Nous vivons dans une société mondialisée, mais la plupart des écoles et des manuels de classe nous racontent encore des histoires dépassées d’un seul pays ou d’une seule culture. La vérité est qu’il n’existe plus de pays indépendants.
Yuval Noah Harari1
IIl est difficile d’imaginer des pays plus différents l’un de l’autre que le Canada et le Brésil. Ou le sont-ils vraiment ? Les 2 pays sont situés dans des hémisphères différents et dotés de climats complètement différents, mais ils ont beaucoup en commun. Ce sont 2 grands pays (la taille de ces 2 pays est pratiquement identique)*,2. Ils sont tous 2 confrontés à des défis en matière de communication et de transport, et doivent trouver des façons novatrices de fournir des soins de santé à une importante population diversifiée et dispersée.
Un message clé de la première version des articles Besrour, une série sur la médecine familiale et la santé mondiale publiée dans Le Médecin de famille canadien depuis 2015, peut se résumer comme suit : La médecine familiale désigne des choses bien différentes en fonction du contexte, et l’étudier à l’échelle globale devient difficile3. Comment recueillir des données sur une discipline qui est si différente d’un continent à l’autre ? Dans cette série, nous avons tenté de répondre à cette question à l’aide de différentes méthodologies, y compris des approches historiques4, philosophiques5 et narratives6.
Renforcer les soins primaires au Canada et au Brésil
Une question reste en suspens : comment comparer les données recueillies sur la médecine familiale dans divers pays et continents ? Dans la prochaine série d’articles, nous comparerons 2 pays qui ont effectué des développements parallèles afin de renforcer les soins primaires au cours des dernières décennies. Les comparaisons entre pays ne datent pas d’hier, mais elles sont désormais plus rigoureuses et mieux acceptées comme façon de générer de nouvelles connaissances, particulièrement pour mieux expliquer les politiques en matière de santé ou les phénomènes du système de santé7. Le Brésil et le Canada ont un intérêt commun dans la promotion de la médecine familiale en tant qu’élément clé de leurs systèmes de santé. Ces 2 pays sont déterminés à apprendre l’un de l’autre et ont collaboré au cours de la dernière décennie dans le cadre d’activités conjointes visant à améliorer les capacités en médecine familiale. En cette année charnière qui marque le 40e anniversaire de la Déclaration d’Alma-Ata et de la mise sur pied du système national de santé brésilien (il y a 30 ans), nous commencerons, dans ce numéro du Médecin de famille canadien, à décrire les succès et les défis rencontrés dans les 2 pays pour renforcer les soins primaires.
Le premier article (page 811) contient les principes de base qui sont importants pour les 2 systèmes, y compris le développement du leadership en médecine de famille et la nouvelle stratégie brésilienne pour les soins de santé primaires8. L’augmentation de la capacité a été associée au développement de soins pluridisciplinaires dans les 2 cas. Cependant, les auteurs suggèrent que cela doit être équilibré en ajoutant la confiance comme principe clé de tout système – tant la confiance avec, qu’entre les membres de l’équipe paramédicale, et ce, sans perturber la confiance entre les patients et leurs médecins. Un 2ième niveau de confiance — la confiance dans le système — est tout aussi important pour éviter les menaces à la prestation publique de soins. Ces tensions seront familières pour plusieurs lecteurs du Canada et d’ailleurs.
Possibilités et leçons
Les prochains articles contiendront des commentaires, de la recherche et des analyses issus de la collaboration canado-brésilienne. Au cours de la série, nous tirerons des leçons importantes et présenterons des contrastes entre les 2 pays, plutôt que de simplement décrire les systèmes en parallèle. Par exemple, un article comparera les défis actuels auxquels sont confrontés le Brésil et le Canada, dont les changements démographiques et les situations critiques des populations de nouveaux arrivants, afin de poser un regard sur les faiblesses des 2 systèmes. Nous découvrirons que les services en santé mentale sont le point faible des 2 pays et que la réforme des soins primaires est perçue comme essentielle pour surmonter cet obstacle dans les 2 cas.
Malgré le vaste territoire géographique et la faible densité démographique dans des régions particulières de chaque pays (les régions nordiques de ces 2 pays), la télémédecine peut encore prendre de l’expansion au Brésil et au Canada. Un autre article présentera les contrastes entre les différents parcours des initiatives de télémédecine en fonction des cadres législatifs sous-jacents. Au Brésil, il est encore illégal de joindre un patient par téléphone pour lui donner des conseils médicaux. Par conséquent, la télémédecine se tourne surtout sur la communication entre professionnels de la santé et le rationnement des listes d’attente, et donne d’excellents résultats. Au Canada, l’accent a été mis sur les téléconférences entre médecins et patients dans des milieux de soins éloignés pour réduire les frais de déplacement et faciliter l’accès. Dernièrement, les modèles de consultation électronique ont démontré l’efficacité de la communication virtuelle entre praticiens au Canada, et nous pouvons examiner les modèles brésiliens pour nous guider afin de faire croître ces activités.
Cette série inclura de la recherche originale qui compare le rendement en soins primaires à Rio de Janeiro, au Brésil, et à Toronto, en Ontario, à l’aide de l’Outil d’évaluation en soins primaires. Les scores obtenus avec cet outil dans les 2 villes étaient semblables, mais au-dessus du minimum souhaité. Les données suggèrent une plus grande hétérogénéité dans les réponses provenant de Rio de Janeiro. Les auteurs concluent que les soins primaires doivent encore faire l’objet d’investissements pour atteindre leur plein potentiel, et ils suggèrent des stratégies pour améliorer l’accès, la continuité et la coordination des soins, y compris l’utilisation de modèles de télémédecine. Une leçon importante pour le Canada pourrait être de tenir compte à nouveau des zones géographiques dans la planification des services de santé.
Regard sur l’avenir
Un autre article se penchera sur le développement de l’excellence dans les programmes d’études postdoctorales et l’expérience de Rio de Janeiro dans l’élaboration d’un curriculum axé sur les compétences avec le soutien de professionnels de la santé du Canada. Malgré cette collaboration, il existe d’importantes différences entre les 2 pays. Par exemple, certains programmes de résidence en médecine familiale au Brésil existent à l’extérieur de la structure universitaire, ce qui met en valeur l’importance de la planification centralisée.
D’autres contributions sont encore à l’étape embryonnaire, et nous invitons les lecteurs à nous faire part de leurs idées et à proposer des thèmes à comparer entre les pays. Il est facile de se concentrer sur son propre contexte, et tous les défis et les forces qui nous sont familiers. Cependant, cela peut mener à une fausse impression de sécurité ou même au cynisme. La familiarité est un prérequis nécessaire à l’efficacité, mais elle peut aussi faire obstacle à l’innovation. En regardant plus loin que ce qui se fait chez nous, nous voyons d’autres possibilités.
Il existe une différence flagrante entre les réalités brésiliennes et canadiennes : celle de l’autorité. Malgré certaines frustrations qui nous sont familières, les médecins de famille du Canada détiennent encore, d’après les normes mondiales, une autonomie inhabituelle et une grande influence sur leurs milieux de travail immédiats. L’hétérogénéité qui en découle peut rendre difficiles l’organisation et le développement d’initiatives en soins primaires. Cependant, les ordres de médecins au Canada offrent également une occasion unique de plaidoyer et d’influence à l’échelle du système.
Nous espérons que les lecteurs canadiens et brésiliens apprécieront cette 2ième série d’articles Besrour. Nous espérons aussi que les leçons tirées de chaque contexte aideront les praticiens et les patients de ces 2 pays. Dans notre société mondialisée, nous sommes tous beaucoup plus proches les uns des autres que nous ne pourrions l’imaginer, et nous nous rapprochons davantage au fil du temps.
Footnotes
↵* Le Canada possède une superficie d’environ 9,98 millions de km2, tandis que le Brésil couvre environ 8,51 millions de km2. Cependant, la masse terrestre (c.-à-d., la surface du pays excluant les plans d’eau) se ressemble davantage : 9,09 millions de km2 c. 8,46 millions de km2, respectivement. Le Brésil est cependant beaucoup plus peuplé, avec un peu plus de 200 millions d’habitants comparativement à environ 35,6 millions au Canada2.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2018 issue on page 795.
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