Les cas de lacérations sont communs dans les cliniques médicales, et environ 8 % de toutes les visites par des enfants et des adultes à l’urgence sont attribuables à des lacérations1. Les enfants des centres urbains qui consultent leur médecin de famille pour une lacération sont souvent envoyés à l’urgence locale pour une suture. Par ailleurs, près de 20 % de la population canadienne vit dans des régions rurales comptant moins de 1000 habitants, où l’accès à l’urgence est limité2,3. Les médecins de famille dans ces régions répondent habituellement aux besoins des enfants dans leur propre clinique. La douleur et l’anxiété influencent considérablement l’expérience pédiatrique4, et les omnipraticiens peuvent réduire la douleur durant la réparation des lacérations en clinique en utilisant un mélange d’anesthésie topique et injectable5.
Anesthésie par infiltration : lidocaïne et bupivacaïne
L’anesthésie par infiltration ou injection, comme la lidocaïne à 1 ou 2 %, est couramment utilisée comme méthode de contrôle de la douleur durant la réparation d’une lacération6. La lidocaïne soulage la douleur en bloquant les canaux calciques dans les fibres nerveuses locales, et son efficacité a été démontrée, en particulier pour les lacérations plus profondes7. L’ajout d’adrénaline peut être utile en raison de ses propriétés vasoconstrictrices sur les vaisseaux sanguins à proximité, qui peuvent réduire la toxicité potentielle d’une distribution systémique du produit anesthésiant et les saignements abondants au site de la blessure8. Pendant de nombreuses années, il était recommandé d’éviter d’utiliser de la lidocaïne avec un vasoconstricteur sur les extrémités digitales, le pénis, le nez et les oreilles en raison de leur approvisionnement sanguin minimal par les parties terminales des artères6; par contre, il a été démontré plus récemment que l’utilisation d’adrénaline était sécuritaire pourvu que la structure vasculaire avoisinante soit intacte9.
D’autres composés anesthésiants sont aussi accessibles, y compris la bupivacaïne, la mépivacaïne, la procaïne et la tétracaïne6. La bupivacaïne a une plus longue demi-vie et son effet anesthésique dure plus longtemps10. Dans une étude randomisée contrôlée à double insu auprès de 104 patients, la douleur était évaluée comme considérablement plus grande, 2 heures après la réparation de la blessure, dans le groupe traité à la lidocaïne que dans celui ayant reçu de la bupivacaïne (p < ,001)11.
L’anesthésie par infiltration est contre-indiquée chez les patients allergiques au produit ou qui ont une infection locale près du site d’injection. Les réactions allergiques à la lidocaïne sont habituellement attribuables au méthylparabène, un agent de conservation utilisé pour son entreposage, mais on peut utiliser de la lidocaïne sans cet agent6. Il pourrait cependant ne pas être pratique d’entreposer de la lidocaïne sans agent de conservation dans une pratique familiale éloignée, en raison de sa rapide péremption. Une allergie à la procaïne ou à la tétracaïne n’empêche pas les patients d’utiliser de la lidocaïne et vice versa, puisqu’elles ont des structures chimiques différentes6.
Administration d’une anesthésie locale : techniques de réduction de la douleur
Il est possible de réduire la douleur causée par les anesthésiques injectables12 en injectant lentement le produit13 et en dirigeant l’aiguille perpendiculairement à la peau, une technique éprouvée pour réduire l’irritation des nerfs sensoriels14. Les médecins peuvent aussi tenter de placer l’aiguille dans les surfaces de la peau déjà anesthésiées14, ou encore commencer l’injection sur les pourtours de la plaie plutôt que dans la peau intacte15.
Le tamponnage avec du bicarbonate est une technique efficace pour réduire la douleur durant l’injection de la lidocaïne, parce qu’une bonne partie de la douleur est attribuable à l’infiltration d’une solution acide16. L’ajout de bicarbonate ramène le pH de la lidocaïne à un niveau neutre, semblable à celui des tissus corporels16. Le tamponnage de la lidocaïne réduit sa durée de conservation à 1 semaine17, mais il a été démontré qu’il réduit les scores de douleur moyens, qui passent (sur une échelle de 10) de 8,2 pour la lidocaïne simple à 4,7 pour la lidocaïne tamponnée (p < ,05)18.
Une méta-analyse de 18 études portant sur 831 patients adultes19 a aussi fait valoir que le réchauffement de l’ampoule de lidocaïne avant l’usage réduisait la douleur. Une analyse combinée a révélé une réduction de la douleur de 11 mm sur une échelle de 0 à 100 mm (IC à 95 % de 7 à 14 mm). Une sous-analyse de 8 études a démontré que la lidocaïne réchauffée et tamponnée était aussi efficace que la solution réchauffée ou tamponnée pour réduire la douleur19. Le réchauffement et le tamponnage combinés avaient un effet additionnel sur la diminution de la douleur chez des sujets en santé volontaires20. Ces constatations n’ont pas été corroborées par une récente étude auprès de patients à l’urgence chez qui les solutions réchauffées, tamponnées ou réchauffées et tamponnées n’ont pas réduit la douleur de manière significativement différente, ce qui porte à croire à l’absence d’un effet synergique en milieu de traumatologie21.
Anesthésie locale sans injection
Il a été démontré que les anesthésiques topiques sont très efficaces pour atténuer la douleur associée à la suture4. Les anesthésiques topiques ont un avantage particulier dans le cas des enfants chez qui il est contre-indiqué de recevoir une anesthésie injectable, qui tolèrent mal les injections ou qui ont une phobie des aiguilles12.
Un composé de tétracaïne-adrénaline-cocaïne fut le premier gel anesthésique topique produit en 198022, mais son utilisation a été délaissée à la suite du signalement d’un certain nombre de décès liés à la toxicité de la cocaïne23–25. De plus, les produits sans cocaïne offrent le même degré de soulagement de la douleur12. En 1996, aucune différence dans l’atténuation de la douleur n’a été constatée dans l’utilisation d’un anesthésique topique (mélange de cocaïne et d’adrénaline) par rapport à de la lidocaïne simple à 1 % chez des enfants26. Plus récemment, une étude randomisée contrôlée auprès de 110 patients a fait valoir qu’une pommade topique de chlorhydrate de lidocaïne était aussi efficace que la lidocaïne injectée, et l’on a constaté une différence moyenne dans la douleur de 0 (IC à 95 % de 1 à 0)27.
Lidocaïne-adrénaline-tétracaïne en gel
Le composé de lidocaïne-adrénaline-tétracaïne (LAT) est un gel topique qui contient 4 % de lidocaïne, 1:2000 d’adrénaline et 0,5 % de tétracaïne28. La lidocaïne procure un soulagement efficace de la douleur et « engourdit » la région affectée par un blocage des canaux calciques, tandis que l’adrénaline agit pour induire une vasoconstriction et assécher la zone touchée, ce qui peut être bénéfique si un adhésif tissulaire est choisi au lieu des sutures5. La lidocaïne-adrénaline-tétracaïne est reconnue pour améliorer les résultats chez le patient pour de nombreuses interventions pédiatriques douloureuses (y compris la mise en place d’une canule intraveineuse29 et les ponctions lombaires30), et elle réduit la nécessité d’une anesthésie par injection31. Le recours au gel LAT pour atténuer la douleur est devenu la norme dans les urgences de grande envergure4, et il est beaucoup moins coûteux que son prédécesseur, le composé de tétracaïne-adrénaline-cocaïne32. Dans une étude contrôlée à double insu contre placebo31, il a été démontré que le gel LAT réduisait la douleur liée à l’injection de lidocaïne avant la suture de manière statistiquement significative. Le LAT s’est aussi révélé efficace utilisé seul pour une réparation de lacération (c.-à-d. sans anesthésique d’appoint par infiltration). Dans une étude auprès de 60 patients adultes, 30 ont été traités sans LAT et tous ont eu besoin d’un anesthésique additionnel par infiltration, tandis que moins de la moitié des 30 autres patients qui avaient reçu du LAT avant le traitement ont nécessité une autre injection de lidocaïne33.
Le gel LAT a principalement été adopté dans les urgences de grande envergure, où l’on se fie fortement aux habiletés des infirmières à cerner les blessures susceptibles de nécessiter une certaine forme de fermeture primaire, et àppliquer le LAT tôt dans le triage, de manière à ce que l’anesthésique ait eu le temps de faire effet pendant que le patient attend de voir le médecin31. Sherman et ses collègues ont constaté une faible adoption des anesthésiques topiques dans une grande urgence pédiatrique tertiaire, où seulement 57 % des patients ont reçu un gel LAT avant une intervention douloureuse4. De plus, on a posé le postulat que le LAT pourrait avoir moins d’utilité en milieu de première ligne, où le temps nécessaire pour engourdir la zone proximale (jusqu’à 1 heure) est plus long que le temps qu’attendrait le patient pour voir son médecin31. En dépit des inconvénients potentiels, il y a lieu d’envisager sérieusement d’utiliser le LAT pour la réparation de lacérations dans le milieu de la pratique familiale4,31,33.
Gels d’améthocaïne et de tétracaïne
Les gels d’améthocaïne à 4 % et de tétracaïne à 4 % sont fréquemment utilisés pour des interventions pédiatriques douloureuses, comme la mise en place d’une canule intraveineuse34. Par ailleurs, ni l’un ni l’autre n’est approuvé pour un usage sur une peau non intacte, et les recherches sont relativement limitées concernant leur efficacité durant la réparation d’une lacération.
Composé de lidocaïne-prilocaïne
Le composé combinant de la lidocaïne à 2,5 % et de la prilocaïne à 2,5 %, sous forme de gel, de crème ou de timbre, n’est actuellement pas homologué pour utilisation sur des muqueuses ou une peau éraflée, ce qui le rend peu utile pour la réparation d’une lacération par suture. Des recherches antérieures ont fait valoir qu’un composé de lidocaïne-prilocaïne peut être efficace sur la peau lésée et les membranes muqueuses31,32, et que son usage non indiqué sur l’étiquette s’est révélé efficace dans la réparation d’une lacération chez des enfants35; par ailleurs, il ne devrait pas être l’anesthésique topique de première intention, surtout étant donné la disponibilité du gel LAT. Dans une comparaison directe entre le LAT et le composé de lidocaïne-prilocaïne sur des plaies ouvertes chez des patients de 1 à 59 ans (âge médian de 8,5 ans), il n’y avait pas de différences significatives dans la douleur et la tolérance entre les 2 traitements. En outre, le LAT est moins coûteux que le composé de lidocaïne-prilocaïne32.
Conclusion
Dans la réparation de lacérations chez un enfant, il importe d’utiliser toutes les techniques possibles pour contrôler la douleur. Il est important que les médecins se préoccupent de la douleur associée à l’injection des anesthésiques locaux. Le contrôle de la douleur devrait être prioritaire dans la prise en charge des enfants souffrant d’un traumatisme mineur. Dans les cas où une anesthésie par infiltration est nécessaire, on peut utiliser de la lidocaïne tamponnée ou réchauffée. On devrait aussi adopter des techniques d’atténuation de la douleur fondées sur des données probantes, comme une infiltration lente dans les rebords de la plaie.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Mme Lambert est membre et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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