
Le Médecin de famille canadien publie ce mois-ci une revue systématique des études ayant évalué l’utilisation médicale des cannabinoïdes (page e78)1. Après avoir identifié 1085 articles et retenu 31 publications pertinentes, les auteurs arrivent aux conclusions suivantes: il existe des preuves raisonnables en faveur de l’utilisation des cannabinoïdes pour les nausées et vomissements associés à la chimiothérapie; ces produits pourraient améliorer la spasticité surtout dans la sclérose en plaques; il n’est pas certain que les cannabinoïdes puissent soulager la douleur, et si tel était le cas, ce ne serait que pour la douleur neuropathique, et les bienfaits seraient alors modestes. En contrepartie, les effets indésirables sont très fréquents, à tel point que les auteurs indiquent que les bénéfices attendus devraient être très élevés avant même de songer à les utiliser. À ce sujet, ils ajoutent:
Les données probantes font valoir que les effets les plus constants des cannabinoïdes médicaux sont des événements indésirables. Les divers effets indésirables sont d’une plus grande ampleur que les bienfaits potentiels pour les problèmes visés1. (Traduction libre)
Les conclusions de cette analyse ne surprennent pas: étude après étude, analyse après analyse, revue après revue2,3, on arrive sensiblement toujours au même constat: les cannabinoïdes ont peu de place dans l’arsenal thérapeutique contemporain sauf dans des situations bien particulières ou en fin de parcours quand rien d’autre n’a fonctionné.
Malgré cela, certains prétendent que les cannabinoïdes pourraient améliorer la qualité de vie des utilisateurs. Or, une publication récente vient contredire cette croyance. Les résultats de cette méta-analyse concluent qu’il n’est pas possible d’établir une relation entre la qualité de vie et la consommation de cannabis4.
Normalement, face à pareils constats, on devrait arrêter de tergiverser sur les bienfaits potentiels du cannabis ou des cannabinoïdes et clore le débat une fois pour toutes. Si ces produits sont si peu efficaces (ou de façon si marginale), génèrent tant d’effets secondaires et ne changent rien à la qualité de vie, il n’y aurait aucune raison de s’en servir, sauf dans des situations bien particulières. N’est-ce pas ce que nous ferions pour toute autre substance?
Mais pas avec le cannabis ou les cannabinoïdes!
On dirait qu’avec ceux-ci, il y a toujours mille et une raisons de croire (ou prétendre?) que la substance pourrait être utile dans une telle ou telle situation; les arguments étant alors toujours les mêmes: pas suffisamment de recherches; preuves insuffisantes; pot inhalé plutôt que cannabinoïdes; plus de tétrahydrocannabinol et moins de cannabidiol; moins de tétrahydrocannabinol et plus de cannabidiol… et quoi encore!
Mais le plus étrange dans cette histoire est certainement le paradoxe sociétal. Si le cannabis est à ce point inefficace, génère tant d’effets indésirables et ne change rien à la qualité de vie, pourquoi donc 3,4 millions de Canadiens en ont-ils consommé au cours de l’année5? Pourquoi ces individus fument-ils du pot dont ils ne connaissent même pas l’origine, acceptent-ils de payer pour une substance dont ils ne sont pas certains de la composition et s’exposent-ils aux risques judiciaires associés à la production, la possession et la consommation d’une substance illicite?
Pour son usage récréatif, me dites-vous? D’accord. Mais qu’entend-on par usage récréatif? Sans doute que la plupart des consommateurs recherchent ses effets psychotropes comme c’est le cas pour toutes les autres drogues, le tabac et l’alcool inclus; qu’ils ont besoin de l’excitation, de l’euphorie ou de la sédation associées à la substance; qu’ils recherchent un mieux-être, même transitoire. Sinon, pourquoi consommeraient-ils donc une substance prétendument inefficace et inutile, et de surcroît accepteraient-ils de payer pour l’obtenir? Il y a là comme un paradoxe. Quoi qu’en dise la science, le cannabis continuera d’être consommé.
Conséquemment, les médecins de famille auraient intérêt à se familiariser davantage avec les cannabinoïdes, comme ils le font pour le tabac, l’alcool et les autres drogues et psychotropes utilisés par certains patients, dans le but de mieux les conseiller et les aider. Et ce, peu importe que la substance soit utilisée à des fins médicales ou récréatives.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada