Au Canada, 43 % des personnes de 15 ans et plus ont consommé du cannabis durant leur vie, dont 12 % dans l’année écoulée1. Les hommes consomment le cannabis plus souvent que les femmes (16 c. 8 %), et les 18 à 24 ans (33 %) consomment le plus1. Parmi les usagers américains de marijuana, les raisons le plus souvent invoquées pour consommer étaient les fins récréatives dans 53 % des cas, les fins médicales dans 11 % des cas et un mélange des 2 dans 36 % des cas2. Dans beaucoup de pays, dont le Canada, la consommation auto-rapportée de marijuana à des fins médicales, définie ici comme la consommation de cannabis séché ou d’huile de cannabis, se situe souvent dans la fourchette des 15 à 19 % pour des problèmes de santé comme la sclérose en plaques (SP), la douleur chronique et la maladie intestinale inflammatoire3. Le motif le plus fréquent de consommation de marijuana à des fins médicales est la douleur chronique, oscillant entre 58 et 84 % de tous les usagers de marijuana médicale3. Les autres motifs pour consommer sont les préoccupations de santé mentale (comme l’anxiété), les troubles du sommeil et la spasticité causée par la SP3. Une enquête menée auprès d’usagers de marijuana médicale a révélé que 70 % ou plus sont d’avis que la consommation de marijuana médicale soulage du moins modérément leurs symptômes3. Une étude canadienne a conclu que l’indice fonctionnel parmi les usagers de marijuana médicale était inférieur à celui de la population générale, avec des scores de 28 c. 7 à l’évaluation fonctionnelle, respectivement (à l’échelle WHODAS [World Health Organization Disability Assessment Schedule] pour laquelle les scores possibles varient de 0 à 100, les scores plus élevés représentant une piètre fonction)4.
Au Canada, la consommation de marijuana à des fins médicales a fait un bond. En moyenne, le nombre d’usagers inscrits de marijuana médicale au Canada a grosso modo triplé tous les ans depuis 2014, pour passer de 7914 entre avril et juin 2014, à 30 537 en 2015, à 75 166 en 2016 et à 201 398 en 20175. Le pourcentage d’usagers inscrits dans chaque province varie, allant de 0,07 % de la population du Québec à 1,7 % de la population de l’Alberta5. Les cannabinoïdes médicaux, définis ici comme la marijuana médicale et les cannabinoïdes pharmaceutiques, ont été entérinés pour une longue liste de préoccupations médicales et de maux, allant du syndrome du côlon irritable au cancer6. L’enthousiasme parmi les prescripteurs est toutefois variable7,8. Deux enquêtes canadiennes ont montré que les prescripteurs aimeraient recevoir plus de formation et d’orientation en matière de prescription de cannabinoïdes médicaux9,10.
Bien que l’usage de cannabinoïdes ait été encouragé pour une gamme de problèmes de santé, la base factuelle se heurte à la partialité et à l’absence de recherche de haut niveau. Deux vastes synthèses de données probantes ont donné à penser que seuls 3 problèmes de santé s’appuient sur un volume adéquat de données probantes : la douleur chronique, les nausées et les vomissements, et la spasticité6,11. Ainsi, notre Groupe d’examen des données a effectué une revue systématique ciblée des revues systématiques sur l’usage de cannabinoïdes pour ces problèmes de santé, de même que sur ses effets indésirables potentiels. Les cannabinoïdes médicaux incluaient les cannabinoïdes pharmaceutiques (nabilone et nabiximols) et la marijuana médicale. Les questions cliniques portaient surtout sur les cannabinoïdes médicaux à titre de traitement; nous avons donc sélectionné les revues systématiques qui portaient sur des essais randomisés contrôlés afin de s’attacher aux données probantes de plus haut niveau. Notre revue systématique, dont l’évaluation GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation), est publiée intégralement en document d’accompagnement en anglais à ces lignes directrices (page e78)12. L’Encadré 1 présente un résumé de nos recommandations.
Sommaire des recommandations
Recommandation générale
Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux contre la plupart des problèmes de santé en raison de l’absence de données probantes étayant les bienfaits et des torts connus (forte recommandation)
-Les exceptions potentielles sont : certains types de douleur, les NVIC et la spasticité causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière
Gestion de la douleur
Douleur aiguë : Nous recommandons fortement d’éviter les cannabinoïdes médicaux dans la gestion de la douleur aiguë en raison des données probantes étayant l’absence de bienfait et des torts connus (forte recommandation)
Céphalée : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux contre les céphalées en raison de l’absence de données probantes et des torts connus (forte recommandation)
Douleur rhumatologique : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux contre la douleur associée aux affections rhumatologiques (y compris l’arthrose et le mal de dos) en raison de l’absence de données probantes et des torts connus (forte recommandation)
Douleur neuropathique : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux en traitement de première ou de deuxième intention de la douleur neuropathique en raison des bienfaits limités et du risque élevé de torts (forte recommandation)
-Les cliniciens pourraient envisager les cannabinoïdes médicaux contre la douleur neuropathique réfractaire, en tenant compte de ceci (faible recommandation) :
— une discussion avec le patient a eu lieu sur les bienfaits et les risques liés aux cannabinoïdes médicaux contre la douleur
— les patients ont fait un essai thérapeutique raisonnable* avec ≥ 3 analgésiques sur ordonnance† et souffrent de douleur problématique persistante malgré l’optimisation de l’analgésie
— les cannabinoïdes médicaux s’administrent en appoint à d’autres analgésiques sur ordonnance
Douleur cancéreuse en soins palliatifs (fin de vie) : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux en traitement de première ou de deuxième intention de la douleur cancéreuse en soins palliatifs en raison des bienfaits limités et du risque élevé de torts (forte recommandation)
-Les cliniciens pourraient envisager les cannabinoïdes médicaux contre la douleur réfractaire chez les patients cancéreux en soins palliatifs, en tenant compte de ceci (faible recommandation) :
— une discussion avec le patient a eu lieu sur les bienfaits et les risques liés aux cannabinoïdes médicaux contre la douleur
— les patients ont fait un essai thérapeutique raisonnable* avec ≥ 2 analgésiques sur ordonnance† et souffrent de douleur problématique persistante malgré l’optimisation de l’analgésie
— les cannabinoïdes médicaux s’administrent en appoint à d’autres analgésiques sur ordonnance
Types de cannabinoïdes médicaux contre la douleur :
-Si les cannabinoïdes médicaux sont envisagés, nous recommandons un produit pharmaceutique (nabilone ou nabiximols) en traitement initial (forte recommandation)
— La nabilone est utilisée hors indication contre la douleur, et ses données probantes étayant un bienfait sont limitées. Elle est toutefois moins coûteuse que le nabiximols, et la posologie est plus uniforme que celle des formes fumées du cannabis
— Le nabiximols est coûteux et, dans certaines provinces, n’est disponible que sur ordonnance d’un spécialiste ou sur autorisation spéciale. Le nabiximols s’accompagne de données probantes de meilleure qualité que la nabilone
- Si les cannabinoïdes médicaux sont envisagés, nous recommandons d’éviter la marijuana médicale (particulièrement fumée) en traitement initial (forte recommandation)
— Les données probantes en faveur du cannabis fumé sont à risque de partialité, et les conséquences à long terme sont inconnues
— Les concentrations de THC et de CBD des produits sur le marché sont souvent beaucoup plus élevées que les concentrations ayant été soumises à la recherche
Prise en charge de la nausée et des vomissements
Général : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux contre les nausées et les vomissements généraux en raison de l’absence de données probantes et des torts connus (forte recommandation)
- Nous recommandons fortement d’éviter les cannabinoïdes médicaux contre les nausées et les vomissements durant la grossesse ou l’hyperemesis gravidarum en raison de l’absence de données probantes, des torts connus et des torts inconnus (forte recommandation)
NVIC : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux en traitement de première ou de deuxième intention des NVIC en raison de la comparaison limitée avec les agents de première intention et des torts connus (forte recommandation)
- Les cliniciens pourraient envisager les cannabinoïdes médicaux dans le traitement des NVIC réfractaires, en tenant compte de ceci (faible recommandation) :
— une discussion avec le patient a eu lieu sur les bienfaits et les risques liés aux cannabinoïdes médicaux contre les NVIC
— les patients ont fait un essai thérapeutique raisonnable avec les traitements standards‡ et les NVIC persistent
— les cannabinoïdes médicaux sont administrés en appoint à d’autres traitements sur ordonnance
Types de cannabinoïdes médicaux contre les NVIC :
- Si les cannabinoïdes médicaux sont envisagés, nous recommandons la nabilone (forte recommandation)
— Nous recommandons d’éviter le nabiximols et la marijuana médicale (fumée, huile ou produits comestibles) puisqu’ils n’ont pas fait l’objet d’études adéquates (forte recommandation)
— Bien que le dronabinol ait fait l’objet d’études, il a été retiré du marché au Canada
Prise en charge de la spasticité
Général : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux contre la spasticité générale en raison de l’absence de données probantes et des torts connus (forte recommandation)
Spasticité causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière : Nous recommandons d’éviter les cannabinoïdes médicaux en traitement de première ou de deuxième intention de la spasticité causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière en raison de l’absence de données probantes et des torts connus (forte recommandation)
- Les cliniciens pourraient envisager les cannabinoïdes médicaux contre la spasticité réfractaire causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière, en tenant compte de ceci (faible recommandation) :
— une discussion avec le patient a eu lieu sur les bienfaits et les risques liés aux cannabinoïdes médicaux contre les NVIC
— les patients ont fait un essai thérapeutique raisonnable avec les traitements standards (y compris les mesures non pharmaceutiques)§ et la spasticité persiste
Types de cannabinoïdes médicaux contre la spasticité :
- Si les cannabinoïdes médicaux sont envisagés, nous recommandons le nabiximols (forte recommandation)
— Nous recommandons d’éviter la marijuana médicale (fumée, huile ou produits comestibles) puisqu’elle n’a pas fait l’objet d’études adéquates (forte recommandation)
— Les cliniciens devraient envisager la nabilone en raison de son moindre coût; elle est cependant utilisée hors indication et est exempte de données probantes étayant son efficacité (faible recommandation)
CBD—cannabidiol, NVIC—nausées et vomissements induits par la chimiothérapie, SP—sclérose en plaques, THC—tétrahydrocannabinol.
* Essai thérapeutique raisonnable est défini comme un traitement de 6 semaines par une dose appropriée, une augmentation de la dose et la surveillance (p. ex. fonction, qualité de vie).
† Les autres traitements prescrits dans la gestion de la douleur neuropathique sont, sans s’y limiter (et sans ordre particulier) : antidépresseurs tricycliques (p. ex. amitriptyline, nortriptyline), gabapentinoïdes (gabapentine, prégabaline) ou antidépresseurs inhibiteurs sélectifs du recaptage de la noradrénaline (duloxétine, venlafaxine). Le comité était d’avis qu’un essai par ≥ 3 médicaments devrait avoir eu lieu avant d’envisager les cannabinoïdes ou les opioïdes.
‡ Les autres traitements prescrits contre les NVIC sont, sans s’y limiter (et sans ordre particulier) : antagonistes de la sérotonine (p. ex. ondansétron), antagonistes des récepteurs de la neurokinine 1 (aprépitant, fosaprépitant), corticostéroïdes (dexaméthasone) et antagonistes dopaminergiques (prochlorpérazine, métoclopramide).
§ Les autres traitements de la spasticité causée par la SP sont, sans s’y limiter (et sans ordre particulier), les étirements quotidiens, les exercices d’ampleur du mouvement, le baclofène, la gabapentine, le tizanidine, le dantrolène, les benzodiazépines ou la toxine botulinique.
Méthodes
Une fois la revue systématique terminée, le coup d’envoi a été donné aux lignes directrices par la formation du Comité des lignes directrices en matière de prescription (CLDP), qui était composé de 2 omnipraticiens (G.M.A., M.F.), 1 médecin de famille en milieu urbain (J.K.), 2 médecins de famille spécialisés en gestion de la douleur (R.E.D., T.F.), 1 neurologue (K.M.), 1 oncologue médical (X.Z.), 1 infirmière praticienne (N.C.), 1 pharmacien (N.P.B.) et 1 représentante de patients (B.D.). Le comité comptait 11 membres (2 patients membres) au départ, mais 1 représentant de patients s’est retiré en raison d’engagements externes inévitables. Le comité comptait aussi 2 membres sans droit de vote pour aider à guider le processus (pharmaciens gestionnaires de projet : A.J.L., J.R.). Le CLDP avait la responsabilité d’examiner les données probantes, de discuter de leur application en soins de première ligne, de formuler et d’approuver les recommandations à l’intention des cliniciens de première ligne, de participer à la rédaction et à la préparation des lignes directrices, et d’approuver le contenu connexe sur le transfert des connaissances. Les membres du CLDP ont été sélectionnés en fonction de leur profession, ainsi que de leur contexte et de leur lieu de pratique, afin de représenter une gamme de fournisseurs de soins de première ligne de partout au Canada, de même qu’en fonction de l’absence d’un conflit d’intérêts de nature financière. Les conflits d’intérêts réels et potentiels ont été divulgués et sont disponibles en anglais sur CFPlus*. Ces lignes directrices n’ont reçu aucun financement externe et aucun membre du CLDP n’était en conflit d’intérêts.
Comme dans le cas de nos lignes directrices précédentes13, nous nous sommes attachés à créer des lignes directrices factuelles, axées sur les soins de première ligne et sur les patients, et lorsque cela était possible, simplifiées. Nous avons suivi le modèle des Clinical Practice Guidelines We Can Trust14 de l’Institute of Medicine et la méthodologie GRADE15. En soi, l’élaboration des lignes directrices était un processus itératif composé de communications en ligne et de rencontres téléphoniques.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le processus a débuté par la détermination de 3 domaines possibles dotés de données probantes raisonnables relatives aux cannabinoïdes médicaux6,11 et à leurs torts potentiels. Le Groupe d’examen des données a alors effectué une revue systématique détaillée12 des revues systématiques (d’essais randomisés contrôlés) dans les domaines suivants :
cannabinoïdes médicaux dans la gestion de la douleur;
cannabinoïdes médicaux dans la prise en charge des nausées et des vomissements;
cannabinoïdes médicaux dans la prise en charge de la spasticité;
manifestations indésirables découlant des cannabinoïdes médicaux.
Les membres du CLDP se sont penchés sur les résultats des revues systématiques et ont effectué le travail préliminaire avant les rencontres visant à formuler des pensées sur les principales recommandations en soins de première ligne. Les cannabinoïdes médicaux désignaient les cannabinoïdes pharmaceutiques (p. ex. nabilone et nabiximols) et la marijuana médicale. Durant les rencontres, les membres du CLDP ont discuté des données probantes et de leur application, et ont ébauché les principales recommandations. L’ébauche des recommandations s’est poursuivie entre les rencontres, a été partagée avant les rencontres subséquentes, puis a fait l’objet de discussions durant les rencontres. Durant ce processus, les membres du CLDP ont demandé au Groupe d’examen des données de clarifier 7 questions supplémentaires :
Quelles sont les données probantes sur les cannabinoïdes médicaux pour stimuler l’appétit?
Les cannabinoïdes réduisent-ils la fréquence des crises convulsives chez les patients épileptiques?
Peut-on utiliser les cannabinoïdes pour traiter les céphalées?
Y a-t-il eu des cas d’aspergillose pulmonaire et si oui, le cannabis avait-il été fumé ou vaporisé?
Quelle est l’efficacité des cannabinoïdes oraux contre la douleur chronique?
Y a-t-il des données de haut niveau selon lesquelles des proportions différentes de tétrahydrocannabinol (THC) ou de cannabidiol (CBD) influent sur l’efficacité (ou les torts)?
Comment les cannabinoïdes se comparent-ils aux autres médicaments contre la douleur neuropathique?
On a répondu aux 7 questions à l’aide d’une recherche ciblée et abrégée, et d’une récapitulation des meilleures données probantes disponibles. On a discuté des résultats durant les rencontres visant à peaufiner et approuver les principales recommandations.
Les principes de la méthodologie GRADE ont servi à formuler les recommandations15. Les recommandations faibles étaient rendues par les mots « pourrait envisager ». Les fortes recommandations étaient rendues par les mots « nous recommandons » et, pour appuyer particulièrement une recommandation, le comité a aussi inclus l’expression « nous recommandons fortement ». Quatre membres du Groupe d’examen des données (G.M.A., N.P.B., J.R., A.J.L.) ont alors finalisé le premier jet des lignes directrices, lequel a été distribué à tous les membres du Groupe d’examen des données aux fins d’examen et de suggestions. Le Groupe d’examen des données s’est réuni à nouveau pour finaliser les recommandations et le document.
Les lignes directrices ont été remises au Comité de révision par les pairs pour distribution aux cliniciens externes et aux patients aux fins de revue par les pairs et de commentaires. Le Comité de révision par les pairs a compilé les commentaires de 40 personnes et a fait des suggestions pour améliorer le texte. Une fois révisées, les lignes directrices ont été envoyées au Groupe d’examen des données pour recevoir l’approbation finale. Après l’approbation finale des lignes directrices par le Groupe d’examen des données, on a élaboré les outils de transfert des connaissances, y compris le contenu de formation des patients.
Limites des données probantes
Cette revue s’est concentrée sur les meilleures données probantes disponibles. Les revues systématiques ou les méta-analyses et les essais randomisés contrôlés offrent la meilleure possibilité de répondre aux questions en matière de traitement, lesquelles sont au cœur de la prescription de pharmacothérapie. Durant l’examen des cannabinoïdes cependant, même les données probantes du plus haut niveau peuvent faire l’objet d’une partialité multiple et très influente, influant considérablement sur l’évaluation GRADE12. Cela est examiné en détail dans notre revue systématique12, mais les enjeux primaires sont résumés ici.
De nombreuses études comptaient des patients qui présentaient des antécédents de consommation de cannabinoïdes. Cela aurait pu exagérer le bienfait des interventions et presque certainement minimiser les effets indésirables. En fait, 1 revue systématique a révélé que les rares effets indésirables graves, comme la psychose, surviennent surtout chez les patients n’ayant jamais consommé de cannabinoïdes16. L’insu a été examiné dans certains essais randomisés contrôlés en demandant aux patients et aux soignants s’ils pouvaient dire quand les cannabinoïdes ou le placebo étaient utilisés. Dans toutes les études ayant fait état de cette question, la levée de l’insu a été très fréquente (environ 90 %) tant chez les patients que chez les soignants, sans égard au type ni à la dose de cannabinoïdes12. En outre, les essais randomisés contrôlés brefs et à petite population, avec un plus grand potentiel de faux positifs, sont courants dans la recherche sur les cannabinoïdes. Une analyse de sensibilité sur les essais randomisés contrôlés portant sur la douleur chronique a révélé que les résultats des brefs essais randomisés contrôlés de petite envergure étaient positifs, alors que les essais randomisés contrôlés de plus grande envergure et prolongés ont conclu à l’absence d’effet. Les autres préoccupations liées à un risque de partialité dans les essais randomisés contrôlés comprennent l’absence de marqueurs de qualité, comme la répartition dissimulée. Les préoccupations liées à un risque de partialité dans les revues systématiques comprennent l’inclusion irrégulière des essais randomisés contrôlés, les rapports irréguliers des résultats.
Recommandations
Prise de décision éclairée et partagée
En plus des recommandations (Encadré 1), ces lignes directrices fournissent des détails qui encouragent la prise de décision partagée avec les patients. Les recommandations sont aussi reflétées dans l’algorithme simplifié (Figure 1). Le Tableau 1 présente les bienfaits dans des indications précises, y compris la fréquence naturelle (taux d’événements) et le nombre de patients à traiter (avec la durée)12. Le Tableau 2 présente les réactions indésirables courantes, y compris la fréquence naturelle (taux d’événements) et le nombre de sujets traités par sujet lésé12. En dernier lieu, la Figure 2 est une comparaison d’icônes avec fréquences naturelles pour les interventions courantes contre la douleur neuropathique. Cet outil n’entend pas recommander des traitements précis, mais il veut permettre aux cliniciens et aux patients de voir les bienfaits estimés des diverses interventions. Les réactions indésirables, les coûts et les préférences des patients sont des facteurs dont il faut aussi tenir compte lors de la sélection du médicament. Par exemple, bien que les opioïdes à forte dose apportent des bienfaits semblables à ceux de la venlafaxine ou de la prégabaline, les risques et les préjudices liés aux opioïdes à forte dose en font de piètres choix. En supplément, nous fournissons un document d’une page qui résume les aspects clés des lignes directrices et l’information sur la décision partagée, de même qu’un document à distribuer au patient, disponibles en anglais sur CFPlus.*
Les cannabinoïdes pour la plupart des problèmes de santé
Bien que les cannabinoïdes médicaux soient vantés pour leur efficacité à l’égard de divers problèmes de santé, les données probantes étayant cette assertion relativement à la plupart des affections sont rares6. Les présentes lignes directrices abordent la douleur, les nausées et les vomissements, et la spasticité, puisque ces affections s’accompagnent du plus grand volume de données probantes et de recherche étayant un bienfait potentiel. Pour la plupart des autres affections, les données sont insuffisantes ou indiquent l’absence d’un bienfait, ou les 2. Par exemple, les données probantes pour le glaucome consistent en 1 essai randomisé contrôlé mené auprès de 6 patients, qui a conclu à l’absence de bienfait11. Même dans les domaines où la recherche bouillonne, comme la stimulation de l’appétit, les résultats des essais randomisés contrôlés sont en général contradictoires et souvent non significatifs (consulter le supplément en ligne disponible sur CFPlus*). Par exemple, sur les 4 essais randomisés et contrôlés sur la stimulation de l’appétit chez les patients porteurs du VIH, 2 ont donné lieu à l’absence de différence comparativement au placebo, 1 a conclu à une amélioration d’environ 2 kg sous les cannabinoïdes par rapport au placebo, et 1 a conclu que le mégestrol avait amélioré le poids de 8,5 kg de plus que les cannabinoïdes11. Dans le cas des troubles convulsifs, une revue systématique Cochrane a rapporté 4 essais randomisés et contrôlés de faible qualité menés auprès de 9 à 15 patients chacun, et a conclu en l’absence d’information fiable étayant l’emploi des cannabinoïdes pour la prévention des crises convulsives (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*). Depuis, un essai randomisé contrôlé de bonne qualité, mené en 2017, sur l’emploi des cannabinoïdes contre les convulsions réfractaires au traitement dans le syndrome de Dravet (chez des patients de 2 à 18 ans) a montré une réduction des crises convulsives17. Bien que ce soit positif, cette affection ne serait pas prise en charge en soins de première ligne et est donc non pertinente aux présentes lignes directrices en soins de première ligne.
Bien que les préoccupations de santé mentale soient un motif courant de consommation de marijuana à des fins médicales3, les données probantes sont médiocres. Il n’existe pas d’essais randomisés contrôlés ayant porté sur les cannabinoïdes médicaux contre la dépression6. Les données probantes liées à l’anxiété consistent en 1 essai randomisé contrôlé mené auprès de 24 patients qui devaient participer à une activité simulée où ils devaient parler en public, puis rapporter l’amélioration sur une échelle analogique visuelle de l’humeur11. Les données liées à l’état de stress post-traumatique consistent en 1 essai randomisé contrôlé comptant 10 patients ayant conclu en un certain bienfait pour quelques résultats, mais ces résultats contredisaient les résultats des autres recherches sur la consommation de marijuana ayant établi l’aggravation de l’état de stress post-traumatique6. Dans l’ensemble, les données probantes actuelles en faveur des cannabinoïdes médicaux sont insuffisantes pour étayer leur emploi contre les troubles de santé mentale.
Le Groupe d’examen des données recommande d’éviter l’emploi des cannabinoïdes contre la plupart des problèmes de santé, principalement en raison des torts connus évalués au regard de l’absence de données probantes étayant des bienfaits.
Douleur
Les données probantes étaient insuffisantes pour la plupart des sous-types de douleur. Dans les cas de douleur aiguë, 1 revue systématique de 7 essais randomisés contrôlés12 a démontré que comparativement au placebo, l’effet des cannabinoïdes était imprévisible. Dans le cas des céphalées, seul 1 petit essai randomisé contrôlé à méthodologie transversale déficiente a été relevé (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*), ce qui signifie que les données étaient insuffisantes pour recommander les cannabinoïdes contre les céphalées. Dans le cas de la douleur liée aux affections rhumatologiques, 3 revues systématiques ont rapporté des données probantes insuffisantes sur les bienfaits dans la fibromyalgie, l’arthrose, la polyarthrite rhumatoïde et la douleur au dos12. Vu ces observations, et le risque élevé de torts, le Groupe d’examen des données recommande d’éviter l’emploi des cannabinoïdes pour traiter ces affections.
Douleur neuropathique
L’emploi de cannabinoïdes a fait croître le nombre de patients ayant eu un soulagement de 30 % de la douleur chronique (13 essais randomisés contrôlés sur la douleur neuropathique et 2 sur le cancer), avec un ratio de risque de 1,37 (IC à 95 % : 1,14 à 1,64)12. Dans le cas précis de la douleur neuropathique, dans la méta-analyse de la plus grande envergure (9 essais randomisés contrôlés), les cannabinoïdes ont augmenté le nombre de patients ayant eu un soulagement de 30 % de la douleur, avec un ratio de risque de 1,34 (IC à 95 % : 1,04 à 1,74). Comme les méta-analyses sur la douleur chronique étaient plus vastes (≥ 10 essais randomisés contrôlés), nous avons effectué des analyses de sensibilité sur ce groupe d’études avons démontré que les essais randomisés contrôlés plus vastes ou de plus longue durée avaient conclu à l’absence d’effet sur la douleur chronique12. Cela soulève une incertitude considérable au sujet de l’effet réel des cannabinoïdes sur la douleur chronique. En outre, même si on tient pour acquis que les bienfaits estimés sont réels, beaucoup des réactions indésirables sont plus fréquentes que les bienfaits. Lorsque le Groupe d’examen des données a soupesé cette information, ainsi que le fait que de nombreux autres agents sont plus efficaces tout en causant moins de torts, il a conclu que les cliniciens ne devraient envisager les cannabinoïdes que lorsque les patients ont fait un essai thérapeutique raisonnable avec au moins 3 agents établis contre la douleur neuropathique.
Il importe aussi de noter que la plupart des études sur la douleur ont eu recours aux cannabinoïdes en concomitance avec l’analgésie12. Donc, si les cannabinoïdes sont utilisés, ils doivent être administrés en appoint à d’autres analgésiques. Une autre recherche montre que près de la moitié des patients souffrant de douleur neuropathique ont besoin d’au moins 2 agents pour soulager la douleur18. Bien que la neuropathie liée au VIH soit souvent réfractaire aux autres analgésiques, les données probantes en faveur des cannabinoïdes dans cette indication sont teintées de partialité et donc, sujettes à caution. Par exemple, 2 études sur la douleur neuropathique liée au VIH étaient brèves (< 2 semaines) et de petite envergure (34 et 55 patients)11. Ainsi, le Groupe d’examen des données n’a pu formuler une recommandation précise dans cette indication au-delà de la douleur neuropathique générale.
Douleur cancéreuse et liée aux soins palliatifs
La recherche portant sur les cannabinoïdes médicaux contre la douleur cancéreuse et liée aux soins palliatifs n’est pas aussi robuste que la recherche sur la douleur neuropathique. Cependant, le Groupe d’examen des données a considéré le potentiel, quoique non vérifié de manière fiable, de petits bienfaits concomitants sur la nausée et les vomissements et sur la stimulation de l’appétit (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*), de même qu’une moins grande préoccupation quant aux effets à long terme chez cette population. Cela a donné lieu à une recommandation faible en faveur de l’emploi des cannabinoïdes contre la prise en charge de la douleur réfractaire cancéreuse et liée aux soins palliatifs. Lorsque le Groupe d’examen des données a soupesé ces délibérations avec la réalité selon laquelle la prise en charge de la douleur cancéreuse et liée aux soins palliatifs évolue plus rapidement vers une analgésie opioïde que celle d’autres types de douleur chronique, il a conclu que les cliniciens ne devraient envisager les cannabinoïdes que lorsque les patients ont fait un essai thérapeutique raisonnable avec au moins 2 agents établis contre la douleur cancéreuse et liée aux soins palliatifs19.
Nausées et vomissements
En raison de l’absence de données probantes et des torts connus liés aux cannabinoïdes médicaux, le Groupe d’examen des données recommande de ne pas utiliser les cannabinoïdes dans les cas généraux de nausées et de vomissements. En raison des torts additionnels inconnus sur le fœtus causés par les cannabinoïdes médicaux lorsqu’ils sont pris pour soulager les nausées et les vomissements induits par la grossesse ou l’hyperemesis gravidarum, la recommandation en défaveur des cannabinoïdes dans ces affections a été renforcée.
Nausées et vomissements induits par la chimiothérapie
Les nausées et les vomissements induits par la chimiothérapie (NVIC) demeurent une conséquence courante du traitement anticancéreux. Une métaanalyse (7 essais randomisés contrôlés) montre que les cannabinoïdes médicaux (nabilone or dronabinol) aident plus de patients à éviter les NVIC, avec un ratio de risque de 3,60 (IC à 95 % : 2,55 à 5,09)12. Cependant, 4 des 7 essais randomisés contrôlés avaient été menés il y a au moins 35 ans et n’avaient donc pas inclus les traitements utilisés aujourd’hui. En outre, beaucoup d’essais randomisés contrôlés ont suivi les patients pendant 24 heures seulement. Les traitements actuellement recommandés contre les NVIC dépendent de la nature émétogène des protocoles de chimiothérapie choisis et de la classification des symptômes (apparition soudaine, apparition tardive, anticipés). Les traitements contemporains recommandés contre les NVIC sont souvent l’ondansétron, la dexaméthasone et l’aprépitant, avec le métoclopramide prescrit au besoin20. Lorsque le Groupe d’examen des données a soupesé ces considérations, il a conclu que les cannabinoïdes médicaux ne pouvaient être envisagés que dans les cas de NVIC réfractaires aux antiémétiques actuels.
Spasticité
En raison des données probantes limitées étayant l’emploi des cannabinoïdes dans les cas de spasticité (non causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière) et les torts connus liés aux cannabinoïdes médicaux, le Groupe d’examen des données recommande de ne pas administrer les cannabinoïdes médicaux dans les cas généraux de spasticité.
Spasticité dans la SP et les lésions de la moelle épinière
La spasticité est un symptôme courant de la SP et des lésions de la moelle épinière. Concernant la SP, une méta-analyse (3 essais randomisés contrôlés) a montré que les cannabinoïdes médicaux (nabiximols) augmentaient le nombre de patients ayant eu une amélioration de 30 % de la spasticité, avec un ratio de risque de 1,37 (IC à 95 % : 1,07 à 1,76)12. Bien que le nombre d’essais randomisés contrôlés ayant porté sur les lésions de la moelle épinière soit beaucoup moins élevé (3 c. 11 sur la SP), les essais ont en général donné des résultats comparables11. Cependant, le Groupe d’examen des données a reconnu qu’il existe un certain nombre de traitements établis contre la spasticité (par exemple, consulter les lignes directrices du National Institute for Health and Care Excellence21). En outre, le nabiximols est très coûteux et, comme c’est le cas pour tous les cannabinoïdes médicaux, les réactions indésirables sont plus fréquentes que les bienfaits. Ainsi, le Groupe d’examen des données a recommandé de n’envisager les cannabinoïdes médicaux que dans les cas de spasticité causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière réfractaires aux traitements actuels établis. Aussi, le Groupe d’examen des données a souligné l’importance d’établir la différence entre la spasticité et les spasmes, puisque la recommandation ne s’applique pas aux spasmes.
Torts liés aux cannabinoïdes
Les torts liés aux cannabinoïdes étaient uniformes et fréquents dans tous les cas où une ordonnance était envisagée. En outre, les torts étaient uniformes dans les essais cliniques et ils représentent le niveau le plus élevé de données probantes GRADE dans la revue systématique d’accompagnement12. Le Tableau 2 fournit une liste des réactions indésirables12. L’évaluation GRADE des données probantes a commencé par être élevée (tirées de méta-analyses d’essais randomisés contrôlés), pour décroître en raison du risque de partialité et d’imprécisions. L’évaluation GRADE a aussi augmenté en fonction de l’ampleur considérable des effets et des facteurs de confusion qui réduiraient les réactions indésirables (comme l’inclusion sélective d’anciens usagers de cannabinoïdes). Cela signifie que le score final des données probantes GRADE pour les réactions indésirables était élevé.
Dans toutes les études, le risque approximatif de réactions indésirables est respectivement de 80 et de 60 % pour les cannabinoïdes et le placebo, et les abandons en raison de réactions indésirables sont respectivement de 11 et de 3 %12. Le risque global de réactions indésirables est semblable entre les différents types de cannabinoïdes médicaux (tels que le nabiximols ou la marijuana médicale)11. Relativement aux témoins, certaines réactions indésirables comme « se sentir gelé » (35 à 70 % c. 0 à 3 %) et l’euphorie (15 c. 2 %), sont très fréquentes, mais probablement anticipées12. Les autres réactions indésirables, qui étaient potentiellement moins désirables et plus pertinentes pour le comité, sont : sédation (50 c. 30 %), dysphorie (13 c. 1 %), désorientation ou confusion (9 c. 2 %), perturbation de l’attention ou pensées décousues (17 c. 2 %), étourdissements (32 c. 11 %) et hypotension (25 c. 11 %)12.
Notre revue systématique sous-estime les réactions indésirables graves et à long terme en raison de notre recours exclusif à des méta-analyses d’essais randomisés contrôlés. Cela est exacerbé par l’inscription, dans l’essai randomisé contrôlé, d’usagers antérieurs de cannabinoïdes et par la prédominance d’essais randomisés contrôlés brefs et de petite envergure. Ainsi, le risque de psychose semble être sous-estimé16. Les risques d’événements rares, comme le syndrome cannabinoïde (vomissements cycliques) et le syndrome amotivationnel, ne sont toujours pas définis22,23.
Le trouble lié à la consommation du cannabis, qui remplace l’usage abusif de cannabis et la dépendance au cannabis, serait présent chez le cinquième des usagers réguliers de cannabis6. Le risque de trouble lié à la consommation du cannabis est supérieur chez les personnes qui consomment fréquemment, sont de sexe masculin et commencent à consommer à un jeune âge6,24. Toutefois, dans une autre étude portant sur des personnes qui répondaient aux critères du trouble lié à la consommation du cannabis, 67 % avaient diminué leur consommation (ne répondaient plus aux critères) à 3 ans, et 64 % d’entre eux ne consommaient plus de cannabis25. On n’a pas encore élucidé si la consommation régulière à des fins médicales entraînerait un trouble lié à la consommation du cannabis, quelles issues cela aurait et si l’abandon est préoccupant.
Considérations relatives à la prescription
Cannabinoïdes pharmaceutiques (nabilone et nabiximols).
Selon les données probantes et les autorités de marketing du Canada, les ordonnances contre les NVIC doivent se concentrer sur la nabilone, et contre la spasticité causée par la SP ou les lésions de la moelle épinière, il faut utiliser le nabiximols. Le Groupe d’examen des données reconnaît que la nabilone, un cannabinoïde synthétique oral, est utilisée hors indication contre la douleur, et les données probantes étayant ses bienfaits sont limitées. Cependant, elle est relativement peu coûteuse, est remboursée par de nombreux régimes d’assurance-médicaments et peut être administrée de manière plus uniforme en raison de sa présentation en capsules. Le nabiximols, une association de THC et de cannabidiol (CBD), est commercialisé sous forme de vaporisateur buccal. Il est coûteux, est rarement remboursé par les régimes provinciaux d’assurance-médicaments, et certaines provinces canadiennes en limitent la prescription. Le nabiximols s’accompagne néanmoins de données probantes de meilleure qualité dans la spasticité et la douleur neuropathique.
Marijuana fumée et autre marijuana médicale.
Le Groupe d’examen des données reconnaît que lorsque les patients font une demande pour des cannabinoïdes médicaux, ils pensent probablement aux formes fumées et autres formes de marijuana médicale. Cela s’explique par le fait que leurs symptômes ont été soulagés lors de leurs expériences antérieures avec le cannabis; par les gains secondaires liés aux effets connus des cannabinoïdes; par le désir des patients d’utiliser un produit naturel; par l’information obtenue des médias, d’Internet ou des contacts personnels; ou par l’ignorance des autres formes disponibles. Peu importe, les considérations importantes sont nombreuses. Premièrement, la littérature sur la marijuana médicale fumée fait état d’un risque considérable de partialité, y compris l’exagération des bienfaits et la sous-déclaration des torts12. Deuxièmement, les torts à long terme (y compris ceux qui sont liés au fait de fumer le produit) et les effets indésirables graves ne seraient pas adéquatement saisis par les essais randomisés contrôlés, et sont donc en grande partie inconnus. Troisièmement, la posologie de la marijuana médicale est problématique, puisque les concentrations de THC et de CBD varient considérablement entre les produits. En fait, la concentration de beaucoup de produits de marijuana médicale séchée est de 15 % ou plus, alors que la concentration la plus élevée ayant fait l’objet d’études est d’à peine 9,4 %26. En outre, le mode d’administration et le volume consommé par séance peuvent substantiellement modifier l’apport total. Il n’existe pas de données probantes selon lesquelles les différentes présentations de marijuana médicale, comme l’huile de cannabis, soient plus efficaces ou plus sûres que la marijuana médicale séchée. Dernièrement, des cas d’aspergillose pulmonaire ont été signalés chez les patients immunodéprimés (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*).
Dans la littérature médicale, les recommandations portent souvent sur de petites quantités de marijuana à faible concentration27. Par exemple, la posologie initiale recommandée est de 1 inhalation d’un joint contenant un maximum de 9 % de THC une fois par jour27. Cette posologie peut passer à 1 inhalation 4 fois par jour, ce qui équivaut approximativement à un demi-joint par jour (ou 400 mg)27. Les personnes doivent éviter de prendre les commandes d’équipements dangereux ou de s’adonner à des activités potentiellement dangereuses après la consommation. Cela inclut de ne pas prendre le volant d’un véhicule pendant 3 ou 4 heures après avoir inhalé la marijuana médicale, 6 heures après avoir ingéré la marijuana médicale par voie orale, et 8 heures après avoir noté un « high ». Pour plus de détails sur les recommandations précises, la surveillance et l’orientation en matière de prescription de marijuana médicale, nous recommandons de consulter le document d’orientation de Kahan et coll. daté de 201427. Il existe aussi de multiples associations nationales et provinciales, collèges et groupes gouvernementaux qui offrent des politiques et des directives aux prescripteurs (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*). Le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus* fournit un résumé des lignes directrices provinciales et une liste des producteurs autorisés de marijuana médicale. Il faut noter qu’il arrive souvent que les fournisseurs autorisés ne consultent pas les cliniciens autorisés pour ajuster la dose de marijuana médicale et permettent souvent aux patients de sélectionner le type de marijuana médicale qu’ils souhaitent consommer. Il doit être clair que si les patients consomment 5 g (le maximum actuel) de THC à 15 %, cela représente environ 20 fois la dose recommandée de 400 mg de THC à 9 %.
Au moment de la rédaction du présent article, les prix chez les producteurs autorisés (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*) variaient de 4,25 $ à 15 $ le gramme. Sécurité publique Canada a rapporté que le prix moyen (ET) obtenu auprès des producteurs autorisés était de 8,37 $ (2,34 $) le gramme28. Comme la plupart des patients fument 1 à 3 g par jour (comparativement aux 400 mg par jour recommandés)27, le prix typique serait d’environ 250 à 750 $ par mois.
Nous avons indiqué les fournisseurs autorisés qui fournissent de l’espace aux recommandations des cliniciens (consulter le supplément en ligne disponible en anglais sur CFPlus*). En dernier lieu, il faut noter que peu importe la forme de cannabinoïdes consommée, les interactions avec d’autres produits pharmaceutiques sont possibles, surtout les effets accrus sur le système nerveux central.
Conclusion
Les cannabinoïdes médicaux sont problématiques pour les cliniciens, surtout lorsque nous tentons de soulager les symptômes et d’améliorer les fonctions chez les patients dont l’affection est réfractaire aux autres traitements. Les données probantes en faveur des cannabinoïdes sont malheureusement rares dans de nombreux domaines et sont souvent teintées d’une forte partialité, ce qui nous empêche de formuler des recommandations claires. Dans l’ensemble, le Groupe d’examen des données est d’avis que les cannabinoïdes médicaux ne sont pas recommandés pour la plupart des patients et de loin contre la plupart des affections. Dans la douleur neuropathique, la douleur en soins palliatifs, les NVIC et la spasticité causée par la ST ou les lésions de la moelle épinière, ils ne doivent être envisagés que chez les patients dont l’affection est réfractaire aux traitements médicaux standards. Lorsqu’ils sont envisagés, il faut discuter avec le patient des bienfaits limités et des torts beaucoup plus fréquents liés aux cannabinoïdes, et faire l’essai d’abord de cannabinoïdes pharmaceutiques (plutôt que de marijuana médicale). Nous espérons que des essais randomisés contrôlés de bonne qualité ultérieurs viendront clarifier les données probantes et pourra mener à la réévaluation des recommandations. Nous recommandons aussi la surveillance à long terme des cannabinoïdes médicaux afin d’évaluer encore mieux les bienfaits et les torts potentiels pour les personnes et la société.
Remerciements
Les Drs Allan, Korownyk et Kolber ont reçu un appui salarial du Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta. M. Ton, Mme Perry, M. Ramji et Mme Noël ont reçu un appui salarial du programme d’éducation des médecins de l’Alberta Medical Association. Mme Nickel et Mme Lindblad ont reçu un appui salarial du Collège des médecins de famille de l’Alberta. M. McCormack a reçu un appui salarial de la Faculté des sciences pharmaceutiques de l’Université de la Colombie-Britannique. Le travail des autres collaborateurs n’a pas été financé et le projet n’a reçu aucun soutien financier. Ce guide de pratique clinique a été entériné par le Collège des médecins de famille du Canada.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Ces lignes directrices simplifiées en matière de prescription ont été élaborées sous l’angle des soins de première ligne. Les collaborateurs à la rédaction des lignes directrices ont été sélectionnés en fonction de leur profession, et de leur contexte et de leur lieu de pratique dans le but de représenter une gamme d’intervenants clés (surtout en soins de première ligne) de partout au Canada, et en fonction de l’absence d’un conflit d’intérêts de nature financière.
▸ Bien que l’usage de cannabinoïdes ait été encouragé pour une gamme de problèmes de santé, la base factuelle se heurte à la partialité et à l’absence de recherche de haut niveau. Deux vastes synthèses de données probantes ont donné à penser que seuls 3 problèmes de santé s’appuient sur une quantité suffisante de données probantes pour éclairer les recommandations en matière de prescription : la douleur chronique, les nausées et les vomissements, et la spasticité.
▸ Les lignes directrices suggèrent aux cliniciens d’envisager les cannabinoïdes médicaux dans les cas de douleur neuropathique réfractaire et de douleur réfractaire en soins palliatifs, de nausées et de vomissements induits par la chimiothérapie, et de spasticité causée par la sclérose en plaques et les lésions de la moelle épinière, après qu’un essai raisonnable avec les traitements standards eut échoué. Si les cannabinoïdes médicaux sont envisagés et que le patient répond aux critères d’admissibilité, les lignes directrices recommandent de faire d’abord l’essai de la nabilone ou du nabiximols. Les torts sont généralement plus fréquents que les bienfaits; il importe donc de parler des bienfaits et des risques des cannabinoïdes médicaux avec les patients pour lesquels ils sont envisagés.
Footnotes
↵* La divulgation complète des intérêts concurrents, le résumé de 1 page, le document à remettre aux patients, de même que le supplément en ligne sont disponibles en anglais sur www.cfp.ca. Cliquer sur Full text (texte intégral) sous l’article en ligne puis cliquer sur l’onglet CFPlus.
Collaborateurs
Les Drs Allan, Fleming, Kirkwood, Dubin, Findlay, Makus, Zhu, M. Beahm, Mme Lindblad et Mme Crisp, Mme Dockrill et M. Ramji formaient le Comité des lignes directrices en matière de prescription. Les Drs Korownyk, Kolber, Mme Lindblad et Mme Nickel formaient le Comité de révision par les pairs. Le Dr Allan, M. Ton, Mme Perry, M. Ramji et Mme Lindblad formaient le Groupe d’examen des données. Mme Nickel, Mme Perry, M. McCormack, Mme Noël, M. Ramji, M. Ton et le Dr Allan formaient l’équipe de transfert des connaissances.
Intérêts concurrents
Les présentes lignes directrices n’ont reçu aucun soutien financier externe, et aucun membre du Comité sur les lignes directrices en matière de prescription ni aucun autre auteur n’est en conflit d’intérêts sur le plan financier. Les divulgations complètes sont disponibles en anglais sur CFPlus.*
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2018 issue on page 111.
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