
Regarde chaque jour le monde comme si c’était la première fois.
[…] La lumière, les couleurs, les arbres, les oiseaux, les animaux.
Je sentais l’air passer dans mes narines […] [et je] me trouvais vivant.
Je frissonnais de pure joie.
Éric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose
Depuis 2016, l’aide médicale à mourir (AMM) est légale au Canada1–3. On désigne par AMM l’euthanasie volontaire, où l’administration de la médication létale est faite par un praticien médical, et le suicide assisté, où le patient s’administre lui-même la médication létale. À noter qu’au Québec, la situation est différente, puisque seule l’euthanasie volontaire est autorisée.
Depuis son implantation, cette procédure a soulevé bien des questions: Pourquoi des personnes demandentelles l’AMM? De quoi souffrent-elles au moment où elles font cette demande? Combien, parmi celles qui la demandent, l’obtiennent? Et comment les proches et les aidants vivent-ils cela?
Le Médecin de famille canadien publie, ce mois-ci, un dossier sur ce sujet. On y trouve réponses à plusieurs de ces questions, notamment celles concernant les personnes qui demandent l’AMM, leurs proches, ainsi que celles relatives aux médecins qui offrent cette aide.
Ainsi, Nuhn et coll. explorent au moyen d’entrevues semi-structurées les désirs, les peurs et les croyances de 23 personnes de Vancouver ayant demandé cette aide en 2016 (page e381)4. Les principales raisons invoquées par celles-ci pour demander l’AMM sont la perte d’autonomie et de contrôle, une qualité de vie inacceptable, la perte d’indépendance et d’habiletés physiques, l’incapacité ou la difficulté à communiquer, la perte de jouissance, la souffrance ou la peur de souffrir. Fait intéressant, à cet égard, les auteurs indiquent que la douleur, elle-même, était rarement mentionnée comme une cause de souffrance.
Par ailleurs, Wiebe et coll. nous présentent les résultats d’une étude rétrospective analysant les dossiers de personnes ayant été référées à l’un ou l’autre des 6 médecins qui acceptaient en 2016 de prodiguer l’AMM en Colombie-Britannique (page 675)5. Parmi les 250 personnes ayant fait la demande, 112 l’ont obtenue, 11 sont décédées de causes naturelles et 127 n’ont pas pu l’avoir; chez ces derniers, on note que la plupart n’étaient pas prêts à la recevoir ou voulaient s’assurer que cette option pourrait éventuellement leur être prodiguée, alors que 35 autres n’étaient pas admissibles. Les personnes qui demandaient l’AMM souffraient surtout de cancers, d’insuffisances organiques multiples (insuffisance cardiaque ou respiratoire) et de maladies neurologiques. Ces résultats rejoignent ceux d’autres études réalisées sur le sujet dans d’autres pays où l’AMM est permise.
Quant aux proches, « Exploring the experience of supporting a loved one through a medically assisted death in Canada »6 révèle que ceux-ci considèrent que l’AMM respectait la volonté de mourir de la personne qui l’avait demandée, permettait de mettre fin aux souffrances et elles trouvaient que la procédure s’était déroulée paisiblement (page e388).
Même si ces recherches permettent de répondre à certaines questions relatives à l’AMM, d’autres demeurent. Ainsi, comme au Canada, l’AMM comprend l’euthanasie volontaire et le suicide assisté, il serait pertinent de savoir quelle proportion de Canadiens optent pour l’une ou l’autre de ces 2 voies, et ce qui les amène à faire ce choix. Il se peut même que certaines personnes atteintes d’une maladie incurable et aux prises avec des douleurs incoercibles choisissent de mettre fin à leurs jours en se suicidant seules sans aucune aide.
Autre question: les personnes déprimées demandentelles davantage l’AMM que les autres? C’est ce qui semble ressortir d’une étude citée par Nuhn et coll., où les personnes ayant demandé cette aide présentaient un plus haut degré de dépression et de désespoir7. Dès lors, devrions-nous reporter l’AMM aux personnes déprimées qui éprouvent des souffrances psychologiques incoercibles? Je soulève cette question dans l’histoire de « Léopold et sa demande d’aide à mourir » que je raconte en page 6808.
En définitive, il semble bien que l’AMM soulève encore bien des questions et que les raisons pour lesquelles une personne opte ou non pour cette procédure dépassent de beaucoup les stricts critères d’acceptation établis par la loi.
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