L’automutilation non suicidaire (ANS) est un nouveau diagnostic psychiatrique qui décrit la destruction auto-infligée des tissus corporels sans intention suicidaire. Les médecins de famille doivent connaître l’existence de l’ANS puisque sa prévalence s’accroît, surtout chez les adolescents1. L’automutilation non suicidaire est liée à d’autres troubles de santé mentale, comme la dépression et le trouble de la personnalité limite2. Elle est liée à un risque accru de comportements suicidaires, et elle doit être évaluée minutieusement du point de vue de la sécurité3. Nous décrivons ici un cas d’ANS chez une adolescente, qui indique pourquoi il importe que les médecins de famille sachent comment évaluer et prendre en charge cette affection.
Cas
Une adolescente de 18 ans a été recommandée en pratique familiale par l’orienteur de son école secondaire après qu’un de ses enseignants ait remarqué plusieurs coupures sur ses poignets. En réponse à vos questions, la patiente signale qu’elle s’était coupée « parce que ça lui faisait du bien ». Durant l’entrevue, la patiente a expliqué qu’elle a commencé à 9 ans à s’infliger délibérément des blessures, sans vouloir mourir, souvent lorsqu’elle se sentait secouée après que ses camarades de classe l’eurent tourmentée, car les coupures lui donnaient un sentiment de soulagement émotionnel. Dans les 12 derniers mois, elle compte environ 30 jours où elle a pensé à se mutiler, et elle a qualifié ses pensées de très intenses. Ses méthodes de mutilation consistent à se couper ou découper la peau, à se frapper délibérément au point de causer des ecchymoses et à écorcher certaines régions du corps jusqu’à ce qu’elle saigne. Au cours des 30 derniers jours, elle s’est mutilée environ 7 fois. Elle n’avait aucun antécédent d’affections psychiatriques et ne suivait aucun traitement. À l’école, elle réussissait bien, dans une classe appropriée pour son âge. Elle était exempte d’antécédents d’usage abusif de drogues et de violence durant l’enfance. Il n’y avait aucun antécédent familial de trouble de santé mentale. Les examens physique et mental n’ont rien révélé de remarquable. Elle a dit ne pas avoir de pensées ni d’intentions suicidaires et a aussi indiqué qu’elle n’avait jamais tenté de se suicider. La patiente a reçu un diagnostic d’automutilation non suicidaire. En raison de la gravité de son cas (fréquence élevée et nombre de méthodes utilisées), elle a été recommandée en psychiatrie aux fins d’évaluation et de thérapie comportementale dialectique.
Discussion
L’automutilation non suicidaire se définit comme « la destruction du tissu corporel qu’une personne s’inflige délibérément sans intention de se suicider, et pour une raison qui n’est pas acceptée par la société »4. L’ANS était auparavant considérée surtout dans le contexte du trouble de la personnalité limite; mais de récents travaux de recherche démontrent qu’elle se présente dans le contexte d’autres troubles psychiatriques, de même que sous forme d’affection clinique distincte. En conséquence, la Section 3 (« Troubles nécessitant plus de recherche ») de la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux inscrit l’ANS comme un diagnostic distinct5. Le Tableau 1 présente les critères diagnostiques d’ANS tels que décrits dans la 5e édition du Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux5,6.
Critères diagnostiques d’automutilation non suicidaire
Les causes d’ANS sont multifactorielles. La recherche antérieure a proposé un lien étroit entre l’ANS et la violence sexuelle durant l’enfance; mais une méta-analyse a révélé une corrélation modeste, probablement en raison des facteurs de risque psychiatriques communs7. L’ANS prend différentes formes, comme se couper ou découper la peau, se brûler, se frapper du poing, s’écorcher et se briser les os8. On y a recours principalement pour réduire un affect perçu négativement qui est intolérable et pour composer avec les pensées pénibles7. La plupart des personnes commencent à se mutiler durant l’adolescence, entre 13 et 15 ans9. Les adolescents sont à risque particulièrement élevé d’ANS; 14 à 21 % des adolescents vivant dans la communauté ayant fait partie de l’échantillon ont rapporté s’être mutilés au moins une fois dans la vie, et 25 % ont rapporté se mutiler à répétition8,10. La recherche indique que la prévalence d’ANS s’accroît, surtout chez les adolescents, ce qui place fort probablement les médecins de famille en position de premier point de contact pour les patients qui présentent des signes d’automutilation1. L’ANS est aussi préoccupante puisqu’elle est liée à d’autres troubles de santé mentale devant être pris en compte dans le diagnostic différentiel, tels que : dépression, trouble de la personnalité limite, trouble de toxicomanie, retard développemental, trouble de l’alimentation, trouble d’anxiété généralisé et état de stress post-traumatique2. Bien que l’ANS se distingue des comportements suicidaires, on l’observe fréquemment chez les adolescents qui ont déjà pensé au suicide ou qui ont fait une tentative; ainsi, habituellement, les adolescents qui se mutilent et qui ont tenté de se suicider présentent des antécédents prolongés d’automutilation et utilisent plus de méthodes3. Il importe donc que les médecins de famille soupçonnent fortement l’ANS chez les patients qui se mutilent et qui présentent un risque élevé de comportement suicidaire.
La relation entre le médecin de famille et le patient repose souvent sur la confiance établie au fil de nombreuses années; ainsi, les patients qui se mutilent pourraient vouloir en parler à leur médecin de famille d’abord11. Cette relation thérapeutique permet aux médecins de famille d’utiliser les techniques efficaces d’entrevue motivationnelle pour encourager le changement tout en évaluant le risque, et de déterminer quelle serait la recommandation appropriée12. Les questions à poser pourraient traiter de la fonction de l’ANS et de ses effets sur la vie du patient, encourager la réflexion sur les désavantages de poursuivre le comportement d’ANS, et demander au patient de quelles ressources il pense avoir besoin pour arrêter de se mutiler12. L’évaluation de l’ANS consiste d’abord à déterminer la gravité du comportement d’ANS, en fonction de la fréquence et du nombre de méthodes utilisées. Habituellement, la gravité faible se définit comme 10 épisodes ou moins et 1 méthode d’ANS. La gravité modérée se définit comme 11 à 50 épisodes et 2 ou 3 méthodes d’ANS, alors que la forte gravité se définit comme plus de 50 épisodes et plus de 3 méthodes12,13. Il faut ensuite évaluer le risque de comportement suicidaire, qui augmente avec la gravité de l’ANS3,12. Il existe aussi plusieurs questionnaires validés, comme le FASM (Functional Assessment of Self-Mutilation) pouvant évaluer les cas d’ANS14. Les signes alarmants justifiant une recommandation aux services de santé comportementale sont les pensées intenses de suicide durant l’automutilation, de multiples méthodes d’ANS, l’apparition précoce de l’ANS, la durée prolongée de l’ANS (plus de 6 mois), les blessures nécessitant des points de suture ou l’hospitalisation, et la grande fréquence des épisodes (plusieurs épisodes par semaine ou plus de 5 plaies par épisode)12. La recherche propose que l’ANS serait un précurseur du trouble de la personnalité limite, surtout chez les personnes qui à la fois se mutilent et tentent de se suicider; la recommandation précoce aux services de soutien en santé mentale serait donc bénéfique15.
Il n’existe pour l’heure aucun médicament contre l’ANS, mais le traitement pharmacologique devrait cibler tout trouble psychiatrique sous-jacent pouvant compter l’ANS parmi ses symptômes16. Le soutien familial et interpersonnel est essentiel à la mise en œuvre des plans de prise en charge, comme la psychothérapie, afin d’aider le patient à comprendre l’ANS et à utiliser plus de stratégies d’adaptation16. La thérapie comportementale dialectique, habituellement un programme ambulatoire de 12 mois avec des séances hebdomadaires individuelles de thérapie cognitivo-comportementale et d’acquisition des compétences, s’est avérée efficace pour réduire l’ANS chez les patients qui présentent des symptômes graves ou chroniques16,17. De plus, la prise en charge en psychiatrie générale, consistant en gestion de cas, thérapie psychodynamique et gestion des médicaments, s’est révélée efficace à titre de thérapie comportementale dialectique18.
Conclusion
En raison de la relation de confiance prolongée que les médecins de famille entretiennent avec leurs patients, ils sont souvent le premier point de contact pour les patients qui pratiquent l’automutilation non suicidaire. Il importe de connaître l’existence de cette nouvelle affection psychiatrique afin d’assurer la recommandation sans interruption du traitement par thérapie comportementale dialectique et psychothérapie. L’automutilation non suicidaire est liée à la violence sexuelle durant l’enfance et à un risque élevé de comportement suicidaire, lequel doit être évalué de manière appropriée par les médecins de famille. En raison de la prévalence croissante de l’automutilation non suicidaire chez les adolescents, en pratique familiale, les patients à risque élevé doivent être soumis au dépistage régulier.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ L’automutilation non suicidaire (ANS) prend différentes formes, comme se couper ou découper la peau, se brûler, se frapper du poing, s’écorcher et se briser les os, et on y a recours principalement pour réduire un affect perçu négativement qui est intolérable et pour composer avec des pensées pénibles. La recherche montre que l’ANS se présente dans le contexte d’autres troubles psychiatriques, de même que sous forme d’affection clinique distincte.
▸ L’automutilation non suicidaire est liée à d’autres troubles de santé mentale devant être pris en compte dans le diagnostic différentiel, tels que : dépression, trouble de la personnalité limite, trouble de toxicomanie, retard développemental, trouble de l’alimentation, trouble d’anxiété généralisé et état de stress post-traumatique. L’automutilation non suicidaire est liée à la violence sexuelle durant l’enfance et à un risque élevé de comportement suicidaire, lequel doit être évalué de manière appropriée par les médecins de famille.
▸ Il importe de connaître l’existence de cette nouvelle affection psychiatrique afin d’offrir une recommandation sans interruption à un traitement par thérapie comportementale dialectique et par psychothérapie. En raison de la relation de confiance prolongée que les médecins de famille entretiennent avec leurs patients, les médecins de famille sont souvent le premier point de contact pour les patients atteints d’ANS. En pratique familiale, les patients à risque élevé doivent être soumis au dépistage régulier.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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