Une infection des voies urinaires (IVU) est à l’origine de la fièvre chez 7 % des nouveau-nés malades, 13,6 % des nourrissons fébriles de moins de 1 an et 10 % des enfants traités à l’urgence1,2. On estime que 7 % des filles et 2 % des garçons auront au moins 1 épisode d’IVU avant l’âge de 6 ans3. L’infection des voies urinaires est plus fréquente chez les filles, et chez les garçons non circoncis de moins de 5 ans4. L’IVU se présente très différemment dans la population pédiatrique, ce qui complique son diagnostic.
La norme des soins actuelle est l’antibiothérapie chez tous les enfants qui présentent une IVU, en raison du risque d’insuffisance rénale et d’hypertension. On signale que la prévalence de dommages rénaux considérables, notamment une réduction du taux de filtration glomérulaire ou des anomalies observées à l’urographie intraveineuse, s’élève à 0,4 % chez les enfants fébriles souffrant d’une IVU dont l’anatomie rénale est autrement normale, et jusqu’à 56 % chez les enfants de 1 à 12 ans porteurs d’anomalies rénales connues, comme un grave reflux vésico-urétéral bilatéral5,6. De plus, entre 2 et 6 % des adultes souffrant d’hypertension ont des antécédents d’IVU fébrile6. Enfin, on a observé, chez jusqu’à 15 % des enfants ayant eu un premier épisode d’IVU, des cicatrices rénales (telles que mesurées par scintigraphie à l’acide dimercaptosuccinique) qu’on a associées au développement de l’hypertension7.
Bactériurie asymptomatique
La bactériurie asymptomatique (BUA) se caractérise par la détection de cultures positives (≥ 105 d’unités formant colonies par mL d’urine) du même uropathogène dans 2 spécimens consécutifs d’urine, en l’absence de symptômes urinaires. On estime que la prévalence de la BUA se situe à moins de 1 % chez les nouveau-nés à terme, à 3 % chez les enfants d’âge scolaire et à 1 % chez les enfants plus âgés8,9.
Comme dans le cas de l’IVU symptomatique, la BUA est généralement attribuable à des bactéries à Gram négatif comme l’Escherichia coli; toutefois, les souches bactériennes associées à la BUA expriment moins de facteurs de virulence que les souches de bactéries en cause dans l’IVU fébrile, et il a été démontré qu’elles ont des gènes différents qui codent la production de fimbriæ, ces dernières jouant un rôle important dans la capacité d’ascension de l’E coli dans les voies urinaires10. De plus, des études in vitro d’une souche d’E coli isolée chez un patient souffrant de BUA ont révélé sa capacité de supplanter l’E coli uropathogène dans l’urine humaine, laissant présager un avantage sur le plan de l’adaptation11. Ces altérations dans cette souche d’E coli pourraient permettre de supposer une évolution de l’organisme pour mieux s’adapter à une survie à long terme dans l’hôte humain11.
La réaction de l’hôte à la BUA est aussi modifiée par comparaison à celle dans l’IVU symptomatique. Les interleukines (IL) 6 et 8 sont d’importantes protéines proinflammatoires exprimées en réponse à une infection. Dans une étude réalisée à la fin des années 1990, respectivement 63 et 76 % des enfants de moins de 6 ans souffrant d’une IVU fébrile avaient des taux urinaires élevés d’IL 6 et d’IL 8. Dans la même étude, aucun enfant ayant une BUA n’avait de taux urinaires élevés d’IL 6, et seulement 30 % avaient des taux urinaires élevés d’IL 812. On s’est récemment intéressé au rôle exercé dans la susceptibilité aux IVU par le récepteur 4 de type Toll (TLR), une protéine transmembranaire importante dans la signalisation et l’activation cellulaires du système immunitaire inné. Quoique de multiples TLR soient impliqués dans la reconnaissance bactérienne, le TLR-4 a fait l’objet de vastes études dans le contexte des IVU en raison de sa localisation sur les cellules épithéliales des reins et de la vessie13. Une étude auprès de patients de 1 à 20 ans a révélé que l’expression du TLR-4 est réduite de près de 50 % chez les enfants souffrant d’une BUA en comparaison de ceux atteints d’une IVU symptomatique, ce qui pourrait contribuer à la faible réponse immunitaire des muqueuses aux bactéries dans la BUA14. Une analyse subséquente de la séquence promotrice du TLR-4 a fait valoir un moins grand nombre de variantes dans les génotypes et une expression réduite chez les patients ayant une BUA par rapport à ceux souffrant d’une IVU symptomatique, étayant davantage les altérations dans le TLR-4 au niveau génomique dans le cas d’une BUA15.
La combinaison des altérations tant aux caractéristiques bactériennes qu’à la réponse de l’hôte dans les cas de BUA porte à croire que ce phénomène représente une forme de commensalisme, une relation symbiotique selon laquelle la bactérie en bénéficie et l’hôte n’en dérive aucun bienfait ni préjudice. De fait, les inoculations intravésicales d’une souche modifiée d’E coli isolée chez des patients ayant une BUA ont servi pour traiter des IVU récurrentes dans la population adulte avec un certain succès16.
Traiter ou ne pas traiter
À la fin des années 1950 et au début des années 1960, Kass avait réalisé des travaux novateurs dans l’évaluation de l’antibiothérapie pour la BUA chez les femmes enceintes, ce qui avait permis de réduire l’incidence des pyélonéphrites. Les résultats ont ensuite été extrapolés à l’ensemble de la population sans études cliniques appropriées, d’où un traitement généralisé des BUA avec des antibiotiques17,18. Des études subséquentes dans différentes populations ont fait ressortir des préjudices plutôt que des bienfaits résultant du traitement de la BUA, y compris chez les enfants.
La bactériurie asymptomatique se règle spontanément avec le temps dans la plupart des cas. Dans une étude de suivi sur 6 ans auprès de 50 nourrissons chez qui on avait diagnostiqué fortuitement une BUA lors d’un dépistage à l’aide d’un prélèvement par aspiration suprapubienne (parmi 3581 nourrissons choisis au hasard pour déterminer les avantages d’un dépistage urinaire durant la petite enfance), il a été déterminé que sans traitement, 72 % des cas d’infection se sont réglés d’eux-mêmes et 20 % ont connu 1 autre récurrence asymptomatique19. Deux des nourrissons ont développé une pyélonéphrite dans les 2 semaines suivant le dépistage, mais aucun n’avait subi de dommages rénaux après un suivi de 32 mois. Un rapport de suivi a fait valoir une persistance médiane de la BUA de 1,5 mois chez les garçons et de 2 mois chez les filles20. Une analyse rétrospective d’échantillons d’urine prélevés auprès de 54 filles âgées de 3,3 à 15,5 ans qui avaient eu une BUA persistante durant un programme de dépistage scolaire ou un suivi après une IVU a fait valoir une durée médiane de la BUA de 2,5 ans. Par ailleurs, durant cette période, il ne s’était pas produit de changement statistiquement significatif dans les souches de bactéries isolées, ce qui est nécessaire, selon ce que l’on sait, pour le développement d’une infection symptomatique21.
De plus, même sans disparition spontanée, le traitement est souvent sans effet. Un suivi de 4 ans auprès de 63 Écossaises de 5 à 7 ans chez qui on avait détecté une BUA dans des échantillons d’urine prélevés dans des conditions aseptisées lors d’un dépistage scolaire a révélé qu’il n’y avait pas de différences significatives dans le développement d’une infection symptomatique ou l’apparition de dommages rénaux permanents chez celles traitées par antibiotiques par rapport au placebo22. Des résultats semblables ont été constatés dans un suivi de 3 ans auprès de 116 Suédoises de 7 à 15 ans atteintes d’une BUA23.
Enfin, le traitement de la BUA peut poser certains risques. Une étude effectuée en clinique externe auprès de 51 Allemandes de moins de 15 ans chez qui on avait diagnostiqué une BUA après 2 cultures consécutives et qui ont été traitées par antibiothérapie pour une infection sans lien avec la BUA a démontré que 15 % des filles ont par la suite souffert d’une infection causée par une souche bactérienne différente, se traduisant par une IVU symptomatique24.
Populations particulières
Il faudrait envisager de traiter la BUA dans la population spécifique des enfants qui ont reçu une greffe de rein ou qui subissent des interventions invasives aux voies urogénitales. La bactériurie est fréquente après une greffe rénale et touche près de la moitié des récipiendaires durant l’année qui suit l’intervention. Une analyse rétrospective auprès de 176 adultes récipiendaires d‘un rein a révélé une réduction statistiquement significative des IVU symptomatiques après avoir suivi une antibiothérapie pour une BUA25. Une étude auprès de 142 patients pédiatriques récipiendaires d’une greffe du rein, d’un âge moyen de 9 ans, a démontré que 48 % d’entre eux avaient eu une bactériurie durant l’année suivant la greffe26. Parmi les 66 enfants ayant une BUA, 18 % sont subséquemment devenus symptomatiques sans traitement, et chez 81 %, il s’est produit une hausse transitoire de la concentration plasmatique de créatinine; toutefois, dans l’ensemble, le taux de filtration glomérulaire est resté largement intact. Les enfants qui subissent des interventions invasives au tractus urogénital pourraient aussi bénéficier d’un traitement. L’European Association of Urology recommande l’antibiothérapie pour une BUA avant des procédures urologiques, en raison du risque de déchirures de la muqueuse et de la dissémination possible de bactéries27.
Conclusion
Selon les récents progrès dans la recherche, il est préconisé de considérer la BUA comme une entité distincte de l’IVU symptomatique. De plus, contrairement aux recommandations traditionnelles, de récentes données probantes démontrent qu’il y a des bienfaits minimes et des préjudices possibles associés au traitement de la BUA. La recommandation actuelle est de ne pas traiter la BUA dans la population pédiatrique, sauf chez les récipiendaires d’une greffe du rein et les enfants qui subissent des interventions urologiques.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Mme Dahiya est membre et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site Web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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