Savoir ne suffit pas; il faut mettre le savoir en pratique Vouloir ne suffit pas; il faut agir.
Goethe
Les récentes discussions entourant la conception et le développement du cursus axé sur les compétences CanMEDS-Médecine familiale (CanMEDS-MF) mettent l’accent sur les résidents : comment implanter et évaluer les rôles CanMEDS dans les programmes de résidence en médecine familiale1–6. À notre connaissance, il n’existe pas d’études scientifiques qui examinent comment les médecins de famille incarnent les compétences CanMEDS-MF au jour le jour en milieu de travail. Bref, nous pensons que la médecine familiale n’a pas encore systématiquement généré de données probantes quant à l’évaluation véritable du rendement des médecins de famille dans le contexte du cadre CanMEDS comme partie intégrante de la formation continue. De plus, la médecine familiale n’a pas élaboré ni évalué des modèles et des approches de mise en œuvre exemplaires pour effectuer l’évaluation du rendement axée sur CanMEDS une fois en pratique. Compte tenu de la récente tendance à élaborer et à dispenser une formation médicale axée sur les compétences dans le développement professionnel continu (DPC) afin d’améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients, cette absence de données probantes pourrait nuire sérieusement aux pratiques d’évaluation et de mise en œuvre pendant encore bien longtemps. Cette réalité est troublante compte tenu de ce que l’on sait de l’importance des évaluations en milieu de travail dans le contexte desquelles les compétences fondamentales doivent être définies et ensuite mesurées dans tout le continuum de l’apprentissage7. Selon nous, la rareté des ouvrages scientifiques évaluant les compétences CanMEDS-MF des médecins de famille actifs exige notre attention immédiate, et il reste beaucoup de questions à répondre (Encadré 1) avant que la vague des activités de mise en œuvre commence véritablement au Canada.
Questions à prendre en compte
Pour comprendre les facteurs qui favorisent ou empêchent l’utilisation des évaluations axées sur les compétences CanMEDS-MF dans les milieux habituels de la pratique, il faut répondre aux questions suivantes :
Quelle est la prévalence des évaluations axées sur les compétences dans les pratiques familiales canadiennes des diverses régions?
Comment peut-on intégrer les rôles CanMEDS-MF dans les stratégies d’évaluation ou comment peuvent-ils servir de fondement à ces stratégies?
Quels sont les facteurs qui facilitent ou entravent la mise en œuvre de systèmes d’évaluation axée sur les compétences dans les milieux de travail en médecine familiale?
Les rôles CanMEDS-MF sont-ils tous appréciés et valorisés dans les approches des médecins à l’égard du DPC en médecine familiale?
Les évaluations axées sur les compétences en milieu de travail sont-elles efficaces pour modifier les comportements des médecins? Quel est le mécanisme par lequel nous nous attendons à ce qu’une évaluation axée sur les compétences change leurs comportements? Comment pouvons-nous mesurer le mieux les habitudes comportementales cliniques à ce point-ci?
Quelles sont les stratégies précises en cause dans ce genre d’évaluation? Ces stratégies sont-elles corroborées par des données probantes comme étant efficaces pour changer la pratique? Est-il possible d’intégrer d’autres stratégies sous-utilisées, mais potentiellement efficaces, si l’on se fonde sur les données probantes tirées d’autres sources scientifiques?
CanMEDS-MF—CanMEDS-Médecine familiale, DPC—développement professionnel continu.
Évaluation des compétences CanMEDS dans la pratique médicale
La conception, la mise en œuvre et le maintien des évaluations, notamment l’élaboration d’outils pour la rétroaction de sources multiples et les audits suivis d’une rétroaction, sont essentiels pour assurer la formation continue, améliorer la qualité du rendement des médecins et identifier ceux dont le rendement est sous-optimal8–12. De plus, l’évaluation du rendement des médecins contribue à la conformité aux normes les plus rigoureuses de la pratique clinique et, par conséquent, à l’amélioration du rendement des organisations de soins de santé9–13. Les mesures du rendement au niveau micro (p. ex. le rendement d’un clinicien en particulier) intégrées aux mesures du rendement au niveau méso (p. ex. le contexte d’une clinique familiale) reflètent et influencent le rendement du système de santé dans son ensemble (p. ex. au niveau macro)8.
Malgré l’acceptation largement répandue de l’interconnectivité systémique de la qualité, on s’inquiète du peu d’attention consacrée à la recherche évaluative, surtout à l’évaluation des compétences en pratique médicale14,15, même s’il est reconnu que de tels cadres de compétences sont difficiles à implanter16,17. De plus, en dépit de l’importance de l’évaluation en milieu de travail, notamment la rétroaction de sources multiples et l’audit suivi d’une rétroaction, en tant que mode d’évaluation formative du rendement qui peut être efficace, mais varie grandement sur le plan de la pratique professionnelle et du comportement clinique9,10,18, il n’y a eu que très peu de tentatives d’utiliser des épreuves axées sur les compétences pour évaluer le rendement des médecins actifs de manière organisée et systématique16,17. Par exemple, de récentes études évaluatives se penchant sur l’évaluation du rendement des médecins de famille ont corroboré l’existence d’une évaluation des compétences, mais sans que ce soit explicitement dans le contexte du cadre CanMEDS-MF19,20.
Essentiellement, nous nous préoccupons de la question suivante : « Comment fonctionne la formation axée sur les résultats, pour qui fonctionne-t-elle et dans quelles circonstances? » qui, en elle-même, n’est pas nouvelle21. Par ailleurs, nous voulons savoir dans quelle mesure nous atteignons les objectifs d’une pratique médicale axée sur les compétences CanMEDS-MF et, si nous souhaitons former les médecins à prodiguer des soins de grande qualité, il existe des possibilités pour le milieu de l’éducation, limitées dans le temps, d’accepter l’importance d’évaluer ses interventions pédagogiques dans l’ensemble du continuum de l’apprentissage pour inclure le DPC15,22. En utilisant diverses méthodes d’évaluation, nous croyons important de répondre à la question suivante : « La formation médicale axée sur les compétences fonctionne-t-elle, comment, pourquoi et quand? ». Pour ce faire, nous devons nous tourner vers la recherche sur le transfert et l’application des connaissances (TAC) comme ressource conceptuelle, méthodologique et fondée sur des données probantes.
Mettre l’accent sur les changements dans la pratique
Le DPC a pour but ultime de mettre en œuvre de nouveaux comportements cliniques et d’éliminer ou d’abandonner des pratiques désuètes, sans fondement probant et à « faible valeur » pour améliorer les résultats chez les patients23. Par contre, il s’est révélé considérablement difficile de répondre à une question clé24 : « Comment faire pour changer les modes de pratique actuels des médecins et d’ainsi offrir des soins de grande qualité, conformes aux meilleures données probantes, et réduire les erreurs médicales à un minimum? ». Avant de déterminer comment réussir à changer les comportements, nous devons être capables de mesurer les comportements actuels des médecins en milieu clinique8.
Un certain nombre de domaines connexes insistent sur le changement des pratiques (p. ex. la recherche sur le transfert des connaissances, la sécurité des patients et l’amélioration de la qualité). Dans le présent article, nous utilisons l’expression transfert et application des connaissances pour englober ces domaines. Il a été démontré que la surveillance des comportements professionnels sur place et la fourniture d’une rétroaction comparative détaillée aux médecins, y compris des données sur le rendement clinique, servent de stimuli pour changer leurs pratiques18. Par exemple, plusieurs revues de Cochrane font valoir que les interventions éducatives (p. ex. visites éducatives sur place, réunions éducatives, matériel pédagogique imprimé), de même que les audits, la rétroaction et les rappels, changent les comportements professionnels10, 25–27, mais la variabilité est considérable entre les études.
Certains ont affirmé que des progrès substantiels ne peuvent pas se produire avant que nous ayons bâti un meilleur fondement théorique pour comprendre les déterminants des comportements professionnels28,29 afin de clarifier les mécanismes présumés du changement des comportements30 et pour favoriser un savoir cumulatif utilisant un même vocabulaire. Il existe maintenant de nombreuses théories empruntées de disciplines comme la psychologie, la sociologie et la théorie organisationnelle, de même que des théories, des modèles et des cadres qui ont fait leur apparition au sein même de la science de la mise en œuvre pour mieux comprendre les mécanismes selon lesquels il est plus probable que l’application du savoir change les comportements18,30–34. Malgré tout, le monde de l’éducation médicale n’a pas encore mis en œuvre efficacement une approche de transfert des connaissances pour élaborer et fournir des interventions éducatives qui réussiraient à changer les comportements cliniques. Il est évident qu’il faut explorer de nouvelles approches possibles en DPC qui intègrent la TAC et misent sur elle, comme il a été suggéré antérieurement35–39, mais qui n’ont pas encore été mises en œuvre dans le domaine de la médecine familiale.
Conclusion
Le développement professionnel continu et la science de la TAC ont un but commun : améliorer l’exercice de la médecine et la pratique professionnelle en matière de santé et, par conséquent, les soins aux patients et les résultats sur le plan de la santé de la population39–40. Par ailleurs, les cheminements pour atteindre ce but sont différents39, surtout en ce qui a trait au champ d’intérêt bien plus large de la science de la TAC. Les modèles « des connaissances à l’action » insistent sur la détermination des obstacles à la pratique souhaitée (incluant, sans s’y limiter, les besoins de formation individuels des professionnels de la santé) et sur l’adaptation des interventions pour éliminer ces obstacles. La formation professionnelle n’est que l’une des solutions possibles pour régler un ensemble bien précis d’obstacles potentiels qui sont habituellement incomplets (p. ex. nous avons besoin de formation, de changements aux processus de travail et de changements au système).
Étant donné que le modèle « des connaissances à l’action » est complexe et difficile40, une collaboration plus étroite entre les chercheurs du domaine de la formation continue, du transfert des connaissances, de la sécurité des patients et de l’amélioration de la qualité semble souhaitable, sinon essentielle41,42. L’intégration des efforts dans ces 4 domaines, de même que des efforts déployés dans les organisations des intervenants responsables de chaque niveau de la formation et de la pratique médicales, devrait aspirer à élaborer, mettre en œuvre et évaluer rigoureusement des interventions interdisciplinaires plus holistiques et productives afin d’améliorer le rendement professionnel et les résultats chez les patients12,41–43. Nous croyons que le déploiement de ces genres d’interventions produira une pratique observable mieux fondée sur des données probantes, qui se manifestera par des changements dans les habitudes de comportements professionnels et les indicateurs de la qualité24.
La mise en œuvre du cadre CanMEDs ne fait que commencer. C’est donc un moment excitant, mais à brève échéance, pour déployer plus d’efforts afin de voir si nos interventions produisent effectivement des changements dans la pratique des médecins, dans le contexte des efforts pour incorporer les compétences CanMEDS-MF dans les interventions de DPC chez les médecins de famille. Par contre, il nous faut répondre à de nombreuses questions (Encadré 1) pour bien comprendre les facteurs qui favorisent ou empêchent l’utilisation des évaluations axées sur les compétences CanMEDS-MF dans les milieux habituels de la pratique.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2018 issue on page 250.
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