Les stéatocystomes multiples sont un trouble bénin des unités pilosébacées se manifestant par de nombreux kystes dermiques asymptomatiques. Bien qu’elle se présente le plus souvent de manière sporadique, on pense que la maladie aurait un profil héréditaire autosomique dominant faisant intervenir une mutation du gène de la kératine 171. La description de cas et les options thérapeutiques présentées ci-dessous se veulent un outil d’apprentissage pour reconnaître, diagnostiquer et prendre en charge les stéatocystomes multiples. Le dépistage précoce de la maladie et l’éducation du patient sont essentiels pour alléger le fardeau psychologique associé à cette maladie.
Description de cas
Une femme de 22 ans se présente à une clinique universitaire de dermatologie en raison de nombreuses bosses sur les bras, les cuisses et le tronc qui l’inquiètent. Elle a été recommandée par son médecin de famille pour confirmer le diagnostic de stéatocystomes multiples et parler des options thérapeutiques pour ces lésions esthétiquement gênantes. L’examen physique révèle de nombreux papules et nodules jaunâtres de couleur chair, fermes et mobiles, sur les bras, les cuisses et le tronc, qui ont lentement grossi et se sont multipliés depuis 5 ans (Figures 1A et 1B). Ses antécédents familiaux sont exempts de lésions semblables et l’examen n’a donné lieu à aucune autre observation cutanée.
Bien que l’anamnèse et l’examen physique pointent clairement vers un diagnostic de stéatocystomes multiples, la patiente demande une biopsie pour confirmer le diagnostic. Deux biopsies à l’emporte-pièce ont été prélevées à 2 endroits sur les nodules sous-cutanés, à l’aide d’un emporte-pièce pleine épaisseur de 4 mm. L’histopathologie a révélé des kystes encapsulés, tapissés de plusieurs couches de cellules épithéliales irrégulièrement pliées. L’intérieur des kystes était tapissé d’une épaisse bande d’éosinophiles. Ces constatations ont confirmé le diagnostic de stéatocystomes multiples. Le pathologiste n’a pu élucider le contenu des kystes; mais il est courant d’observer des poils duveteux et des follicules pileux dans la microscopie2.
Stéatocystomes multiples : Nombreux papules et nodules fermes et de couleur chair sur A) le dos et B) l’avant-bras d’une patiente.
Sources d’information
Une revue de la banque de données PubMed a été réalisée le 20 mars 2017 pour relever les études pertinentes à l’aide des titres MeSH ou des mots clés anglais steatocystoma multiplex. La recherche initiale a relevé 231 articles aux fins de sélection (Figure 2). Après examen des résumés et des textes intégraux, nous avons identifié les principaux articles (c.-à-d. rapports de cas ou séries de cas) ayant rapporté les résultats du traitement des stéatocystomes multiples aux fins d’inclusion dans cette revue des options thérapeutiques. De plus, nous avons manuellement examiné les listes de citations, à la recherche d’articles pertinents.
Schéma du processus de sélection des études : Revue sur les options thérapeutiques pour les stéatocystomes multiples.
Message principal
Tableau clinique courant.
Les papules ou les nodules des stéatocystomes multiples apparaissent généralement dans les régions où les unités pilosébacées sont densément concentrées, dont le tronc, les bras, les aisselles, le visage, les cuisses, le cuir chevelu, et moins souvent les organes génitaux et les seins3–6. L’atteinte se manifeste le plus souvent à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, l’âge moyen au diagnostic étant de 26 ans, sans prédominance selon le sexe7. Bien que les lésions soient asymptomatiques, sans potentiel de malignité, les patients recherchent souvent des options thérapeutiques en raison de la détresse psychologique causée par ces lésions esthétiquement indésirables. Le cas décrit ci-dessus représente le tableau clinique classique des stéatocystomes multiples et met en lumière l’importance du rôle joué par le médecin de famille dans le dépistage précoce de la maladie.
Diagnostic.
Bien que les stéatocystomes multiples partagent certaines caractéristiques avec d’autres maladies, le diagnostic repose souvent exclusivement sur l’anamnèse et l’examen physique8. Il n’est pas très utile de procéder à l’analyse pathologique des kystes sébacés, comme ceux observés dans les stéatocystomes multiples, lorsque la malignité n’est pas une préoccupation. C’est pourquoi un diagnostic de stéatocystomes multiples fondé sur les constatations cliniques est souvent justifié, à moins que les soupçons cliniques n’indiquent le contraire8. Si une biopsie est nécessaire, il faut prélever plusieurs échantillons en raison de variations dans les caractéristiques histopathologiques classiques des stéatocystomes multiples2. Une biopsie à l’emporte-pièce pleine épaisseur de 4 mm est recommandée.
Évaluation et diagnostic différentiel.
Malgré la nature bénigne et souvent asymptomatique de cette maladie, il existe une variante inflammatoire appelée sébocystomatose suppurée2. Cette atteinte a été observée chez un patient de sexe masculin s’étant présenté à la clinique pour de nombreuses lésions de stéatocystomes multiples sur la poitrine, dont quelques-unes étaient inflammées (Figure 3). Les lésions inflammées de la sébocystomatose suppurée présentent un risque élevé d’infection, d’écoulement purulent et de cicatrices9. Il est courant d’observer des lésions asymptomatiques jumelées à des lésions inflammées. Les stéatocystomes multiples peuvent aussi imiter d’autres affections cutanées courantes, ce qui est souvent la cause d’erreurs de diagnostic et de traitements inutiles. Les stéatocystomes multiples ressemblent à l’acné vulgaire, aux kystes villeux, aux kystes épidermoïdes ou dermoïdes, à l’hidradénite suppurée, au milium, aux tumeurs de l’infundibulum folliculaire et aux lipomes10.
Sébocystomatose suppurée : Présentation mixte de stéatocystomes multiples avec variante inflammatoire suppurée sur la poitrine d’un patient.
Options thérapeutiques.
Même si les stéatocystomes multiples sont difficiles à traiter, il est essentiel, pour que le patient comprenne bien sa maladie et en ait une juste perception, de connaître toutes les options thérapeutiques offertes, en mettant l’accent sur les possibilités de récidive et les résultats cosmétiques. Au total, 37 publications pertinentes décrivant les résultats du traitement des stéatocystomes multiples ont été relevées et sont résumées au Tableau 13–5,9,11–43. Le traitement vise la réduction substantielle de la taille des kystes, la prévention des récidives, de bons résultats cosmétiques et la satisfaction du patient. Aucun traitement ne prévient la formation de nouvelles lésions. Il est souvent difficile d’obtenir des résultats positifs, puisque les méthodes thérapeutiques comportent souvent des limites. La prise en charge efficace passe le plus souvent par l’éducation des patients, malgré le récent avancement de certaines techniques, notamment :
Résumé des publications disponibles décrivant les résultats du traitement des stéatocystomes multiples
Laser au gaz carbonique : Il a récemment été démontré que le laser au gaz carbonique peut traiter de multiples lésions en une seule séance, avec de bons résultats cosmétiques. Cette intervention ne convient toutefois pas aux gros kystes et elle n’est pas facilement accessible11,12. Cette méthode au laser est comparable à l’excision de la lésion, puisque la longueur d’onde du laser détruit le tissu cutané.
Aspiration à l’aiguille modifiée : L’aspiration à l’aiguille avec extirpation délicate du contenu du kyste s’est avérée profitable, donnant d’excellents résultats cosmétiques5,13,14. Malgré les bons résultats, ce traitement exige une grande habileté et ne convient pas aux kystes qui sont très gros (> 15 mm de diamètre) ou très petits (< 3 mm de diamètre). Le taux de récidive est extrêmement élevé avec cette méthode de traitement.
Techniques chirurgicales modifiées : Les techniques chirurgicales, y compris une incision fine suivie de l’extraction de la paroi du kyste à l’aide de pinces hémostatiques, d’un crochet à veine ou d’une curette, donnent d’excellents résultats cosmétiques, mais sont fastidieuses et invasives4,15–17.
Cryothérapie : La cryothérapie permet de traiter plusieurs lésions à la fois, mais elle est grandement limitée en raison du défigurement qu’elle cause et de son efficacité extrêmement faible9,18.
Prise en charge médicale : La prise en charge médicale par isotrétinoïne orale est le traitement de choix de la sébocystomatose suppurée, car elle réduit grandement l’inflammation9,19,20. Il faut cependant patienter plusieurs mois avant de constater des résultats, et des récidives ont été rapportées après l’arrêt du traitement21,22. Les variantes mixtes de stéatocystomes multiples et de sébocystomatose suppurée pourraient exiger un traitement d’association9,18. L’isotrétinoïne n’a aucun effet sur les lésions non inflammées20. On peut envisager un traitement bref (2 à 4 semaines) par tétracycline orale, clindamycine topique ou un produit nettoyant contenant du peroxyde de benzoyle (c.-à-d. antibiotiques avec propriétés anti-inflammatoires) pour la prise en charge des lésions inflammatoires non infectieuses21,36.
Résolution du cas
Deux semaines après le prélèvement des échantillons aux fins de biopsie, la patiente a été vue à la clinique pour parler de son diagnostic confirmé de stéatocystomes multiples. Après avoir reçu des conseils éducatifs, elle sait que l’affection ne pose aucun risque médical et qu’un traitement n’est pas nécessaire ni recommandé. En raison du grand nombre de lésions et des données étayant qu’un traitement efficace entraîne souvent des cicatrices, la patiente choisit d’éviter tout traitement pour le moment. On lui a demandé de prendre un rendez-vous de suivi si elle observe des changements, y compris une croissance rapide, une décoloration ou une inflammation sévère, qui évoqueraient une infection.
Conclusion
Puisque les données probantes à l’appui des méthodes efficaces de traitement sont limitées, les stéatocystomes multiples sont un diagnostic compliqué sur le plan thérapeutique. Si le médecin est capable d’identifier les nombreux kystes dermiques asymptomatiques et de reconnaître les caractéristiques de multiplication et de croissance progressive des lésions, il pourra expliquer précocement la nature bénigne de la maladie au patient. En outre, il est essentiel de bien comprendre les options thérapeutiques, y compris les risques et les bienfaits, pour gérer les répercussions psychosociales des stéatocystomes multiples. Les patients doivent savoir que les options thérapeutiques efficaces sont fastidieuses et entraînent souvent des cicatrices, et que la récidive est fréquente. Il est indiqué de discuter en profondeur des attentes irréalistes et du risque lié aux traitements inutiles avec cette population de patients, qui sont susceptibles d’espérer des résultats irréalisables.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Les stéatocystomes multiples sont un trouble bénin qui se manifeste par des papules ou des nodules dans les régions où les unités pilosébacées sont densément concentrées, dont le tronc, les bras, les aisselles, le visage, les cuisses, le cuir chevelu et, moins fréquemment, les organes génitaux et les seins. Bien que les lésions soient asymptomatiques, sans potentiel de malignité, les patients recherchent souvent des options thérapeutiques en raison de la détresse psychologique causée par ces lésions esthétiquement indésirables.
▸ Malgré la nature bénigne et souvent asymptomatique de cette maladie, il en existe une variante inflammatoire appelée sébocystomatose suppurée. Les lésions inflammées de la sébocystomatose suppurée posent un risque élevé d’infection, d’écoulement purulent et de cicatrices.
▸ Les patients doivent savoir que les options thérapeutiques efficaces sont fastidieuses et peuvent entraîner des cicatrices, et que les récidives sont fréquentes. Avec cette population de patients, il est indiqué de discuter en profondeur des attentes irréalistes et du risque lié aux traitements inutiles.
Footnotes
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la revue et à l’interprétation de la littérature, de même qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the December 2018 issue on page 892.
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