Le Dr Martin Fortin se souvient d’avoir pensé que sa première demande importante de subvention de recherche avait peu de chances d’être acceptée.
« Je rédigeais cette demande le 11 septembre 2001, se rappelle le Dr Fortin. Je me suis alors dit qu’il pourrait bien ne pas y avoir de fonds pour quoi que ce soit, parce que nous pourrions tous être en guerre. »
Pourtant, Martin Fortin a continué à travailler à sa demande. Rédiger une proposition en vue d’obtenir une subvention de recherche à la lumière d’une possible guerre mondiale, continuer contre toute attente dans le but d’élargir un domaine de recherche équivaut à dire que le courage et la persévérance font partie intégrante de l’ADN du Dr Fortin.
« Je viens d’une famille très modeste. Je suis le 21e enfant, le petit dernier. Mon père a eu 9 enfants avec sa première épouse et 12 avec ma mère. Nous ne sommes pas une famille de médecins. Notre richesse venait de notre famille nombreuse, du soutien que nous pouvions nous apporter réciproquement plutôt que de l’argent. Nous ne manquions de rien, mais quand j’ai commencé mes études de médecine, je devais tout payer. Mes parents n’avaient pas les moyens de m’aider financièrement. Comme vous pouvez l’imaginer, il n’y avait pas de deuxième chance. J’ai toujours su que je reviendrais travailler dans de petites localités. Il faut un certain courage. »
Le Dr Fortin a entièrement tenu sa promesse qu’il reviendrait exercer dans de petites communautés rurales ou urbaines. Il est maintenant professeur au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de la Faculté de médecine et des sciences de la santé à l’Université de Sherbrooke. Il est aussi médecin de famille au sein du Groupe de médecine de famille universitaire de Chicoutimi et directeur de la recherche au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac-St-Jean1,2.
Sherbrooke et Saguenay ne sont pas éloignées des petites communautés, où les nombreuses activités de plein air et la proximité avec la nature rappellent au Dr Fortin son enfance : ce sont des endroits qui ont peut-être inspiré sa créativité et sa curiosité précoces qui prennent maintenant la forme d’une passion toujours grandissante pour la recherche par et pour les médecins de famille
« Je me souviens d’une intuition que j’ai ressentie alors que j’étais dans mon bureau au début des années 2000. J’étais avec un patient qui prenait 9 ou 10 médicaments et plusieurs autres dans sa situation me revenaient toujours avec de nouveaux problèmes qui exigeaient des prescriptions. Je me suis soudainement demandé si c’était une bonne chose. Bien sûr, je vérifiais les interactions entre les médicaments, mais je voyais un dilemme éthique bien plus grand : est-ce une bonne chose, dans l’ensemble, pour le patient? Ce fut la première étincelle dans cette flambée de passion. Je me suis rendu compte que nos décisions en médecine familiale devaient se fonder sur des données probantes, des données produites par nous-mêmes et représentatives de ce que nous faisons dans notre discipline. Les données probantes générées dans des domaines de soins spécialisés proviennent de populations très précises, d’études randomisées. Ces connaissances peuvent-elles être généralisées? Nos patients en soins primaires sont souvent bien plus malades que les sujets de ces études, de cette recherche. »
Ces questions représentent le pilier du programme de recherche du Dr Fortin. Elles ont éclairé la première demande de subvention qu’il a rédigée, peu après que cette étincelle ait pris feu à la suite d’une séance de remue-méninges avec des collègues et la chercheure qu’il appelle son mentor. « Je travaillais alors avec un petit groupe de résidents. Je n’avais pas vraiment de projets de recherche, mais un groupe d’entre nous avons décidé de tenir une séance de réflexion. Nous nous demandions ce qui était important pour la médecine familiale. Quels étaient les sujets qui devraient définir notre programme de recherche? J’ai alors soulevé la question suivante : que se passe-t-il avec les patients en cas de multimorbidité chronique? Une collègue a lancé : “ça”, c’est une bonne idée. J’étais tout content de voir mon sujet recevoir un appui. »
Le Dr Fortin continue de travailler en étroite collaboration avec la collègue et mentor qui avait soutenu son idée il y a de cela bien des années : sa relation avec la Dre Moira Stewart, chercheure en soins centrés sur le patient à l’Université Western, à London, en Ontario, est fondamentale dans son orientation globale à l’endroit de la recherche3.
« Le mentorat est essentiel. L’apprentissage auprès des patients est crucial. Nous avons actuellement un groupe de 12 à 14 patients que nous rencontrons chaque mois et nous parlons de divers sujets. C’est fabuleux, cette chance de rencontrer des patients, d’apprendre d’eux au sujet des soins cliniques. Ils ont tant à m’apporter en tant que chercheur : ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent. Ils ont changé notre façon de penser en tant que chercheurs à propos de tant de choses. »
L’applicabilité à la pratique et aux patients, le mentorat et les relations : ce sont, selon le Dr Fortin, les éléments-clés les plus importants d’une recherche significative pour les médecins en soins primaires.
« La formation d’une équipe et l’établissement de relations avec le personnel m’ont toujours beaucoup importé. Je suis un peu timide. C’est dans ma nature de petit dernier. Je suis du genre père de famille. J’aime reproduire le sentiment familial dans mes projets de recherche. J’ai une famille dans ma pratique et j’ai une famille en recherche. C’est si important d’avoir des relations. Je crois aussi qu’il faut avoir du plaisir. J’aime bien quand tout le monde rit dans les réunions de l’équipe de recherche. Il faut de l’humour. Si une personne n’est pas du genre à vous accompagner pour prendre une bière, elle n’est probablement pas celle avec qui vous pourriez entretenir une relation en recherche. La dimension familiale dans la recherche en pratique “familiale” est tellement importante. »
Selon le Dr Fortin, il importe aussi que la recherche soit toujours directement pertinente aux patients et à la pratique. Il admet qu’en plus du plaisir et d’un engagement envers les relations qui alimentent sa passion, une certaine part de son engouement pour la recherche vient de ses frustrations. « Je m’inquiète toujours que les données probantes ne soient pas correctes pour mes patients. Je suis appelé à suivre des lignes directrices, mais d’où viennent-elles? L’accumulation de frustrations m’a aidé à trouver certaines de mes questions de recherche. Nous sommes les défenseurs des intérêts de nos patients. Nous devons produire nos propres données probantes. »
La motivation à produire des données probantes pour et par les médecins de famille prend de l’ampleur, et ce, en partie en raison du programme de recherche du Dr Martin Fortin. « Il y a 10 ans, j’aurais dit que les résidents n’aiment vraiment pas la recherche, mais la situation change. Pourquoi? Je ne le sais pas vraiment, mais je pense que notre mentorat, notre enseignement y sont pour quelque chose. Je suis de plus en plus surpris par l’ardeur que mettent les résidents à préparer leur recherche. Ils communiquent aussi leurs résultats qui éclairent leur pratique. »
Le benjamin d’une famille de 21 enfants sait sûrement 1 chose ou 2 à propos des changements d’une génération à l’autre. Maintenant lui-même père de 5 enfants, le Dr Martin Fortin continue de croire que le concept de la « famille » est au cœur de la recherche sur la pratique familiale. « Nous, les médecins de famille, sommes plus proches de l’être humain, du patient en tant qu’humain. Nous sommes plus proches de leur famille, de leurs environnements. Nous travaillons dans un paradigme différent. Nous pouvons leur demander ce qui les accable, ce dont ils ont besoin. Nous sommes leurs relations à long terme. C’est là notre recherche. »
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2017 issue on page 708.
Le Dr Fortin est médecin de famille à Saguenay, au Québec, et professeur au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de la Faculté de médecine et des sciences de la santé à l’Université de Sherbrooke, au Québec. Il compte parmi les chefs de file mondiaux en recherche sur le sujet de la multimorbidité en soins primaires.
Le Projet de la page couverture Les visages de la médecine familiale a évolué pour passer du profil individuel de médecins de famille au Canada à un portrait de médecins et de communautés des diverses régions du pays aux prises avec des iniquités et des défis omniprésents dans la société. Nous espérons qu’avec le temps, cette collection de pages couvertures et de récits nous aidera à améliorer nos relations avec nos patients dans nos propres communautés.
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