La prise de décision partagée est un processus durant lequel les cliniciens travaillent en collaboration avec le patient afin de l’aider à prendre une décision médicale éclairée et fondée sur ses valeurs. Ce processus est particulièrement utile dans le contexte du dépistage d’une affection pour laquelle les préjudices et les bienfaits sont difficiles à départager. Beaucoup de recommandations en matière de dépistage émis par le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) sont évaluées comme faibles selon le système GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation), ce qui signifie que le dépistage pourrait entraîner des bienfaits et des préjudices. Dans ces circonstances, les valeurs et préférences individuelles des patients pourraient les pousser à prendre des décisions différentes en matière de dépistage. La prise de décision partagée est donc essentielle pour mettre en application les recommandations faibles qui sont compatibles avec les valeurs et les préférences des patients.
La prise de décision partagée est un processus structuré qui incorpore les données probantes, de même que les valeurs et préférences du patient pour le dépistage. Les conversations entourant la prise de décisions éclairées peuvent s’appuyer sur ce processus afin de tenir compte de ce qui importe le plus pour les patients. Mais comment ce processus se déroule-t-il dans la pratique ? Commençons avec un cas clinique.
Jean est un homme de 66 ans. Vous le connaissez, ainsi que sa famille, depuis des années. Tous les jours, Jean prend une statine et une aspirine pour bébés en prévention primaire de la coronaropathie. Il fume un paquet par jour depuis l’âge de 18 ans. Lors d’une consultation récente, il vous décrit une autre tentative pour arrêter de fumer. Cette fois-ci, comme le timbre de nicotine n’a eu aucun effet, il vous demande de lui prescrire la varénicline. Durant la conversation sur l’ordonnance, il vous rappelle que son père est mort du cancer du poumon. Vous vous rappelez alors que le Collège des médecins de famille du Canada a entériné une recommandation du GECSSP sur le dépistage du cancer du poumon.
Chez les adultes de 55 à 74 ans qui présentent des antécédents de tabagisme à raison de 30 paquets-années, qui fument toujours ou qui ont arrêté il y a moins de 15 ans, nous recommandons le dépistage annuel, jusqu’à 3 années consécutives, au moyen de la tomodensitométrie (TDM) à faible dose du thorax. Le dépistage doit être effectué en contexte médical avec expertise dans le diagnostic précoce et le traitement du cancer du poumon (recommandation faible ; données de faible qualité) 1.
Avant sa visite, Jean n’avait pas d’opinion sur le dépistage du cancer du poumon. Comme beaucoup, il ne savait pas que ce genre de dépistage existait. Le dépistage par tomodensitométrie à faible dose du thorax est toutefois possible dans votre communauté. Vous lui demandez s’il a déjà entendu parler de cette option. Qu’en pense-t-il ? Vous expliquez clairement à Jean qu’il doit décider s’il souhaite subir un dépistage ou non, et que vous êtes prêt à l’appuyer alors qu’il réfléchit. Et voilà, le processus de prise de décision partagée en matière de dépistage est lancé.
Chez les fumeurs comme Jean, environ 16 sur 1000 mourront du cancer du poumon durant un suivi médian de 6,5 ans2. Pour mieux expliquer les options en matière de dépistage, vous demandez à Jean de soupeser les bienfaits et préjudices du dépistage du cancer du poumon. Pour ce faire, vous lui montrez l’Outil de dépistage auprès de 1000 personnes qui apparaît à la Figure 13.
Cet outil montre que parmi 1000 personnes soumises au dépistage annuel pendant 3 ans au moyen de la TDM à faible dose, trois de moins succomberont des suites du cancer du poumon après le traitement (par rapport au dépistage par une radiographie des poumons). Cependant, on dira à 351 personnes que les résultats de leur test étaient anormaux, mais après des tests ultérieurs, elles apprendront qu’elles ne souffrent pas de cancer (faux positifs), et une personne mourra des suites des tests de suivi invasifs. Sept autres personnes recevront un diagnostic d’un type de cancer du poumon qui n’aurait pas causé de symptôme ni de décès. Cela s’appelle le surdiagnostic, c’est-à-dire le dépistage d’une affection qui n’aurait pas causé de préjudice si elle n’avait pas été dépistée.
Comme Marshall nous le rappelle, même lorsque les bienfaits des interventions de dépistage sont apparents, seul un très petit nombre de personnes en bénéficient4, 5. En matière de dépistage du cancer du poumon au moyen de la TDM, l’outil de dépistage auprès de 1000 personnes conçu par le groupe d’étude illustre l’équilibre entre le potentiel de préjudices et le potentiel de bienfaits. Il n’y a pas de choix « correct », mais plutôt, chaque personne est encouragée à prendre sa propre décision en matière de dépistage, en fonction des données probantes et ce qui compte le plus pour elle.
Ce qu’est la prise de décision partagée, et ce qu’elle n’est pas
Commençons par expliquer ce qu’elle n’est pas : devant une décision, la prise de décision partagée ne consiste pas à convaincre le patient à suivre les recommandations du médecin. Elle ne consiste pas non plus à donner au patient le test ou le traitement qu’il demande ni à laisser le patient décider tout seul.
La prise de décision partagée compte 2 volets principaux : communication du risque et clarification des valeurs. Le premier volet consiste à tenter de communiquer les bienfaits et les préjudices liés aux interventions selon les données probantes. La clarification des valeurs consiste à élucider ce qui compte le plus pour le patient et sa famille. La prise de décision partagée désigne un processus durant lequel un professionnel de la santé et un patient établissent un rapport et s’influencent mutuellement et collaborent pour faire un choix en santé6. Le choix doit être compatible avec ce qui compte pour le patient—ses valeurs et préférences doivent être incorporées dans la décision.
Les préférences sont les penchants envers ou contre une option. Les valeurs sont les sentiments sous-jacents qui aident à déterminer les préférences. Ce sont des concepts pertinents à la décision qui importent au patient ou à sa famille et qui tiennent compte des caractéristiques pertinentes à la décision (p. ex. efficacité, effets indésirables, coût, de même que des concepts connexes tels que les priorités, les philosophies de la vie et les circonstances du patient)7,8.
Étapes de la prise de décision partagée
La prise de décision partagée suit les étapes suivantes de prise de décision médicale ; une décision pourrait exiger plus d’une visite avant d’être prise.
Préciser un point de décision clair. Le patient connaît-il les options (dépistage ou non) et souhaite-t-il recevoir le dépistage du cancer du poumon ?
À cette étape, il faut veiller à ce que le patient et le clinicien comprennent bien et expliquent clairement en quoi consiste la décision et quelles sont les options.
Fournir de l’information sur le problème clinique et les options au point de décision.
Cela signifie fournir des renseignements équilibrés et fondés sur les données probantes concernant les options envisagées. L’information pourrait inclure ce que les données probantes nous disent sur les résultats positifs et négatifs et sur quelle période de temps ; si cette information s’applique aux personnes, comme celle qui prend la décision ; la robustesse des données, comme le niveau d’incertitude à l’égard de l’estimation de l’effet ; et l’accessibilité locale des options. Les outils qui comparent les résultats chez les personnes qui ont subi le dépistage et celles qui ne l’ont pas subi facilitent la prise de décision partagée9, 10.
Obtenir le point de vue du patient : évaluer ce qui importe le plus pour le patient.
Les équipes cliniques jouent un rôle important pour encourager les patients à participer davantage à la prise de décisions liées à la santé. C’est une compétence qui s’apprend. Les cliniciens pourraient s’enquérir des expériences antérieures, de toute préoccupation connexe, et surtout, des valeurs et préférences du patient quant aux différents résultats découlant des options envisagées.
Guider le patient vers une décision finale.
Il faut veiller à guider sans trop contrôler, ce qui est difficile. Pour appuyer les décisions en matière de santé préventive qui sont éclairées et fondées sur les valeurs, beaucoup de cliniciens parlent des recommandations des lignes directrices du GECSSP. Mais une recommandation générale (surtout une recommandation faible, comme dans le cas de Jean) en soins de santé préventifs ne cible pas des personnes ni des circonstances particulières. Elle s’appuie plutôt sur les bienfaits et préjudices estimés dans la totalité de la population ciblée. Les cliniciens savent que les soins du patient dépendent des circonstances personnelles et celles-ci entraînent des choix qui pourraient ne se conformer à aucune recommandation générale.
Évaluer si le patient est à l’aise avec sa décision.
À la fin du processus, après que la décision est prise, le clinicien peut évaluer si le patient est à l’aise avec sa décision en lui posant 4 questions, à l’aide du test de dépistage SÛRE (Tableau 1)11. Ce test aide le clinicien et le patient à comprendre comment le patient se sent informé, sûr de ses valeurs et appuyé. Une réponse négative à l’une des quatre questions signale que certaines questions requièrent toujours de l’attention11.
Dans le cas de Jean
Après une pause dans la conversation, Jean se lève, vous remercie pour son ordonnance de varénicline, et se dirige vers la porte. Il ne dit rien sur sa décision sur le dépistage du cancer du poumon. Vous êtes un peu surpris, puisque vous n’avez pas eu la chance de clarifier ses valeurs et préférences à ce sujet.
Vous commencez à taper vos notes cliniques et vous jetez un coup d’œil à l’outil de dépistage auprès de 1000 personnes qui est toujours à l’écran. Vous réfléchissez sur combien il était étrange, durant cette brève rencontre clinique, d’avoir supposé qu’une décision sur le dépistage du cancer du poumon soit prise. À l’avenir, vous décidez d’offrir l’outil de dépistage du cancer du poumon auprès de 1000 personnes du GECSSP aux patients pour qu’ils y réfléchissent et reviennent plus tard vous consulter.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
La prise de décision partagée est un processus structuré qui incorpore les données probantes, de même que les valeurs et préférences du patient dans les décisions en matière de dépistage.
La prise de décision partagée est particulièrement utile lorsque les préjudices et les bienfaits d’une décision en matière de dépistage sont difficiles à départager et que les valeurs et préférences du patient pourraient s’avérer utiles.
Les éléments clés de la prise de décision partagée sont la communication du risque et la clarification des valeurs. Cette dernière tient compte des valeurs et des préférences du patient. Les préférences sont les penchants envers ou contre une option. Les valeurs sont les sentiments sous-jacents qui aident à déterminer les préférences.
Pour aider le patient à prendre une décision, il existe des outils de transfert des connaissances, mais certaines personnes pourraient nécessiter plus d’une visite pour en arriver à une décision en matière de dépistage.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2017 issue on page 682.
Intérêts concurrents
Tous les auteurs ont rempli les formulaires normalisés concernant les conflits d’intérêts de l’International Committee of Medical Journal Editors’ (accessibles sur demande auprès de l’auteur correspondant) et ont déclaré n’avoir aucun intérêt concurrent.
Lectures suggérées
1. Hoffmann TC, Légaré F, Simmons MB, McNamara K, McCaffery K, Trevena LJ, et coll. Shared decision making: what do clinicians need to know and why should they bother? Med J Aust 2014;201(1):35-9.
2. Légaré F, Thompson-Leduc P. Twelve myths about shared decision making. Patient Educ Couns 2014;96(3):281-6. Publ. en ligne du 3 juill. 2014.
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