
On apprenait récemment en lisant un commentaire publié dans l’édition de novembre du Médecin de famille canadien que l’examen médical annuel n’avait maintenant plus sa place : « L’efficacité de l’examen médical annuel traditionnel chez les adultes asymptomatiques n’est pas appuyée par des données probantes. Cette activité pourrait même causer des préjudices et elle ne devrait pas être systématique »1. Voilà toute une nouvelle quand on songe à la place que les examens annuels ont occupée dans la pratique des médecins de famille. Voir son médecin chaque année était jusqu’à tout récemment la norme prônée par tout un chacun.
Or, cette affirmation ne vient pas d’un quelconque hurluberlu en proie à une illumination soudaine ou en mal de sensationnalisme, mais bien du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs, lui-même, ce prestigieux organisme qui dicte nos pratiques préventives depuis plus de quarante ans. L’équivalent canadien du Preventive Services Task Force des États-Unis. Ce n’est pas rien! Qui plus est, cette recommandation vient s’ajouter à un énoncé semblable émis en 2016 par Choisir avec soin (une autre entité respectable) dans « Les onze examens et traitements sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger » : « Évitez de pratiquer l’examen physique annuel chez les adultes asymptomatiques ne présentant aucun facteur de risque particulier. »2
Or, si aujourd’hui ces recommandations semblent raisonnables et sont généralement bien acceptées, il en était tout autrement il n’y a pas si longtemps. Il y a à peine cinq ou dix ans, quiconque se serait permis de douter de la valeur des examens annuels aurait alors été bien mal vu. J’en sais quelque chose, puisqu’en 2013 j’ai publié un texte intitulé « Et si l’examen médical périodique était inutile »3. Vous auriez dû voir les réactions! Même si ce texte posait des questions toutes simples et s’appuyait sur des données probantes, il a provoqué tout un émoi dans mon milieu : la santé publique s’est insurgée; des menaces de représailles ont fusé de toutes parts. C’est bien simple, si nous avions été au Far West, on m’aurait pendu haut et court; au Moyen-Âge, on m’aurait brûlé vif ou jusqu’à ce que j’avoue être hérétique! Évidemment, j’exagère, mais cela démontre que tout médecin de famille qui s’écarte le moindrement des pratiques usuelles s’expose à des risques de préjudices. Comme s’il fallait absolument souscrire à « tout le monde le fait, fais-le donc ».
En réalité, cela soulève la question du droit du médecin de famille à contester la validité des multiples recommandations qui lui sont faites. Le médecin de famille doit-il adhérer docilement et inconditionnellement à tous les avis qui lui sont transmis? Doit-il appliquer à la lettre les recommandations qui lui sont adressées sans se questionner sur la force de la preuve, comme si c’étaient là des dogmes ou la parole divine? Doit-il prescrire aveuglement toutes les nouvelles classes médicamenteuses ou les nouveaux médicaments, prétendument miraculeux et « tellement meilleurs », lancés à grand renfort de publicité, de « formation médicale continue » (!) et de leaders d’opinion, sans s’assurer que cela soit bien vrai?
Bien sûr que non.
Les médecins de famille ont bien raison de douter. L’érudition et le sens critique sont des compétences transversales requises pour tous les médecins. Il suffit de lire « A Decade of Reversal : An Analysis of 146 Contradicted Medical Practices »4 publié dans le Mayo Clinic Proceedings en 2013 pour le constater. Plus de 40 % des recommandations visant des normes de pratique se sont ultimement révélées fausses. Il est fort probable que dans les prochains cinq ou dix ans, plusieurs certitudes que nous avons aujourd’hui se révèlent, elles aussi, erronées.
Est-ce si grave que cela? Absolument pas. Cela démontre simplement l’importance de la pensée scientifique dans l’avancement de nos connaissances. Et pour s’en convaincre, il suffit de lire l’histoire de la lutte au scorbut par le capitaine James Cook dans Sapiens, de Yuval Noah Harari5. Vous verrez comment le doute et le questionnement contribuent à l’avancement des sciences.
Il y a définitivement place pour l’érudition et la pensée critique en médecine familiale.
Footnotes
This article is also in English on page 6.
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