
Un soir à l’urgence, j’ai reçu deux jeunes hommes avec des lacérations. Leurs explications des faits étaient douteuses. J’ai rapidement compris qu’ils souffraient de problèmes liés à la toxicomanie et à leur mode de vie. Ils n’avaient pas de médecin de famille. Je leur ai donc offert de me voir au bureau. Le premier est venu et il semblait avoir une intention sincère de prendre sa vie en main. Le deuxième est venu beaucoup plus tard et il voulait une prescription de cannabis médical.
Il m’a sorti tous les maux du monde pour justifier ce besoin. Aucune des solutions alternatives que j’ai tenté de lui suggérer ne lui convenait. Je lui ai proposé des investigations et d’autres façons de résoudre ses problèmes en lui offrant un suivi. Il m’a quitté en me disant qu’il trouverait un autre médecin pour lui prescrire du cannabis qu’il pourrait fumer.
Une situation comme celle-ci nous amène toujours à nous questionner comme médecin.
D’une part, je me suis demandé si j’avais eu la bonne approche. Est-ce que j’aurais pu gérer la situation autrement pour mieux établir la relation? Mes connaissances étaient-elles à jour pour prendre cette décision? Est-ce que j’avais été trop rigide?
D’un autre côté, j’avais pris plus de temps que prévu avec ce patient pour gérer une demande de prescription médicale qui visait, semblait-il, à justifier la consommation récréative d’une substance illégale. Mes patients suivants ont eu leur rendez-vous en retard pour cette raison.
Dans ce cas-ci, cela avait été plus facile, puisque la demande venait d’un patient qui ne souffrait pas de maladie chronique et avec lequel je n’avais pas de relation de longue date. C’est beaucoup plus compliqué lorsque la demande vient de patients dont je suis le médecin de famille depuis longtemps et que je traite pour des affections chroniques, en particulier des problèmes de santé mentale. Le fait d’avoir à refuser une demande de cannabis médical à ce type de patient peut avoir une incidence sur la relation patient-médecin que nous avons pris des années à bâtir, et cela peut nuire à notre travail.
Nous pourrions discuter longuement des avantages et des risques de la légalisation du cannabis pour la société. Mais, d’un point de vue médical, cela aura au moins l’avantage de réduire l’impact des demandes de cannabis médical sur notre relation patient-médecin. Il y aura encore des avantages pour les gens qui possèdent une ordonnance, mais la pression qui pèse sur nous sera beaucoup moins grande. Nous n’aurons plus à sortir de la criminalité des gens qui font l’usage récréatif de cette substance.
Dans les dernières années, le manque d’information crédible et libre de conflits d’intérêts pour soutenir les médecins face à ce nouveau défi a été un problème. De plus, les renseignements offerts au public par les promoteurs du cannabis et les investisseurs dans ce secteur en émergence ont rendu la situation encore plus difficile dans le bureau des médecins de famille.
Par chance, grâce au leadership de Dr Mike Allan, directeur intérimaire du département des Programmes et du soutien à la pratique au CMFC, nous avons maintenant un outil fiable pour nous aider. Avec un groupe de médecins de famille et d’autres professionnels de la santé, il a produit un guide de pratique sur l’utilisation des cannabinoïdes en première ligne1.
Malgré les multiples vertus associées au cannabis médical, il existe très peu de données probantes sur ses bienfaits, et la seule constante dans les études a été la présence d’effets secondaires indésirables. Le guide de pratique n’en recommande pas l’utilisation pour la majorité des patients et des affections. Pour les quelques problématiques où le cannabis médical pourrait être envisagé, il devrait être réservé aux patients qui ne répondant pas aux autres traitements reconnus. Dans les situations où il est indiqué, il est préférable d’utiliser les cannabinoïdes pharmaceutiques plutôt que la marijuana médicale.
Les guides de pratique ne sont pas tous utiles pour la pratique de première ligne. Le CMFC encourage ceux qui sont élaborés avec une forte participation de médecins de famille et sont dénués de conflits d’intérêts. Dans ce cas-ci, l’objectif déclaré des auteurs de venir soutenir la pratique de première ligne a clairement été atteint. Si j’avais eu accès à cette ressource il y a deux ans, lorsque j’ai rencontré mon patient, je me serais certainement senti beaucoup mieux appuyé dans ma prise de décision.
Le temps nous dira aussi si la légalisation du cannabis aura eu plus d’avantages que d’inconvénients pour la société. Par contre, je crois qu’au niveau médical, elle a le potentiel de réduire le nombre de demandes de prescription de cannabis médical difficilement justifiables d’un point de vue scientifique. Cela sera bénéfique pour notre relation patient-médecin et pour notre ponctualité!
Footnotes
This article is also in English on page 477.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada
Référence
- 1.↵