Chez un enfant, le boitement est préoccupant tant pour la famille de l’enfant que pour les fournisseurs de soins de santé qui doivent envisager un diagnostic de fracture des premiers pas. La fracture des premiers pas survient chez les bambins ambulatoires, habituellement âgés de 9 mois à 3 ans. Le mécanisme de la blessure consiste habituellement en une force de rotation sur le tibia alors que le pied et la cheville sont fixes, et que l’extrémité proximale de la jambe se tord à l’intérieur. Ce mécanisme survient habituellement lorsque le bambin trébuche en marchant ou en courant, ou lorsqu’il tombe de haut1,2. La version anglaise du terme fracture des premiers pas a été utilisée pour la première fois par Dunbar et collaborateurs en 1964 pour décrire une fracture spiroïde ou oblique non déplacée du tiers distal du tibia s’étendant vers le bas sur la face médiale3. La nomenclature anglaise a été modifiée à la fin des années 1990 à childhood accidental spiral tibial fracture ou CAST fracture pour inclure une définition plus complète, qui s’applique aux enfants de jusqu’à 8 ans4. L’incidence de fracture des premiers pas varie selon les rapports et oscille entre 2,5 enfants sur 1000 chaque année à l’Hôpital Royal Hospital for Sick Children à Édimbourg, en Écosse, et 1 enfant sur 1000 selon l’Hôpital Scotland’s Royal Aberdeen Children’s Hospital5,6. Au fil des ans, plusieurs lignes directrices ont fait des recommandations pour traiter la fracture des premiers pas; toutefois, une enquête menée récemment par courriel auprès de tous les membres du réseau Pediatric Emergency Research Canada pointe vers des variations considérables de la pratique dans la prise en charge de la fracture des premiers pas7.
Évaluation clinique
Le diagnostic de fracture des premiers pas est souvent difficile à poser à l’évaluation initiale, puisqu’il n’y a généralement aucun antécédent de blessure, et que l’examen pourrait faire pleurer l’enfant sans permettre de localiser clairement le siège de la douleur. Bien qu’au Manitoba, Tenenbein et collaborateurs aient rapporté que 35 fractures des premiers pas sur 37 sur une période de 10 ans étaient liées à des antécédents confirmés de blessures1, une autre série de 39 cas n’a fait ressortir aucune caractéristique de différenciation particulière parmi les bambins ayant reçu un diagnostic provisoire de fracture des premiers pas, que l’étude radiographique de suivi ait confirmé ou non cette fracture8. L’incapacité de supporter son poids était jugée être un «signe fondamental » de fracture des premiers pas lorsque celle-ci a été décrite par Dunbar et coll.3, et bien que cette caractéristique soit sensible (82 %) pour la fracture des premiers pas, elle n’est pas très spécifique (30 %)9. La douleur localisée s’est révélé être dotée d’une sensibilité presque égale (71 %) et d’une spécificité beaucoup plus grande (67 %)9. Les tentatives délicates de stresser le tibia par torsions axiales pourraient susciter une réponse pouvant contribuer au diagnostic de fracture des premiers pas; ce test est toutefois inutile si l’enfant pleure et résiste9.
Diagnostic
Les signes radiologiques d’os brisé aident à confirmer la fracture, mais dans le cas de la fracture des premiers pas, il est souvent difficile de voir un trait de fracture sur les clichés initiaux. Le diagnostic provisoire aide à assurer un traitement ponctuel, et le diagnostic peut être confirmé si les radiographies sont reprises 10 à 14 jours plus tard et qu’un trait de fracture est alors visible5. L’imagerie doit inclure au moins 2 clichés (antéro-postérieur et latéral)8 et l’ajout d’un cliché oblique interne a contribué à détecter 2 fractures des premiers pas sur 7 (29 %) qui avaient été omises dans une série1. Il faut toutefois tenir compte de la douleur associée au positionnement du membre nécessaire pour le cliché additionnel.
Lewis et Logan ont proposé de poser un diagnostic échographique de fracture des premiers pas à l’urgence après l’échec des radiographies régulières à confirmer le diagnostic, et ils ont utilisé l’hématome de la fracture pour s’orienter7.
Traitement
Des variations dans la pratique de prise en charge de la fracture des premiers pas ont été observées aux États-Unis10 et au Canada8. Une enquête menée auprès des membres du réseau Pediatric Emergency Research Canada ayant obtenu un taux de réponse de 73 % (153 sur 211) a mis au jour des variations considérables de la pratique parmi les urgentologues canadiens en matière de prise en charge de la fracture des premiers pas8. Dans les cas de fracture des premiers pas confirmée, 7 centres (50 %) ont opté pour immobiliser la jambe avec un plâtre circulaire au-dessus du genou, 3 centres (21 %) ont opté pour un plâtre circulaire sous le genou et 2 centres (14 %) ont opté pour une attelle postérieure sous le genou. Dans les cas de fracture des premiers pas présumée, 8 centres (57 %) n’ont pas utilisé de plâtre, 3 centres (21 %) ont utilisé une attelle sous le genou et 2 centres (14 %) ont immobilisé la jambe avec un plâtre circulaire sous le genou. Presque tous (95 %) les médecins interrogés ont choisi d’immobiliser la fracture des premiers pas confirmée. Les stratégies d’immobilisation les plus fréquentes étaient le plâtre circulaire au-dessus du genou (39 %), suivi du plâtre circulaire sous le genou (27 %). Dans les cas de fracture des premiers pas présumée, beaucoup de répondants ont dit préférer les prendre en charge sans plâtre (44 %). Si on optait pour l’immobilisation, une attelle sous le genou (22 %) ou un plâtre circulaire au-dessus du genou (14 %) étaient les stratégies le plus souvent utilisées8.
Plusieurs études rétrospectives se sont penchées sur la prise en charge de la fracture des premiers pas et ses résultats. Un examen des dossiers ayant comparé la prise en charge des fractures des premiers pas évidentes sur la radiographie (12 sur 29; 41 %) à la prise en charge des diagnostics provisoires (17 sur 29; 59 %) a rapporté presque 2 fois plus de plâtres parmi les cas confirmés (92 c. 47 %, respectivement, p = 0,02)6. Une autre étude rétrospective menée récemment a rapporté un retour significativement plus rapide de la capacité de supporter son poids si l’immobilisation initiale consistait en une botte plutôt qu’en un plâtre demi-jambe (2,5 c. 2,8 semaines, respectivement, p = 0,04); cette différence était toutefois non significative après avoir fait passer les enfants d’un type d’immobilisation à un autre11. De plus, peu importe la technique d’immobilisation, presque tous les enfants pouvaient supporter leur poids plus tôt que 4 semaines après la blessure11.
Dans une étude rétrospective menée récemment par l’Hôpital Sick Children de Toronto (Ont.) auprès de 184 enfants de 0 à 4 ans ayant subi une fracture du tibia non déplacée visible sur les radiographies initiales, les auteurs ont déterminé qu’un suivi en chirurgie orthopédique n’était pas nécessaire, et que les parents pouvaient enlever l’immobilisation à domicile, ce qui permettait de sauver le temps passé à la clinique pour enlever le plâtre et d’économiser les coûts de soins de santé12.
Parmi 75 enfants âgés de 9 mois à 3 ans s’étant présentés à l’urgence d’un hôpital pédiatrique de Seattle (Washington, É.-U.), pour lesquels on avait observé des signes radiographiques de fracture des premiers pas, 9 % n’ont pas été immobilisés, 24 % ont reçu une botte de marche demi-jambe articulée et les autres 67 % ont été immobilisés dans une attelle ou un plâtre. Les patients n’ayant pas été immobilisés ont nécessité moins de visites de suivi en orthopédie (moyenne de 0,9 pour l’absence d’immobilisation c. 1,2 pour la botte de marche et 2,1 pour l’attelle ou le plâtre [p < 0,001]) et moins de radiographies (moyenne de 0,4 pour l’absence d’immobilisation c. 0,5 pour la botte de marche et 1,3 pour l’attelle ou le plâtre [p < 0,001]). Bien que ce ne soit pas significatif sur le plan statistique, possiblement en raison de la petite taille de l’échantillon, des lésions de la peau ont été notées chez 17 % des enfants du groupe attelle ou plâtre10.
La durée de l’immobilisation était de 3 ou 4 semaines12, mais Schuh et coll. ont observé que les enfants qui présentaient une fracture des premiers pas étaient ambulatoires plus tôt (p < 0,001) s’ils n’étaient pas immobilisés, soit après une moyenne de 4,1 jours (IC à 95 % de 2,8 à 5,9), comparativement aux patients immobilisés par une botte de marche articulée et une attelle ou un plâtre (moyenne de 27,0 et 27,5 jours, respectivement)10.
Investigation de la fracture des premiers pas
Les médecins de famille doivent envisager le diagnostic différentiel chez les enfants dont les symptômes évoquent une fracture. Il faut envisager le cancer, les processus infectieux et les affections inflammatoires des os13, tout comme la possibilité d’une blessure non accidentelle14. Il est nécessaire de bien comprendre les événements liés à la fracture spiroïde isolée du tibia, mais la fracture en soi ne doit pas être considérée pathognomonique d’un traumatisme non accidentel14. Dans un résumé d’étude, un groupe a rapporté que les caractéristiques des fractures du tibia et les caractéristiques démographiques des patients étaient corrélées avec le risque de blessure non accidentelle. Ils ont observé que l’absence d’un mécanisme de la blessure, l’âge inférieur à 18 mois, les nourrissons n’ayant pas commencé à marcher, et un parent non marié ou monoparental étaient associés à un risque accru de traumatisme non accidentel (p < 0,005), et ces facteurs devraient être consignés dans le dossier de chaque patient15.
Conclusion
Les fractures des premiers pas suivent parfois un incident mineur comme une chute ou un trébuchement, mais il est possible qu’il n’y ait pas de description claire de la blessure. Deux ou 3 clichés radiographiques sont recommandés, et une fois le diagnostic posé, il est recommandé d’immobiliser la jambe de l’enfant avec une botte de marche articulée ou une courte attelle postérieure de jambe, mais pas un plâtre. Un parent ou le médecin de famille devrait enlever l’attelle dans les 3 ou 4 semaines.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Le Dr Algarni est membre du programme PRETx et le Dr Goldman en est le directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2018 issue on page 740.
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