Nous définissons la médecine familiale en fonction des relations, et la continuité de la relation patient-médecin compte parmi nos valeurs fondamentales. Comment pouvons-nous justifier le fait de mettre un terme à nos relations à long terme avec les patients lorsque, en raison de la maladie ou de la vieillesse, ils deviennent confinés à la maison?1
Dr Ian R. McWhinney
Près de 2 décennies après la conférence du Dr Ian McWhinney1, l’appel lancé pour que nous nous fassions les champions de la pratique des soins primaires à domicile demeure toujours aussi urgent que jamais. Les patients confinés à domicile, que ce soit à cause d’une fragilité grandissante, d’une complexité médicale ou d’une maladie mentale, éprouvent des difficultés à accéder aux soins dans le milieu habituel des cliniques externes. Il y a des avantages considérables pour les patients et leur famille à recevoir des soins primaires en temps opportun et de grande qualité dans leur lieu de résidence2. Les données probantes se multiplient selon lesquelles les cliniciens et les professionnels des soins primaires trouvent satisfaisant et valorisant d’offrir ces services essentiels à cette population mal desservie et rapidement grandissante3.
Comment préparons-nous les résidents en médecine familiale à acquérir les compétences requises pour fournir des soins primaires à domicile? Les ouvrages portant sur la formation des futurs médecins de famille à cet important aspect des soins sont peu nombreux4, et près du quart des résidents en médecine familiale signalent n’avoir jamais reçu de formation en visites à domicile lorsqu’ils reçoivent leur diplôme5. Les visites à domicile chez vos patients en tant qu’enseignant accompagné d’un apprenant premettent d’actualiser les principes de la médecine familiale. La visite à domicile offre une possibilité unique de voir les patients dans leur propre environnement, de fournir des soins essentiels et d’agir, de façon informelle, comme mentor auprès des étudiants, tout cela dans une seule rencontre.
Personnifier les compétences CanMEDS–Médecine familiale durant des visites à domicile
La plupart des médecins de famille peuvent aisément et immédiatement donner une rétroaction aux apprenants sur les rôles d’expert et de communicateur CanMEDS de la médecine familiale (p. ex. sous forme de feuilles de route)6. Les possibilités d’évaluer les apprenants comme promoteurs de la santé ou collaborateurs sont habituellement moins fréquentes dans le milieu clinique typique. À l’opposé, une visite à domicile est intrinsèquement riche en occasions de donner une telle rétroaction aux apprenants. Avant d’arriver au domicile du patient, le précepteur peut inciter l’apprenant à accorder une attention spéciale à son rôle en fonction des compétences suivantes.
Promoteur de la santé.
La visite à domicile est une occasion de voir véritablement le patient dans le contexte de sa communauté. Qu’est-ce que le voisinage, le logement et l’environnement domiciliaire révèlent au résident à propos des déterminants de la santé du patient (Figure 1)?
Penser comme un promoteur de la santé
Collaborateur.
L’approche en équipe interdisciplinaire n’est nulle part ailleurs plus essentielle que dans les soins à domicile d’un patient. Après avoir fait son analyse environnementale dans la résidence du patient, demandez à l’apprenant vers qui il dirigerait le patient pour répondre aux besoins de santé qu’il a détectés (Figure 2).
Penser comme un collaborateur
Gestionnaire et leadership.
Comparée à une visite en clinique, une rencontre au domicile du patient permet une évaluation plus contextualisée de l’efficacité du système de santé dans la réponse à ses besoins. Incitez l’apprenant à réfléchir à l’organisation, aux ressources et à l’efficience des soins de santé; il existe de nombreux exemples de ces concepts, surtout lors d’une visite à domicile urgente ou après une hospitalisation (Figure 3).
Penser comme un gestionnaire
Après la visite, utilisez le rôle d’expert en médecine familiale pour susciter une réflexion sur l’expérience d’avoir vu le patient dans son propre domicile et passez en revue cette expérience. Voici une simple question à poser : « En quoi cette visite aurait-elle été différente si elle avait eu lieu dans une clinique? »
La sécurité et la supervision des apprenants
Les politiques officielles sur la sécurité durant les visites à domicile peuvent varier selon le regroupement qui représente les apprenants (p. ex. la Professional Association of Residents of Ontario). La sécurité est d’une importance capitale à domicile, comme en clinique ou en milieu hospitalier. Si le patient n’est pas connu dans votre clinique, il est important comme première étape d’établir que le patient, ses proches aidants à domicile, de même que le quartier et l’environnement sont raisonnablement sécuritaires. Par ailleurs, dans la plupart des cas, si ce n’est la totalité, le médecin de famille connaîtra bien les patients, et la visite à leur domicile comportera les mêmes risques que toute autre activité ou rencontre communautaire dans le voisinage de la pratique familiale. De fait, dans un sondage sur le programme universitaire des visites à domicile à Toronto, en Ontario, 94 % des résidents en médecine familiale ne considéraient pas que la sécurité fût un obstacle à soigner leurs patients à domicile4.
Les cliniciens d’expérience peuvent servir de modèles à suivre dans cette approche élémentaire à la sécurité pour l’apprenant qui les accompagne dans une visite à domicile. Des trousses d’outils de référence présentent des conseils pratiques sur les façons de se préparer à d’éventuels problèmes, qu’il s’agisse de punaises de lit ou d’un chien qui jappe, ou encore de risques de crime et de sécurité personnelle7,8. Une assurance standard peut couvrir les responsabilités professionnelles durant les visites à domicile par les médecins et les membres de l’équipe interprofessionnelle, comme il est expliqué dans la brochure A Canadian Provider’s Handbook to Home-Based Primary Care7.
La médecine gériatrique et palliative à son meilleur
Pour réitérer les propos du Dr McWhinney cités au début de cet article, il vaut la peine de discuter des visites à domicile auprès de patients gériatriques ou palliatifs, parce qu’elles font partie des relations à long terme qu’entretiennent les médecins avec leurs patients. L’importance des évaluations fonctionnelles en gériatrie, comme les listes de vérification de la sécurité et des risques de chutes à domicile, devient évidente lorsqu’on observe des adultes plus âgés dans leur propre environnement, lorsqu’ils ouvrent la porte aux professionnels de la santé, les font entrer dans le salon ou la cuisine, ou encore lorsqu’ils se lèvent pour chercher leurs médicaments. L’importance de la gestion des médicaments est très claire lorsqu’on voit un bol rempli de comprimés mélangés, des bouteilles ou des inhalateurs vides dans la pharmacie au lieu d’un emballage-coque bien organisé. Encouragez les apprenants à « observer le patient en action » et faites un suivi en demandant de traduire leurs observations en une évaluation complète et pratique du patient.
S’ils avaient le choix, la plupart des Canadiens souhaiteraient être chez eux à la fin de leur vie; rares sont ceux qui ont vraiment cette option9. Quel que soit le modèle des soins palliatifs dans votre région ou votre propre degré de facilité à prendre en charge les symptômes, l’honneur unique de participer aux soins de fin de vie peut s’amorcer simplement par une visite à domicile de soutien à votre patient en phase terminale et à sa famille10. En vous faisant accompagner par des apprenants, vous leur permettrez de constater combien l’expérience du mourir est naturelle et souvent spirituelle lorsqu’elle est vécue en dehors de l’environnement stérile d’un hôpital, au milieu des effets personnels familiers de la personne et (si elle a cette chance) entourée par une famille aimante. De nombreuses compétences en tant qu’expert et communicateur en médecine familiale peuvent être passées en revue et approfondies durant les soins à des patients en phase palliative à leur domicile.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ L’accompagnement par un résident en médecine familiale lors d’une visite à domicile offre des possibilités uniques, tant pour l’apprenant que l’enseignant, d’évaluer les rôles CanMEDS-Médecine familiale de collaborateur, de gestionnaire et de promoteur de la santé, et de fournir une rétroaction individuelle. Ce sont des compétences qu’il n’est pas facile de démontrer et d’évaluer systématiquement dans un environnement standard de supervision en clinique.
▸ C’est une expérience sécuritaire et satisfaisante pour les apprenants que de voir un patient à domicile, même une seule fois; si les apprenants voient des patients sur une base longitudinale, l’expérience suscitera un plus grand sentiment de responsabilité et augmentera la confiance qu’ils ressentent à s’occuper de patients confinés à la maison dans l’avenir.
▸ Laissez l’humanité et la compassion inhérentes à la visite d’un patient à domicile guider naturellement l’enseignement aux résidents. Des 2 côtés du stéthoscope, les patients et les médecins cherchent ardemment à trouver un sens à leur relation. Partagez ce cheminement vers la revitalisation de la relation patient-médecin avec vos apprenants lors de visites à domicile.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2018 issue on page 74.
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