Principal milieu de formation des résidents en médecine familiale, le site de formation en médecine de famille leur offre la possibilité de prendre en charge leur propre clientèle ambulatoire sous la supervision d’un médecin traitant. Les résidents y travaillent en général trois demi-journées par semaine (qui passent à une demi-journée pendant les stages cliniques plus intenses), organisent les consultations et examinent les résultats des analyses de laboratoire.
Même si ce modèle de soins est largement apprécié pour sa capacité à reproduire le plus fidèlement possible la pratique clinique réelle, il est mis à mal lorsque le patient n’a pas accès au résident qui lui est assigné comme fournisseur de soins, par exemple lorsque le résident est en stage hors programme, en stage à options en région éloignée ou en vacances. Il faut alors fixer au patient un rendez-vous avec un autre résident. Cette situation n’est pas optimale, car on sait qu’une interruption de l’accessibilité et de la continuité des soins est associée à une augmentation des visites aux urgences et des hospitalisations, à une diminution de l’utilisation des services de prévention et à une baisse de la satisfaction des patients1–3. De la même façon, une réduction de la continuité des soins peut compromettre l’expérience éducative des résidents. Dans cette étude pilote, le partage de clientèle, modèle dans lequel les résidents sont jumelés en dyade et prodiguent ensemble les soins à une clientèle de patients commune, permet de relever ces défis cliniques et pédagogiques.
Données probantes de la littérature
Les données publiées sur le partage de clientèle sont extrêmement rares : celles qui l’ont été se limitent en grande partie aux médecins traitants. Cependant, ces études et points de vue démontrent que ce modèle est prometteur pour ce qui est d’améliorer l’accessibilité et la continuité des soins pour les patients4–7. Elles indiquent également une amélioration de la capacité des médecins à optimiser la conciliation travail-famille, à se consacrer à leurs travaux et engagements universitaires et à passer graduellement d’un rôle à l’autre au fil des diverses étapes de leur carrière4.
Étude pilote
Objectif.
Nous cherchions à déterminer si le partage de clientèle entre les résidents d’un site de formation en médecine de famille peut aider à relever les défis susmentionnés en matière d’accessibilité et de continuité des soins pour les patients. Compte tenu de l’importance capitale de la continuité des soins pour la pratique et la culture en médecine familiale, nous avons également cherché à déterminer les répercussions possibles du partage de clientèle sur les expériences éducatives des résidents, particulièrement en ce qui a trait au rôle central des relations patient-médecin. Et avant d’envisager un déploiement du programme dans toute l’unité, nous avons cherché à identifier les défis logistiques qui pourraient se poser.
Conception et contexte.
Au cours de l’année universitaire 2016–2017, nous avons mis à l’essai le partage de clientèle entre des résidents de notre unité de formation (à l’Hôpital Toronto Western du Réseau universitaire de santé de l’Ontario). Quatre résidents ont participé au projet pilote, réunis en deux dyades se partageant une clientèle. Les 24 autres résidents de l’unité, qui continuaient de dispenser les soins selon le modèle traditionnel, nous servaient de groupe témoin. Même si le nombre de résidents participant à l’étude pilote était relativement petit, le nombre de patients et de consultations pendant la période de l’étude était suffisamment élevé pour permettre une analyse raisonnablement pertinente.
Méthodologie.
Chaque clientèle était prise en charge par deux résidents, un de première et un de deuxième année. Tous deux devaient assumer en parts égales la responsabilité des soins des patients de leur clientèle commune, y compris les traiter lorsqu’ils se présentaient à la clinique, examiner les résultats de leurs tests et rapports de consultation et coordonner leurs soins courants. Les patients étaient informés que s’il était impossible de rencontrer un de leurs deux médecins résidents, il était préférable qu’ils prennent rendez-vous avec l’autre (au lieu de prendre rendez-vous avec le premier résident disponible).
Collecte des données et constatations
La collecte des données s’est étalée sur huit mois : 2 728 patients faisant partie des clientèles assignées aux résidents ont été vus par les médecins de la clinique, pour un total de plus de 8 048 consultations. Les femmes constituaient 57 % de l’échantillon de patients. En moyenne par jour, 38 patients assignés aux résidents se présentaient à la clinique. Chaque résident devait en moyenne faire 7,3 consultations par jour, mais ils en ont plutôt fait 6,8 (0,54 patient par jour ne s’étant pas présenté à son rendez-vous). Au début de l’étude, il n’y avait pas de différences statistiquement significatives entre le groupe soumis à l’intervention et le groupe témoin pour ce qui est du sexe des patients, de la durée des consultations, du nombre de patients rencontrés par demi-journée ou du nombre de jours patient/résident en clinique. Toujours en début d’étude, les patients du groupe d’intervention avaient en moyenne 1,8 an de plus que ceux du groupe témoin (P < 0,05). Le Tableau 1, disponible sous l’onglet CFPlus*, fournit des informations complémentaires sur les variables des patients et des résidents.
À l’aide de notre dossier médical électronique, nous avons recueilli des données sur les paramètres associés à l’optimisation des soins de santé (y compris sur la continuité des soins, définie comme étant la proportion des consultations au cours desquelles un patient rencontre le médecin qui lui est assigné, et sur les rendez-vous manqués, définis comme les rendez-vous auxquels les patients ne se présentent pas)8–10.
Utilisant un modèle d’analyse de régression logistique multivariée de la différence des différences, nous avons ensuite rétrospectivement comparé ces variables entre les résidents qui partageaient une clientèle et les 24 résidents constituant le groupe témoin au site de formation. À notre étonnement, nous avons constaté que la mesure de la continuité des soins avait augmenté de 11 % (P = 0,01), alors que le nombre de consultations manquées avait diminué de 24 % (P = 0,01), tant dans le groupe des résidents partageant une clientèle que dans le groupe témoin. La Figure 1 présente les courbes indiquant la probabilité que les patients rencontrent leurs fournisseurs de soins primaires et la probabilité qu’ils ne se présentent pas à leur rendez-vous.
Courbes de probabilité : A) Probabilité que les patients rencontrent leur FSP ; B) Probabilité de non présentation au rendez-vous.
FSP—fournisseur de soins primaires.
À la fin de l’étude pilote, les quatre résidents qui partageaient une clientèle ont également participé à une rencontre en groupe de discussion pour évaluer si le partage de clientèle n’allait pas (au moins subjectivement) à l’encontre des normes éducatives. Nous avons formulé les questions d’entrevue de manière à explorer spécifiquement les aspects se rapportant aux normes d’agrément du Collège des médecins de famille du Canada11. Les résidents se partageant une clientèle ont constaté une amélioration de la continuité des soins pour leurs patients, ainsi qu’une augmentation du potentiel de co-prise en charge, de collaboration et de mentorat avec leurs partenaires. Ils ont noté que le modèle générait une augmentation légère, mais acceptable de la charge de travail. Cette augmentation était toutefois principalement perceptible au début, au moment où les résidents d’une dyade devaient négocier la division du travail. À cet égard, les résidents s’entendaient pour dire que des lignes directrices bien définies, indiquant clairement qui est responsable de quoi, leur auraient été utiles. Ils estimaient également qu’il serait avantageux de fixer à l’avance des moments pour tenir de brèves rencontres régulières, examiner les dossiers des patients communs, résoudre divers problèmes et établir un consensus sur les cas plus complexes et difficiles. Finalement, les résidents ont souligné la nécessité d’une robuste campagne visant à éduquer les patients sur la nature du partage de clientèle afin de gérer les attentes et de maximiser les chances de succès.
Mise en œuvre du partage de clientèle.
Pour maximiser les chances de réussite de l’implantation du modèle de partage de clientèle, une mise en place éclairée et réfléchie sur plusieurs fronts s’impose : division de la charge de travail entre les résidents, engagement des superviseurs académiques, formation du personnel administratif et orientation des patients vers ce modèle de soins. L’encadré 1 fournit un important résumé des mesures à prendre pour réussir la mise en œuvre du partage de clientèle.
Résumé des mesures à prendre pour réussir la mise en œuvre du partage de clientèle
Si vous prévoyez mettre en place un modèle de partage de clientèle entre les résidents de votre unité de formation en médecine de famille, prenez en considération les points suivants :
Lors de la fusion de clientèle, formez des dyades de soignants composées d’un résident de première année et d’un résident de deuxième année. C’est une façon d’optimiser les possibilités de mentorat et, éventuellement, de compenser les diverses tâches cliniques et académiques inhérentes chaque année de formation.
Établissez des attentes claires en ce qui a trait à la division de la charge de travail du soin des patients entre les membres des dyades se partageant une clientèle. Envisagez de déterminer pour chaque patient un prestataire de soins « principal » et un prestataire « secondaire » ayant des rôles et responsabilités légèrement différents, mais clairement définis. (Voir le guide d’orientation à l’intention des résidents sous l’onglet CFPlus* pour des exemples.) Communiquez ces attentes dès le début (p. ex., lors des séances d’orientation des résidents) et fréquemment.
Encouragez les résidents à coordonner leurs horaires pour assurer une prise en charge constante de leur clientèle commune. Par exemple, ils devraient s’organiser pour que leurs périodes de vacances ou de stages optionnels en région éloignée soient complémentaires, et non simultanées.
Veillez à ce que les superviseurs académiques aient une bonne connaissance du partage de clientèle et encouragez-les à surveiller et évaluer la capacité de leurs résidents à travailler harmonieusement avec leur partenaire de dyade (car ce modèle offre une chance unique d’explorer les rôles CanMEDS–Médecine familiale de collaborateur et de communicateur).
Orientez activement les patients vers le modèle de soins. Utilisez divers outils de communication (p. ex., courriels, cartes professionnelles sur lesquelles figurent les noms des deux résidents prestataires de soins). Une fiche d’information des patients est disponible sous l’onglet CFPlus* ; elle peut servir de lecture dans la salle d’attente.
Offrez une formation adéquate aux préposés à la réception et autres membres du personnel administratif afin d’accroître l’engagement et d’optimiser les procédés de gestion de flux de travail (p. ex., prise de rendez-vous, envoi de documents comme les résultats de laboratoire, demandes de renouvellement d’ordonnances).
FSP—fournisseur de soins primaires
Outils et ressources.
Nous avons élaboré divers outils susceptibles de faciliter la mise en œuvre du partage de clientèle. Le guide d’orientation à l’intention des résidents présente le modèle du partage de clientèle aux résidents ; il fournit également des conseils pour régler les problèmes de fonctionnement entre les membres d’une dyade et optimiser leurs chances de réussite. La fiche de renseignements à l’intention des patients explique, en termes clairs et simples, la nature du modèle du partage de clientèle et ses avantages pour les patients ; elle pourrait être distribuée aux patients actuels et nouveaux par les préposés à la réception. Dans un contexte de partage de clientèle, l’algorithme des tâches administratives soutient le personnel administratif en distribuant correctement l’information ou les tâches. Et finalement, l’algorithme de planification des rendez-vous peut aider les préposés à la réception à systématiquement donner aux patients des rendez-vous avec l’un ou l’autre de leurs deux médecins traitants. Ces outils sont disponibles sous l’onglet CFPlus*.
Conclusion
Notre étude pilote a démontré que le partage de clientèle entre les résidents améliorait la continuité des soins et réduisait le nombre de rendez-vous manqués, deux éléments qui constituent des problèmes courants et importants dans de nombreuses unités de formation en médecine de famille. Le partage de clientèle n’a pas compromis les relations médecins-résidents et a, de fait, eu des répercussions positives sur les expériences éducatives des résidents à de multiples égards, incluant une amélioration de la co-prise en charge, de la collaboration et du mentorat. Les prochaines étapes devraient inclure de plus vastes évaluations prospectives, de même qu’une vérification de la satisfaction des patients à l’égard de ce modèle novateur de prestation des soins.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ Le partage de clientèle est un modèle de soins dans lequel les résidents, jumelés en dyade, prodiguent ensemble les soins à une clientèle de patients commune. Cette étude pilote a révélé que le partage de clientèle entre les résidents pouvait améliorer la continuité des soins et faire diminuer le nombre de rendez-vous manqués (patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous). Envisagez de mettre en œuvre le partage de clientèle pour régler les problèmes liés à la disponibilité fluctuante des résidents au sein des sites de formation en médecine de famille.
▸ Diverses mesures s’imposent si vous voulez que le partage de clientèle fonctionne, dont les suivantes : fournir aux résidents (et à leurs superviseurs académiques) des lignes directrices et des attentes claires sur la division des tâches et la charge de travail liée au soin des patients, orienter délibérément les patients vers ce modèle de soins, idéalement au moyen d’outils de communication, et former le personnel administratif relativement aux processus de flux de travail.
▸ Des outils pour le partage de clientèle, comme un guide d’orientation à l’intention des résidents, de l’information pour les patients et des algorithmes applicables au flux de travail et à la prise de rendez-vous sont disponibles sous l’onglet CFPlus*. Utilisez ces outils pour faciliter la mise en œuvre du partage de clientèle.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca.
Footnotes
↵* Le guide d’orientation à l’intention des résidents, l’information pour les patients, les algorithmes de répartition des tâches et de prise de rendez-vous, ainsi que le Tableau 1 sont disponibles en anglais à www.cfp.ca. Allez au texte intégral de l’article en ligne et cliquez sur l’onglet CFPlus.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2018 issue on page 546.
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