
La solitude et le sentiment de n’être pas désiré sont les plus grandes pauvretés.
Mère Thérésa
Récemment, le gouvernement conservateur du Royaume-Uni (R.-U.) a annoncé la nomination d’un ministre de la Solitude1. Cette annonce a été accueillie avec ironie des deux côtés de l’Atlantique mais, comme l’ont fait remarquer des commentateurs plus sérieux, « la solitude est un fléau réel qui peut être diagnostiqué »2.
Presque tous les mardis après-midi depuis quelques années, Anne, une de mes patientes, vient faire une courte visite, habituellement de moins de 15 minutes. La plupart du temps, c’est pour me consulter sur des préoccupations mineures, comme une démangeaison ici, une douleur ou un pincement là, un récent gain pondéral qui l’inquiète. Or, le plus important moment de son rendez-vous survient avant ou après, lorsqu’elle rencontre socialement une autre de mes patientes qu’elle en est venue à connaître et à aimer.
Leur amitié inattendue a commencé lorsqu’elles ont toutes deux découvert qu’elles étaient là pour me voir. Même si elles ne socialisent pas ailleurs que dans la salle d’attente, c’est quand même une amitié, car elles se racontent les événements passés depuis la dernière visite. Elles rient ensemble et terminent souvent leur rencontre par une brève accolade. C’est peut-être le seul contact physique chaleureux de toute la semaine qu’a Anne avec un autre être humain. Comme bien des personnes âgées, Anne vit seule, éloignée de sa famille, et elle souffre d’un problème chronique de santé mentale. Comme l’un de mes collègues le dirait, elle a un score Apgar familial plutôt bas.
À la fin de 2017, une commission du gouvernement du R.-U. a publié les résultats d’une étude d’une durée d’une année sur la prévalence de la solitude au R.-U., réalisée avec l’aide de plus d’une douzaine d’organisations sans but lucratif. Selon le rapport, 9 millions de Britanniques souffrent de solitude, soit 14 % de la population. Parmi les plus vulnérables, comme les aînés et les personnes vivant avec des incapacités, les taux sont bien plus élevés2.
La solitude a été définie comme la perception d’un sentiment d’isolement. Il a été proposé qu’au cours de l’évolution humaine, la solitude a servi à des fins d’adaptation, favorisant la connexion et la reconnexion avec autrui, assurant notre sécurité et notre survie à long terme3.
La solitude est de plus en plus reconnue comme un important déterminant social de la santé3. À la fin de l’enfance et au début de l’adolescence, la solitude cause des problèmes de sommeil, des symptômes de dépression et une mauvaise santé en général. Les mêmes effets sont observés tout au long de la vie, sans compter des visites plus nombreuses chez le médecin à l’adolescence et le recours plus fréquent à l’urgence au début et au milieu de l’âge adulte3. Chez les aînés comme Anne, la solitude est courante (une prévalence se situant entre 28 et 63 %) et elle est reconnue comme un sérieux problème de santé publique associé à un déclin cognitif plus marqué, à la démence, à la probabilité d’une admission en foyer d’accueil, au recours aux soins de santé et à la mortalité plus tard dans la vie3–5. Les problèmes de santé causés par la solitude chez les aînés ne sévissent pas seulement dans les pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et le R.-U. La solitude chez les aînés dans des pays comme la Chine pourrait être tout aussi importante, voire même plus encore6.
Que peut-on faire pour réduire la solitude chez les personnes âgées et atténuer ses effets indésirables sur la santé? Très peu d’interventions sont efficaces, mais celles qui offrent des activités sociales ou du soutien en groupe le sont7.
Les contacts sociaux avec un médecin de famille pourraient-ils réduire la solitude? Des données probantes confirment que les personnes socialement isolées prennent rendez-vous avec leur médecin pour des motifs sociaux plutôt que médicaux. Dans un sondage auprès d’omnipraticiens au R.-U., les répondants estimaient qu’entre 1 et 5 patients par jour venaient à la clinique parce qu’ils se sentaient seuls8.
Ce n’est peut-être pas seulement la consultation avec le médecin qui fait ressentir à nos patients un sentiment de connexion. Ce sont peut-être les connexions établies dans la salle d’attente qui comptent le plus9.
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