Le contrôle adéquat de la douleur est un facteur essentiel pour que les adultes plus âgés puissent continuer à vivre de façon autonome, et les opioïdes sont les meilleurs analgésiques pour traiter la douleur de modérée à sévère lorsque les thérapies non opioïdes et non pharmacologiques ont échoué. La volonté médicale et sociétale de traiter la douleur de manière appropriée est maintenant compromise par l’actuel climat de peur entourant le recours aux opioïdes. L’état de déclin causé par la douleur et ses conséquences pourrait entraîner un nombre accru de demandes d’aide médicale à mourir. Serait-il plus facile d’accorder l’aide à mourir que d’en arriver à un bon contrôle de la douleur?
Argument en faveur d’un bon contrôle de la douleur
La douleur chronique incapacitante est plus courante chez les adultes âgés, probablement en raison de la réduction de la flexibilité des systèmes biologiques qui se produit avec l’âge1. Plus les comorbidités sont nombreuses, plus grande est la douleur2, et avec elle, des problèmes de démarche, un déconditionnement, des chutes3, des interférences avec la cognition4 et, éventuellement, une invalidité permanente5. Cette réalité a été en partie démontrée dans une étude comparant les taux de mortalité chez des adultes plus âgés qui souffraient de fractures vertébrales de compression, douloureuses et non douloureuses. Ceux dont les fractures étaient douloureuses avaient des taux de mortalité significativement plus élevés, sur 5 ans d’observation (p < ,001)6. La douleur et ses complications tuent éventuellement, mais pas avant d’avoir causé l’incapacité et nui à la qualité de vie.
Si la douleur des adultes plus âgés était contrôlée adéquatement dès les premiers stades de son apparition, il serait sans doute possible de prévenir la douleur incapacitante et d’éviter la cascade des complications menant à l’invalidité et, possiblement, à la fragilité. Aucune étude randomisée contrôlée comparant le traitement et l’omission de traiter la douleur de modérée à sévère ne recevrait l’autorisation d’un comité d’éthique de la recherche, d’où l’absence de données de grande qualité.
La prise en charge de la douleur exige une approche biopsychosociale. Selon le système de santé, l’accès aux ressources psychologiques et sociales pour les personnes souffrant de douleur chronique peut être limité par l’incapacité de payer. Cette situation est plus fréquente chez les adultes plus âgés ayant des revenus de retraite fixes.
Il existe 3 principales catégories d’analgésiques (excluant les médicaments adjuvants) pour la douleur chronique : l’acétaminophène, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les opioïdes. Il a été démontré que l’acétaminophène, qui est le traitement de première intention pour la douleur, ne réduit pas la douleur et n’améliore pas le fonctionnement dans les cas d’arthrose de la hanche et du genou ou de lombalgie chez les adultes7. Il est aussi prouvé que les anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui sont le traitement de deuxième intention, peuvent être mortels chez les adultes plus âgés, causant l’insuffisance rénale, des hémorragies gastro-intestinales et un risque accru d’incidents cardiovasculaires8. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont recommandés pour une utilisation occasionnelle, au besoin, pour la douleur inflammatoire ou ne sont pas recommandés du tout9,10. Des études comparant les données sur les prescriptions avec les diagnostics posés à l’hôpital11 montrent souvent des taux de mortalité toutes causes confondues plus élevés et plus de fractures chez ceux à qui on a prescrit des opioïdes par rapport à ceux qui ont reçu des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Par ailleurs, il manque des renseignements importants sur les patients, comme la douleur, le fonctionnement, les problèmes de démarche et la maladie mentale, ce qui limite considérablement la capacité de ces études de prouver la causalité. Une méta-analyse sur l’utilisation des opioïdes chez les adultes plus âgés a fait ressortir des résultats statistiquement significatifs relativement à la réduction de la douleur et de l’incapacité physique et à une amélioration du sommeil12, ce qui laisse entendre que les opioïdes pourraient être la meilleure option pour la prise en charge de la douleur plus que bénigne chez les adultes plus âgés13.
Sanctions règlementaires et surveillance accrue
Le pendule en faveur de l’utilisation des opioïdes contre la douleur chronique a balancé à l’autre extrémité de la désapprobation, mouvement accompagné d’une surveillance et d’une réglementation accrues. Depuis une douzaine d’années, l’augmentation des décès reliés aux opioïdes d’ordonnance a été associée au plus grand nombre de prescriptions de médicaments opioïdes. Les données reliant ces 2 faits sont faussées par des problèmes comme le manque de définitions uniformisées utilisées par les enquêteurs sur les décès pour interpréter les constatations toxicologiques post mortem, les variations dans la détermination des circonstances du décès (p. ex. suicide, accident, indéterminées), et la présence concomitante de maladies mentales, de dépendance et de toxicomanie14 qui ne sont pas nécessairement diagnostiquées15 . Quoique les raisons expliquant les décès dus aux opioïdes soient multiples, on a mis l’accent sur les médicaments plutôt que sur la reconnaissance de maladies mentales concomitantes et des déterminants sociaux de la toxicomanie, et sur l’accès rapide aux traitements contre les dépendances.
Des sanctions réglementaires plus sévères et plus nombreuses ont été adoptées en Amérique du Nord. Un récent article de revue aux États-Unis16 documente la réduction des prescriptions d’opioïdes et de la consommation abusive d’opioïdes depuis 2012. Par ailleurs, la hausse des décès par surdose d’opioïdes causés par du fentanyl bon marché, produit dans des laboratoires illicites, puis ajouté à l’héroïne et à d’autres drogues récréatives, se répand actuellement partout au Canada. Il est évident que le problème des surdoses d’opioïdes est complexe et exige une approche de consultation et de solution de problèmes, mais ne justifie pas la stratégie agressive qui compromet les soins à ceux qui utilisent légitimement des opioïdes.
Même avant la « crise des opioïdes », les adultes plus âgés souffrant de problèmes douloureux étaient souvent insuffisamment traités11,17. Mon expérience en tant que médecin de soins palliatifs qui voit aussi des adultes âgés souffrant de douleur chronique est qu’au fur et à mesure de l’escalade de la surveillance et de la réglementation contre le recours aux opioïdes pour la douleur chronique, tous les patients qui utilisent des opioïdes, même ceux qui sont près de la fin de leur vie ou les patients très âgés en soins de longue durée, ont vu leurs doses réduites. J’ai aussi été témoin de l’hésitation générale à utiliser des opioïdes pour n’importe quel problème douloureux chez les aînés. Certains patients racontent que leurs médecins leur a dit que ces médicaments étaient dangereux et pourraient raccourcir leur vie s’ils en prenaient, en proie à la crainte populaire et trahissant les données probantes qui démontrent que ces médicaments sont sécuritaires s’ils sont utilisés de manière appropriée pour les patients qui en ont besoin contre la douleur et la dyspnée aux stades avancés de leur maladie18,19.
Cibler le traitement plutôt que la réglementation des médicaments
L’aide médicale à mourir est maintenant accessible au Canada. J’ai déjà vu des patients qui ont demandé et reçu l’euthanasie après des mois de douleurs intolérables dues à un contrôle insuffisant de douleurs secondaires à des problèmes dégénératifs de la colonne et à des comorbidités multiples.
Serait-il plus facile de demander et d’obtenir la mort après avoir souffert de douleurs incapacitantes que de bénéficier d’un contrôle adéquat de la douleur pour prévenir l’invalidité et le déclin?
Nous devons travailler en collaboration pour améliorer le traitement des dépendances et de la maladie mentale, ces issues qui compliquent la prise en charge de la douleur chronique. Si nous nous concentrons seulement sur la réglementation des médicaments, nous réduirons les prescriptions d’opioïdes dans leur ensemble, ce qui pourrait diminuer la diversion, mais laisser davantage de personnes aux prises avec la souffrance. Les enjeux sont plus élevés maintenant parce que ceux dont les symptômes sont mal contrôlés et en sont à des stades avancés de leur maladie ou de leur invalidité ont accès à l’aide médicale à mourir. Si nous ne trouvons pas de meilleures solutions, il y aura des décès additionnels reliés aux opioïdes, mais ce sera à cause de l’aide à mourir, parce que le système de santé n’aura pas réussi à traiter adéquatement la souffrance.
Footnotes
Intérêts concurrents
La Dre Gallagher accepte des honoraires pour des conférences éducatives de Purdue Pharma.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2018 issue on page 95.
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