Je suis née à une époque où les familles avaient un seul médecin qui répondait à tous leurs besoins en matière de santé, du berceau à la tombe. Le médecin occupait un rang au-dessus de celui du chef de la famille, était presque toujours un homme et avait définitivement toujours raison. Nous ne remettions jamais en question ses conseils ou ses directives.
À mesure que l’exercice de la médecine familiale évoluait vers une approche centrée sur le patient, les patients ont assumé progressivement des rôles de partenaires avec les médecins, et ont contribué leurs importantes expériences, valeurs, préférences et attentes. Les patients sont devenus plus aptes à plaider leur cause concernant leurs propres soins de santé et ceux de leur famille.
Je ne suis pas experte en médecine, mais en tant qu’enseignante à la retraite, survivante du cancer et souffrant d’autres problèmes chroniques, j’ai des connaissances personnelles dans de nombreux domaines de la santé. Je suis très reconnaissante envers les professionnels qui ont traité mon carcinome basocellulaire et mon mélanome malin, guéri mon conjoint d’un cancer de la vessie, aidé mes parents à demeurer en santé au point de pouvoir vivre de manière autonome jusqu’à l’âge de 90 ans et plus, permis à ma sœur de survivre plus de 50 ans avec un diabète de type 1, et qui m’ont aidée à m’épanouir en dépit de 2 maladies auto-immunes et de problèmes connexes. Toutes ces expériences m’ont encouragée à militer pour moi-même et pour les autres.
Pressions exercées sur les patients pour qu’ils décident
La profession médicale est devenue beaucoup plus évoluée sur le plan technologique, et consciente de l’importance de la prévention et de la détection des maladies avant que les symptômes apparaissent et que les traitements deviennent impératifs. Le dépistage pour les groupes d’âge appropriés est accessible gratuitement ou à faible coût pour les patients admissibles et s’est révélé très efficace pour certaines maladies. Par exemple, nous croyons qu’une détection précoce peut réduire les effets d’un cancer du sein ou colorectal, et nous offrons le dépistage d’autres maladies, comme le diabète de type 2, pour des populations à risque. Nous en savons beaucoup plus sur la façon de prévenir les infarctus et les AVC, l’influence de l’alimentation et de l’activité physique sur la santé, et les répercussions de notre état émotionnel sur notre bien-être physique. Si l’information est synonyme de pouvoir, pourquoi ne voudrions-nous pas du dépistage? Pourquoi ne voudrions-nous pas savoir comment changer nos habitudes de vie pour mieux vivre?
Il est déconcertant pour les patients de se voir offrir des choix dans les décisions sur le dépistage ou les options thérapeutiques. Les médecins pourraient dire : « Voici les possibilités, laquelle préférez-vous? » En tant que patient, vous ne savez pas ce que vous ignorez. Comment une personne choisit-elle sans connaître ce que sait le médecin? Le patient se sent souvent pressé par le temps de décider, et cette pression pose elle aussi un problème, surtout si l’on a déjà attendu des mois pour d’autres tests diagnostiques ou pour des rendez-vous et si l’on a peur d’attendre encore avant que le traitement débute. De plus, lorsque les bienfaits et les préjudices du dépistage nous sont présentés, il est souvent difficile d’interpréter les statistiques et de savoir comment nous nous sentirons par rapport à notre décision en matière de santé dans 10 ou 15 ans.
Choix et information
Il est très difficile de faire un choix sans information. Comment puis-je savoir les bienfaits et les inconvénients d’un test de dépistage ou d’un traitement, les effets secondaires ou les issues possibles de mes décisions? Je veux des conseils de la part de ceux qui savent, mais il semble rarement y avoir assez de temps durant une consultation pour discuter du pour et du contre, des risques et des résultats à court et à long termes. Si on me donnait un choix de prochaines étapes et du temps pour prendre une décision, comme la plupart des patients, je chercherais à me renseigner. Il y a tant d’information sur Internet, mais il est difficile d’être certain de la fiabilité des sources. Il est essentiel d’obtenir des conseils de la part des médecins et des équipes de santé pour déterminer la crédibilité des données, et de faire un bon tri parmi des détails contradictoires.
L’information sans choix n’est pas mieux. Contrairement à autrefois, la majorité des gens ne veulent plus que leurs médecins leur donnent des renseignements rapides et des solutions uniques sans leur permettre d’explorer leurs options. De nombreux patients veulent savoir qu’ils ont l’appui de leurs médecins pour explorer la combinaison de la médecine avec des approches complémentaires ou de médecine douce. Certains patients trouvent du soulagement dans les thérapies complémentaires et veulent que leurs médecins travaillent avec eux comme partenaires pour apprendre ce qui pourrait compléter ce qu’on sait efficace plutôt que d’y nuire.
La recherche nous a donné tellement plus d’information qu’il n’y en avait dans le temps où l’on avait un seul médecin pour la vie entière. Par exemple, nous savons maintenant que de nombreux types de cancers peuvent être évités par des changements au mode de vie, comme le cancer du poumon ou d’autres reliés au tabagisme et, comme dans mon cas, le cancer de la peau résultant de dommages antérieurs causés par le soleil. Nous en connaissons tellement plus à propos des carcinogènes environnementaux et des effets des facteurs externes sur notre santé. Nous savons que des décisions sur notre mode de vie prises maintenant pourraient influencer considérablement notre santé cardiaque à l’avenir. Avec ce savoir viennent des choix entourant l’ajustement de nos habitudes pour améliorer notre bien-être. Nous avons le pouvoir de changer des issues pour nous-mêmes et pour nos proches.
Élargissement du rôle des patients
Le rôle des patients s’est élargi pour devenir celui de participants actifs non seulement dans leurs propres soins, mais aussi dans les soins aux autres ayant des problèmes et des diagnostics semblables. Les patients ont des possibilités grandissantes d’aider autrui en s’inscrivant à des études cliniques pour contribuer à parfaire les connaissances médicales au moyen de tests génétiques pour des maladies comme l’hémochromatose ou certains types de cancers, et de rendre des services altruistes dans le domaine de la santé en agissant comme bénévoles. Ce changement important dans la façon de penser et dans l’inclusion de patients responsabilisés ouvre d’intéressantes possibilités de participation plus active dans la recherche médicale et les soins de santé.
Par ailleurs, tous ne souhaitent pas devenir un membre à part entière de leur propre « équipe de santé ». Certaines personnes veulent encore se faire dire quoi faire et suivront de bon gré les conseils de leur médecin sans poser de questions. Comment les membres de la profession médicale sont-ils capables de déterminer le type de patients à qui ils s’adressent, leurs préférences et ce qu’ils valorisent? S’agit-il d’un patient qui veut connaître les choix et participer à la prise de décision ou d’un patient qui veut être dirigé vers un seul plan d’action? Le patient veut-il une solution rapide et expéditive ou préfère-t-il prendre son temps pour envisager les options de rechange?
Toutes les personnes ne sont pas nécessairement capables de poser des questions, ou d’exprimer clairement leurs craintes ou leurs valeurs. Il faut un médecin habile pour pouvoir déterminer si ce qui se dit reflète ce qu’on veut dire. Il faut aussi du temps, souvent plus de temps que ce que les médecins débordés ont à accorder à chaque patient, mais c’est du temps qui en vaut la peine.
Chaque personne est différente. Chaque maladie évolue différemment. Chaque personne a des émotions, des valeurs et des préférences. Alors, comment aider?
Comment les médecins peuvent-ils aider?
Voici mes suggestions aux médecins sur des façons d’explorer les valeurs et les préférences de leurs patients. L’article de la rubrique Prévention en pratique dans le présent numéro, à la page e13, traite aussi de moyens d’obtenir ces renseignements1.
Laissez de côté l’écran de votre ordinateur et regardez-moi dans les yeux.
Pendant la courte période de temps passée ensemble, faites-moi sentir comme si j’étais votre seule patiente et que ma santé était votre seule priorité.
Prenez quelques minutes pour explorer mes valeurs et mes préférences avant que nous élaborions un plan d’action.
Si un test de dépistage est indiqué dans mon cas, aidez-moi à comprendre le pour et le contre, les bienfaits et les préjudices, puis donnez-moi le temps de réfléchir à cette information avant de prendre ma décision. Accordez-moi la « nuit qui porte conseil » avant mes décisions, même celles qui vous semblent si simples à prendre.
Perfectionnez les habiletés nécessaires pour « lire les gens », savoir qui recherche des renseignements, qui est un réactif émotionnel ou qui est trop énervé pour entendre un seul mot de ce que vous dites.
Faites preuve de patience devant ma confusion si je ne connais pas les dépistages préventifs en matière de santé ou si je suis anxieuse à propos de symptômes étranges ou de présentations asymptomatiques.
Aidez-moi à comprendre la terminologie, surtout les acronymes et les abréviations qui vous sont familiers, mais qui me paraissent en langue étrangère.
Indiquez-moi les effets secondaires les plus courants et importants d’un test, d’un traitement ou d’un médicament, sans me submerger avec toutes les issues défavorables possibles.
Donnez-moi de l’information à « emporter », sous forme imprimée, des résumés ou des références de sources de renseignements fiables (comme ceux produits par le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs), pour que je puisse venir au prochain rendez-vous mieux préparée.
Expliquez-moi le processus utilisé pour communiquer des résultats de dépistages ou de tests; insistez sur le fait que « pas de nouvelles signifie bonnes nouvelles ».
Expliquez-moi les prochaines étapes : ce qui va se passer à partir de maintenant, quand je dois vous revoir, ce qu’il me faut surveiller et avec qui communiquer si j’ai des problèmes.
Encouragez-moi à me prévaloir des possibilités de prévenir les problèmes de santé ou d’améliorer ma santé et celle de mes proches.
Que peuvent faire les patients?
Les patients peuvent maximiser les bienfaits d’un rendez-vous chez le médecin en y venant bien préparés. Voici mes suggestions :
Allez à votre rendez-vous en étant disposé à exprimer vos valeurs et vos préférences pendant que vous et votre équipe de santé élaborez un plan d’action. Réfléchissez à ce qui vous importe et aux options que vous pourriez préférer.
Venez à votre rendez-vous accompagné pour avoir une autre paire d’oreilles au moment des questions et pour prendre des notes à revoir plus tard.
Présentez-vous avec quelques questions générales et, plus tard, à mesure que vous traitez l’information, préparez d’autres questions à poser lors d’une visite de suivi; demandez des explications sur les avantages et les inconvénients des tests de dépistage.
Dans le cas de tests à subir, si des symptômes sont présents, documentez vos changements physiques et émotionnels, le cas échéant, de même que leur fréquence et leur durée.
Demandez des renseignements et de l’aide auprès de tous les membres de votre équipe de santé, comme une diététicienne autorisée pour apprendre à lire les étiquettes sur la nutrition ou un pharmacien pour comprendre les médicaments.
Vérifiez auprès de votre médecin avant de suivre d’autres traitements complémentaires.
Ne présumez pas qu’il vaut mieux agir que ne rien faire; selon vos valeurs et vos préférences, il pourrait être dans votre intérêt de ne pas subir de test de dépistage ou de ne pas suivre un traitement en particulier. Discutez-en à fond avec votre médecin avant de prendre une décision.
Adoptez une approche proactive; soyez prêt à accepter et à mettre en œuvre des stratégies de dépistage et de prévention pour éviter des problèmes de santé plus graves. Soyez ouvert à l’idée de changer votre mode de vie pour prévenir des problèmes ou améliorer votre santé.
Conclusion
Le fait de demander au patient non seulement ce qu’il veut ou ce dont il a besoin, mais aussi ce qu’il valorise, permet une prise de décision plus appropriée en matière de soins de santé préventifs et curatifs. En combinant l’information actuelle et des choix appropriés, les médecins et les patients s’engagent davantage à l’égard des soins préventifs, ce qui se traduit par des Canadiens en meilleure santé. Nous sommes si chanceux de vivre à une époque où la volonté et l’expertise permettent de le faire.
Footnotes
Intérêts concurrents
Mme Telfer a été remboursée pour son temps et ses efforts par le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
This article is also in English on page 10.
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Référence
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