intimité de la jeune femme.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
Collaborateurs
Dre Freyens, Dre Dejeanne et Dre Fabre ont contribué à la conception et à l’élaboration de l’étude, et à la collecte, à l’analyse et à l’interprétation des données. Tous les auteurs ont collaboré à l’écriture du manuscrit et à sa relecture aux fins de présentation.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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