Le monde comme nous l’avons créé est un produit de notre pensée. Il ne peut pas être modifié sans changer notre façon de penser.
Albert Einstein
La Nuffield Trust du R.-U. a récemment publié un rapport portant à réflexion intitulé Divided We Fall. Getting the Best Out of General Practice1. L’auteure, Dre Rebecca Rosen, déclare dans son introduction :
Le discours prédominant sur la médecine générale dépeint une industrie artisanale, rompue et désuète qu’il faudrait adapter au 21e siècle. Les consultations en personne répétées avec un médecin sont de plus en plus qualifiées de mauvaise approche pour répondre aux besoins cliniques, compte tenu des consultations facilitées par la technologie avec divers professionnels de la santé, qui offrent de nouvelles options pour l’évaluation, l’examen et le traitement1.
Le rapport soulève les questions suivantes : Le généralisme médical a-t-il un rôle dans un système de santé hautement fonctionnel? L’omnipraticien traditionnel peut-il incarner l’exercice du généralisme médical? Faudrait-il « déconstruire » ou « segmenter » le travail de l’omnipraticien et le partager avec d’autres professionnels (équipes) pour améliorer les soins? La segmentation diminue-t-elle la valeur de la pratique générale traditionnelle? Enfin, que faut-il faire pour garantir l’existence du généralisme médical dans l’avenir?
Par le passé, les principes et l’exercice du généralisme étaient incarnés par un seul professionnel, l’omnipraticien ou MF à l’ancienne qui offrait des soins complets aux patients, aux familles et aux communautés, du berceau à la tombe. Depuis les 3 dernières générations, cet « idéal » est à la fois insuffisant et difficile à maintenir. De puissantes forces sociales, y compris l’urbanisation, le vieillissement de la population, les progrès en médecine, le consumérisme, l’évolution des attentes des patients, de même que l’essor des technologies de l’information, ont exercé d’énormes pressions sur le modèle du MF d’autrefois.
Cette édition présente une étude de recherche par Freeman et coll. qui confirme un changement générationnel dans l’intégralité des soins fournis par les MF, avec un déclin sur 3 générations de diplômés d’un programme de résidence (page 751)2. Ce déclin est probablement le reflet de ces pressions sociétales, quoique l’étude ne se penche pas sur cette question.
Une façon de réduire ces pressions est de penser aux divers éléments du travail du généraliste et de les répartir entre les membres d’une « équipe généraliste en soins de santé ». Par exemple, dans les populations adultes de pays à revenu élevé, la moitié de la population est en relativement bonne santé et pourrait n’avoir besoin que de soins aigus épisodiques pour des problèmes assez simples1. Pour ces patients, l’accès importe plus que la continuité, et ils pourraient bénéficier de voir un autre professionnel de la santé ou de consulter au moyen de la technologie. Une connaissance approfondie de la personne pourrait ne pas être importante. À l’autre extrémité se trouvent les 1 à 2 % de patients ayant des besoins médicaux complexes, pour qui la continuité et l’intégralité des soins sont essentielles1. Dans ces cas, des rencontres en personne avec un MF, épaulé par une équipe, sont nécessaires et précieuses. Entre ces 2 extrêmes, environ 25 % des patients ont des symptômes n’ayant pas d’explications médicales1 et qui bénéficieraient le plus de ce qu’a à offrir le MF d’antan, soit une connaissance approfondie du patient, acquise avec le temps, susceptible de réduire les investigations et les traitements excessifs, leur épargnant de potentiels préjudices.
Dans le rapport de la Nuffield Trust, on distingue la nature transactionnelle, axée sur les tâches, des soins primaires d’accès rapide, et la nature spécifique au contexte et stratifiée du généralisme médical. On propose un modèle intégré de segmentation selon lequel des services rapidement accessibles sont combinés aux soins d’un généraliste médical au sein d’une même équipe pour avoir le meilleur des 2 mondes1. Il existe des équipes de ce type au Canada, mais toutes ne fonctionnent pas de façon optimale. L’implantation de bons soins en équipe est difficile et exige du temps et des ressources pour définir une vision claire et intégrer des processus parmi de nombreux professionnels3. Lors de l’instauration des équipes de santé familiale en Ontario, on visait l’accès à un MF; bien que des équipes aient été formées avec d’autres professionnels de la santé – infirmières praticiennes, travailleurs sociaux, diététistes et pharmaciens – on n’offrait pas d’instructions sur la manière de fonctionner de façon optimale. Dans l’étude par Freeman et coll., une constatation positive s’est dégagée : les MF travaillant en équipe ont signalé pouvoir offrir des soins plus complets2.
Qu’importe la forme de la future médecine généraliste, on y perdra beaucoup si le médecin personnel n’en constitue pas le noyau4. La vision dystopique de la médecine familiale future évoquée par Green finirait sûrement par se réaliser5.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada