
Nous devons oser penser à « l’impensable » parce que, lorsque se produit l’impensable, la réflexion s’arrête et l’action devient irréfléchie.
James William Fulbright (traduction libre)
Au cours des 8 dernières années, j’ai présenté des conférences et des ateliers sur la rédaction destinée à la publication dans des revues médicales à des médecins de famille et à d’autres professionnels de la santé de tous les coins du pays. Ce faisant, j’ai appris, entre autres, que pour la plupart des médecins de famille, y compris ceux qui, comme moi, sont affiliés à une université, les revues médicales demeurent une mystérieuse « boîte noire ».
Peu après ma nomination à titre de rédacteur scientifique du Médecin de famille canadien (MFC), en 2009, j’ai lu The Trouble with Medical Journals1 par l’ancien rédacteur en chef du BMJ, Richard Smith. J’aurais probablement dû lire ce livre avant d’accepter ce poste au MFC, car le Dr Smith y a soigneusement et systématiquement (mais aussi heureusement et humoristiquement) catalogué et expliqué les nombreux problèmes des revues médicales, en passant par les pièges de la révision par des pairs, peu efficace pour détecter la fraude ou le plagiat, jusqu’aux conflits d’intérêts qu’ont de nombreuses revues médicales, en particulier avec l’industrie des produits pharmaceutiques1. The Trouble with Medical Journals devrait être une lecture obligatoire pour tous les médecins.
Plus récemment, en 2016, le Dr Smith a prononcé une conférence devant l’International Society of Medical Publication Professionals, dans laquelle il exprimait ses réflexions sur les nombreuses fonctions des revues médicales et classait ces fonctions par ordre d’importance, puis donnait son opinion sur la capacité des revues à les remplir2. Concernant ce que la plupart d’entre nous considèrent comme leurs principales fonctions, soit de choisir et publier des articles de recherche pertinents et de grande qualité, et de soutenir le développement professionnel continu, il a donné une cote médiocre aux revues, se situant entre 2 et 4 sur 10.
Paradoxalement, il accordait une importance supérieure (9 sur 10) à l’élément même auquel nous ne nous attendrions pas : mettre des enjeux à l’ordre du jour, comme les déterminants sociaux de la santé3,4, le changement climatique5 et les effets de la colonisation sur la santé des Autochtones6. Or, ce sont tous des enjeux que le MFC a mis à l’avant-plan pour les médecins de famille au cours des dernières années.
La relance du site web du MFC plus tôt cette année nous a permis d’offrir un autre forum pour soulever les enjeux importants à l’ordre du jour en médecine familiale grâce à la création d’un nouveau blogue. Les premières contributions à ce blogue sont déjà affichées (www.cfp.ca/blog)7, et nous encourageons les lecteurs à y accéder et à exprimer leurs propres réflexions et opinions sur un problème ou une situation en médecine familiale ou en soins de santé. Nos directives pour ce faire se trouvent dans le site web (http://www.cfp.ca/content/directives-pour-les-blogues). Avec le temps, nous espérons créer un espace dans le MFC où les médecins de famille pourront participer à une conversation nationale au sujet des réflexions que doit faire notre profession dans un monde en évolution rapide et rempli de défis.
Le Dr Smith se plaint que peu de revues se permettent de soulever les enjeux importants à discuter, mais le MFC l’a fait de manière très efficace au fil des ans, en publiant des éditoriaux, des commentaires et des débats éclairés et parfois provocateurs. Le numéro de septembre n’y fait pas exception.
Dans un commentaire (page e371) intitulé « Demandes concurrentielles et possibilités en soins primaires » 8, Christina Korownyk et ses collègues comparent les bienfaits relatifs des interventions en soins primaires, du traitement des maladies symptomatiques aiguës jusqu’à la prévention et à la promotion de la santé, à l’aide de données probantes tirées d’études randomisées contrôlées, pour savoir quelles devraient être nos priorités. Dans un monde où s’intensifient les pressions exercées sur le temps des médecins pour soigner les maladies aiguës et les problèmes de santé chroniques complexes, tout en offrant des soins préventifs complets9, les auteurs posent cette question à un moment opportun.
Comme le dit Richard Smith, même si les revues médicales sont une bonne avenue pour faire ressortir ce à quoi il faut réfléchir, elles ne sont pas aussi efficaces pour dicter ce qu’il faut penser, et c’est une bonne chose2.
Nous sommes d’accord avec lui.
Footnotes
This article is also in English on page 662.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada