Description du cas
Il y a 5 ans, Géraldine, une membre des Premières Nations de 55 ans, a reçu un diagnostic de diabète de type 2; elle souffre aussi d’hypertension, d’hypercholestérolémie, et de douleurs chroniques aux épaules, aux hanches et aux genoux. Elle fréquente votre clinique depuis 3 ans, et le contrôle de sa glycémie s’est révélé marginal. En examinant les résultats d’analyse de ses taux d’hémoglobine A1c, vous voyez qu’ils oscillent entre 8 et 8,8 % en dépit de vos tentatives de gestion mettant à contribution des médicaments (p. ex. insuline basale et dose maximale de metformine) et des séances d’information sur les comportements sains. Que pouvez-vous faire de plus?
La prévalence du diabète de type 2 chez les Autochtones au Canada se situe entre le double et le triple de la moyenne nationale, selon que l’on tient compte ou non des populations vivant dans les réserves ou hors réserve; la maladie est diagnostiquée chez des personnes de plus en plus jeunes, à des stades plus graves de la maladie et avec des taux de complications plus élevés1,2. Diabète Canada a fait valoir que les peuples autochtones vivant au Canada comptaient parmi les populations les plus à risque de souffrir du diabète et de ses complications connexes3. Les raisons de ces disparités sont plus complexes qu’une simple explication biologique, et elles incluent les effets des environnements sociaux découlant de la colonisation4,5 et l’exclusion de la société canadienne6. Le rapport de 2015 intitulé Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action dresse la liste de 94 appels à l’action qui mettent en évidence les séquelles sur la santé laissées par le régime des pensionnats du pays7. L’un de ces appels enjoint les services de santé de se préoccuper des problèmes de santé découlant des séquelles multigénérationnelles de ce que la Commission de vérité et réconciliation a qualifié de «génocide culturel»8. L’actuelle base de données factuelles ne dégage pas beaucoup d’orientations que peuvent suivre les cliniciens entourant l’interaction entre la colonisation, la santé et les soins de santé3.
Éducation pour l’équité (E4E) est une collaboration de recherche (2010–2016) qui regroupe des intervenants d’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, qui explore comment l’éducation des professionnels de la santé peut réduire les disparités dans les soins pour des maladies chroniques et améliorer les résultats chez les populations indigènes. Ayant reconnu les lacunes dans les connaissances sur les approches cliniques pour dispenser des soins du diabète efficaces et culturellement sécuritaires9 aux patients autochtones, l’équipe canadienne d’E4E a entrepris l’élaboration d’un outil fondé sur des données probantes à l’intention des milieux de l’éducation. L’équipe canadienne a effectué et analysé des entrevues en profondeur avec des patients autochtones, des médecins autochtones et non autochtones, de même que des élaborateurs de cursus. Les perspectives qualitatives sur les relations dans les soins de santé ont ensuite servi à éclairer l’élaboration du Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité (Figure 1), et d’un atelier de formation médicale continue d’une journée qui a été mis en œuvre et évalué en partenariat avec des prestataires de services communautaires.
Étapes dans l’élaboration et la mise en œuvre du Cadre de soins fondé sur E4E
E4E—Éducation pour l’équité, ERC—étude randomisée contrôlée, FMC—formation médicale continue.
Sources de l’information
L’équipe E4E avait pour but de trouver des données probantes portant spécifiquement sur les patients autochtones et d’élaborer un cadre pour une approche clinique. En 2011, l’équipe a entrepris une série de revues exploratoires de la littérature scientifique concernant les sujets suivants : éducation professionnelle en sciences de la santé sur l’équité en matière de santé chez les Autochtones; pratiques exemplaires pour traiter le diabète de type 2; manifestations biologiques des iniquités affectant les patients indigènes atteints de diabète sur le plan international. Très peu de données recensées auraient permis d’établir des pratiques exemplaires en matière de formation professionnelle sur la santé des Autochtones, et une revue de 2011 se penchait sur la qualité de la recherche sur les interventions liées au diabète de type 2 dans les populations autochtones10. Un grand nombre d’ouvrages mettaient en évidence les effets des iniquités sociales sur la biologie et les causes des maladies. Il s’agissait, entre autres, de recherches sur : le stress psychosocial chronique et son activation dans l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et les voies de synthèse du cortisol11; les interactions gènes-environnement12; les mécanismes épigénétiques, y compris durant le développement fœtal et néonatal13,14; les conséquences métaboliques du stress durant l’enfance15; les effets des changements sociaux (p. ex. dans le processus d’approvisionnement en nourriture ou le partage); les iniquités expliquant les comportements malsains (p. ex. alimentation, exercice)16; et les traumatismes historiques produits par la colonisation17. La revue par l’équipe des études sur les expériences vécues par les populations autochtones affectées par le diabète de type 2 a dégagé d’importantes constatations sur la façon dont les inégalités sociales et les processus biologiques se chevauchent dans la vie au quotidien18,19. De plus, l’équipe a parcouru les cursus actuels concernant les Autochtones offerts par 5 facultés de médecine canadiennes, de même que les résumés de séances de formation médicale continue en ligne portant sur les disparités en matière de santé ou les entités pathologiques présentes dans les populations autochtones.
Par la suite, des discussions en groupes témoins et des entrevues séquentielles avec des patients (n = 32) ont été tenues dans 5 collectivités autochtones situées dans 3 provinces canadiennes20. Des entrevues téléphoniques ont été effectuées individuellement avec des médecins (n = 28) et des élaborateurs de cursus (n = 5) de différentes régions du Canada. Les commentaires d’un groupe consultatif national formé d’experts en santé des Autochtones, d’enseignants, de dirigeants, de médecins et de membres de collectivités autochtones ont contribué à transformer les constatations de la recherche en recommandations en matière de soins. En se fondant sur une analyse thématique phénoménologique primaire21, les dirigeants de l’équipe de recherche ont effectué une analyse secondaire pour élaborer un cadre de soins à l’aide de la technique du groupe nominal22,23 dans le but d’étoffer et de structurer une ressource à composantes multiples. Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité qui en a résulté présente des stratégies visant à améliorer les approches cliniques dans la gestion du diabète dans les collectivités autochtones, en intégrant des perspectives sociales et culturelles. Il préconise la compétence structurelle24 en équilibre avec la sécurité culturelle25–28 comme composantes essentielles d’un modèle de soins centrés sur le patient29–31. Ces concepts sont renforcés par des stratégies de promotion de la santé en soins primaires, comme les entrevues motivationnelles32,33 et les soins tenant compte des traumatismes34–36. Tous les points de vue des patients et des médecins dans cet article proviennent de discussions en groupes témoins et d’entrevues tenues par l’équipe E4E.
Message principal
Colonisation et diabète
Pour les Autochtones, la colonisation est le déterminant prédominant de la santé37,38. Tant les patients que les médecins ont reconnu la colonisation comme un déterminant distal qui mine la résilience individuelle et entraîne des résultats défavorables sur le plan de la santé, en raison d’une pauvreté omniprésente, d’expériences de vie difficiles et d’un racisme continu18,19. Ces circonstances défavorables sous-tendent et exacerbent les expériences du diabète vécues par les Autochtones, étant donné que les obstacles structurels et les répercussions psychosociales de la pauvreté ont des conséquences pour la santé39,40. Les participants à la recherche ont insisté sur le fait que la discrimination historique contre les Autochtones persiste encore, d’où leur statut social relativement faible. En outre, les participants ont attribué la rupture de la cohésion sociale ou le développement de relations dysfonctionnelles aux effets insidieux de la colonisation. Par conséquent, le diabète peut être contextualisé comme une manifestation de souffrance sociale ayant pour origine la colonisation qui est actualisée sous forme de violence et d’iniquité structurelles41–43.
Il importe donc que les cliniciens reconnaissent que, loin d’être un événement historique distant, la colonisation est bel et bien un processus qui a des effets durables. Il est aussi essentiel de situer les soins de santé dans le contexte des séquelles de la colonisation. En adoptant la perspective théorique de l’époque postcoloniale44 pour examiner les expériences des Autochtones atteints du diabète de type 2, l’équipe E4E a cerné la nécessité de mieux comprendre la relation entre l’histoire colonialiste du Canada et la façon dont les Autochtones vivent à la fois l’expérience du diabète et celle du système de santé. Les soins de santé peuvent contribuer à un mauvais état de santé s’ils ne sont pas sécurisants sur le plan culturel, ou s’ils sont complices des processus de la colonisation. Cette tension s’exprime dans des espaces structurés par les séquelles non résolues de la colonisation, que ce soit les politiques en matière de santé qui offrent un accès différent aux avantages médicaux46, ou les pratiques discriminatoires de triage à l’urgence47. Les soins sont donc influencés par des niveaux de racisme systémique et individuel48 qui pourraient faire ressortir les préjugés des médecins, susciter une résistance de la part des patients et endiguer les obstacles systémiques.
Encadrer les soins du diabète pour les patients autochtones.
Les principes directeurs du Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité orientent le clinicien vers les facteurs sociaux qui affectent les patients autochtones souffrant du diabète de type 2 (Figure 2). Motivés par les récits de patients concernant des soins portant préjudices19, de même que par des descriptions de relations positives en soins de santé faites par des patients et des médecins9, ces principes mettent en évidence la nature dynamique de l’humilité culturelle et des soins culturellement sécuritaires49. Une approche clinique au diapason des réalités sociales et culturelles du patient autochtone favorise des stratégies de gestion congruentes. Il convient de rappeler aux cliniciens que les expériences culturelles des Autochtones sont diversifiées. Une implication qui tient compte de la diversité culturelle ne signifie pas qu’il faille traiter tous les patients de la même façon, mais plutôt proposer et mettre à profit les outils dont a besoin chaque patient pour renforcer ses capacités et sa résilience. Des soins efficaces pour les patients autochtones exigent une équité en matière de soins de santé, où les ressources sont dépourvues de toute discrimination, sont élaborées pour répondre aux besoins particuliers des patients autochtones et comblent les lacunes existantes.
Principes du Cadre de soins fondé sur E4E
E4E—Éducation pour l’équité.
Quand ils abordent les facteurs sociaux qui nuisent à l’état de santé des patients autochtones diabétiques, les médecins sont appelés à comprendre des domaines sociaux complexes dans le contexte d’un modèle biomédical explicatif déjà complexe. La notion des perturbations induites par le stress de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien comme mécanisme des issues du diabète50–52 justifie l’exploration du stress du patient par les cliniciens. Les études sur la santé des populations qui relient l’iniquité et les maladies chroniques par des interactions matérielles, psychosociales et politiques53–55 procurent d’utiles paramètres. Dans le contexte autochtone, les facteurs politiques se dessinent comme l’influence constante de la colonisation, et les facteurs matériels et psychosociaux représentent les effets sociaux complexes sur la santé, comme la pauvreté et les traumatismes multigénérationnels.
Un appel est ici lancé aux cliniciens afin qu’ils cernent et abordent les causes systémiques de la maladie dans l’environnement du patient. Metzl et Hansen24 décrivent cette approche en termes de compétence structurelle, dans laquelle les cliniciens sont incités à aller au-delà du paradigme du « choix individuel » pour reconnaître l’influence de la situation sociale et économique sur l’accès aux ressources de la santé, les comportements sains et, en définitive, les résultats sur le plan de la santé.
Pour faciliter la mise en œuvre de cette approche, l’équipe E4E a produit un cadre (Figure 3) mieux compris sous la forme d’une interaction entre la compétence structurelle et la sécurité culturelle dans le contexte de soins centrés sur le patient. Fondamentalement, le Cadre des soins fondé sur l’éducation pour l’équité propose aux cliniciens 2 directives : recentrer la relation clinique et tenir compte des réalités sociales des patients autochtones pour trouver des possibilités de changements. Chaque directive est ancrée dans les concepts culturels autochtones pour prendre en considération les variables sociales critiques qui découlent des séquelles de la colonisation et qui influent sur la santé du patient et les interactions cliniques. Les directives agissent en synergie, mais le cadre décrit intentionnellement la directive relationnelle en premier, car l’établissement d’une relation est fondamental pour des soins efficaces19. Un questionnement respectueux peut aussi engendrer une relation thérapeutique. Dans les sections suivantes se trouve une description de l’interaction des concepts sociaux et culturels dans chaque directive.
Modèle conceptuel du Cadre de soins fondé sur E4E
E4E—Éducation pour l’équité.
Recentrer la relation.
Les préjugés implicites du médecin se traduisent directement par des iniquités sur le plan des soins de santé en raison de décisions médicales mal éclairées et, indirectement, par la déstabilisation de la relation clinique56. Des patients ont signalé avoir été systématiquement victimes de discrimination, stéréotypés et marginalisés. Les relations historiques préjudiciables et inégales entre les Autochtones et les Canadiens non autochtones ont fait en sorte que de nombreux patients autochtones appréhendent le système médical occidental19 qui, pour plusieurs, demeure le symbole vivant de l’oppression, de la maltraitance et de la négligence continues. Par conséquent, les patients demeurent très à l’affût de toute menace de stéréoty-page57. La résistance, l’hésitation, le désengagement et l’acquiescement sont tous des réactions possibles de patients à des approches visant à établir l’autorité du médecin et un déséquilibre dans le pouvoir.
Pour recentrer les relations cliniques, il faut tenir compte de la colonisation et des iniquités dans les soins de santé (Tableau 1). Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité incite les médecins à se pencher sur la dynamique relative au « traitement inégal » et au déséquilibre dans « le pouvoir et l’autorité ». Les cliniciens doivent être conscients de leur complicité potentielle dans la perpétuation de ces concepts. Pour commencer, il y a lieu de faire une autoréflexion critique pour cerner ses propres stéréotypes, présomptions et préjugés. En se fondant sur la notion de la distance hiérarchique58, il est possible d’en arriver à un juste équilibre du pouvoir en posant directement des questions, en s’abstenant d’utiliser un langage à connotations oppressives et racistes, et en utilisant des signes de communication non verbale59 qui reflètent le style de communication du patient. Le cadre recommande que les cliniciens examinent tout moment latent de discorde à l’égard de tensions historiques sous-jacentes.
Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité dans le but de recentrer la relation
Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité suggère ce à quoi pourraient ressembler les concepts de compétence culturelle et de sécurité culturelle9 pour des patients autochtones, et fait valoir comment ils pourraient favoriser une concordance patient-médecin dans les plans de gestion. Nous préconisons de nous recentrer sur les aspects relationnels des soins en adoptant une perspective culturelle respectueuse des points de vue autochtones sur le partage, le temps et les relations19 (Figure 4). Les stratégies à cet égard comportent une autoréflexion critique sur ses propres points de vue sur les soins de santé et du diabète, de même que sur ses propres suppositions quant aux points de vue des Autochtones, notamment leurs préférences en matière de distance ou d’objectivité professionnelles. Au nombre des outils figure le perfectionnement des habiletés en communication interculturelle60, comme le recours aux approches narratives et indirectes plus courantes dans les contextes autochtones61,62. Un autre outil pourrait aussi prendre la forme d’un plus grand engagement communautaire.
Modèle conceptuel du recentrage des relations
L’environnement social de Géraldine : Au cœur du contexte social de Géraldine se trouve une histoire de traumatismes qui remonte à son premier mari, avec qui elle a eu des enfants maintenant adultes et qui était physiquement violent, jusqu’à ce qu’elle y échappe en quittant la collectivité de sa réserve il y a des années. Ces traumatismes sont exacerbés par l’adversité vécue dans la pauvreté et par ses expériences au pensionnat. Vous remarquez que les visites de Géraldine avec ses enfants dans la réserve au cours de l’été semblent coïncider avec le déclenchement annuel d’un retour du traumatisme et être corrélé avec une détérioration du contrôle de son diabète. Elle vit aussi actuellement dans un environnement familial où son deuxième conjoint consomme beaucoup d’alcool et est émotionnellement abusif. Ses enfants adultes et petits-enfants vivent aussi chez elle pour aider à payer le loyer, puisqu’elle a de la difficulté à joindre les 2 bouts.
Vous observez aussi que son diabète semble s’améliorer lorsqu’elle peut travailler régulièrement comme femme de ménage. Par contre, avec les années, elle vous a confié qu’elle buvait pour composer avec son stress. Durant ces périodes, elle s’alimente mal et omet souvent de prendre ses médicaments. Elle travaille alors moins souvent, submergée par les conflits conjugaux et les soins à ses petits-enfants. Il semble que ses facteurs de stress et ses douleurs articulaires chroniques nuisent à sa capacité de travailler. Comment allez-vous commencer à aider Géraldine pour améliorer les issues de son diabète?
Prendre en considération la réalité sociale.
L’efficacité des soins de santé aux patients autochtones repose sur une compréhension approfondie de la relation de cause à effet entre les facteurs sociaux particuliers aux Autochtones et la santé. Ces facteurs sociaux se transforment en facteurs de stress constants qui s’accumulent et agissent concurremment pour maintenir des conditions de vie chaotiques et accablantes, qui mènent au diabète tout en nuisant à la capacité de la personne de composer avec cette maladie. Par exemple, les réseaux familiaux peuvent être une source de soutien mais, dans certains contextes de désavantages socioéconomiques, les membres de la famille peuvent affaiblir la capacité d’une personne de prendre soin d’elle-même en exerçant sur elle des pressions qui dirigent ailleurs ses ressources limitées. La prise en considération des contextes sociaux du diabète dans les milieux autochtones par les cliniciens demande que ceux-ci reconnaissent les obstacles distincts qui nuisent aux patients dans l’atteinte de meilleurs résultats, et qu’ils élaborent des stratégies pour atteindre les objectifs thérapeutiques et assurer la gestion de la maladie. Il faut aussi trouver des outils qui favorisent l’auto-efficacité et des comportements sains et positifs chez les patients (Tableau 2).
Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité dans le but de tenir compte de la réalité sociale
Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité recommande que les cliniciens prennent en considération l’environnement plus large en décelant la présence de ressources limitées et d’expériences de vie difficiles, puis en reconnaissant que ces facteurs jouent un rôle dans l’apparition et la gestion du diabète. Cette approche concorde avec les visions autochtones traditionnelles quant aux approches relationnelles, indirectes et dépourvues de confrontations61. La question de dépistage « Avez-vous déjà eu de la difficulté à joindre les 2 bouts à la fin du mois? » s’harmonise avec les approches autochtones recommandées63. Il est préférable d’encadrer ce dépistage en s’enquérant des « difficultés » qui s’ajoutent à la pauvreté et qui sont liées à la discorde au sein de la famille, de la collectivité et de la société en général. À ce stade, les cliniciens pourraient indiquer qu’ils ont une certaine compréhension des répercussions de la colonisation sur la santé et explorer ensuite ces expériences.
Pour intégrer les facteurs sociaux dans les soins, l’une des stratégies est de parler aux patients des données probantes sur la santé populationnelle qui démontrent que des facteurs matériels et psychosociaux mènent à des maladies chroniques. Par exemple, le concept du déséquilibre entre l’effort et la récompense64 dans les résultats sur le plan de la santé s’est dégagé comme étant une forte thématique dans notre recherche. Parmi les autres principaux thèmes découlant des séquelles de la colonisation figurent la violence latérale65, le traumatisme intergénérationnel, l’attachement66 et le besoin de soutien social67–69. Il est conseillé aux cliniciens de se renseigner sur les principes des soins tenant compte des traumatismes, lorsqu’ils explorent les mauvaises expériences de vie36. Même si les changements de comportements demeurent importants dans le cheminement vers le bien-être, cette approche contextuelle a pour but de faciliter la responsabilisation des patients lorsque sont abordés les facteurs sociaux qui font obstacle à la santé. Conformément au concept de la compétence structurelle, le cadre invite les cliniciens à s’impliquer au niveau du système en tant que défenseurs de cette cause dans le but de soutenir les changements chez le patient sur le plan individuel.
Aider Géraldine à composer avec les contextes sociaux difficiles : Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité vous encourage à aider les patients à composer avec les obstacles sociaux au bien-être en reconnaissant les liens entre les expériences de vie difficiles et la capacité des patients à gérer le diabète. Dans le cas de Géraldine, il s’agit, entre autres, de l’aider à faire face aux facteurs de stress familiaux et à garder son emploi pour éviter la pauvreté. Sa forte consommation d’alcool semble être un indice de sa difficulté à composer avec le retour de ses traumatismes et ses adversités constantes, tout en nuisant à la prise en charge de son diabète par une alimentation irrégulière et l’omission de prendre ses médicaments. Étant donné que la consommation d’alcool excessive de Géraldine est épisodique et incitée par les mêmes facteurs de stress sociaux qui affectent son diabète, vous utilisez ses habitudes de consommation d’alcool pour évaluer la mesure dans laquelle elle se sent dépassée. L’alcool devient donc un point de départ dans l’exploration des contextes sociaux qui influent sur son diabète, ce qui vous aide à renforcer l’interaction entre les facteurs de stress sociaux et son état de santé.
Le cadre de soins explique la façon dont un contexte d’acculturation aggrave les issues du diabète et dont l’accès à des ressources culturelles pourrait être un moyen pour améliorer l’état de santé grâce au savoir traditionnel et aux réseaux d’entraide sociale, mais les traumatismes antérieurs de Géraldine la font hésiter à renouer avec les pratiques culturelles autochtones. Dans le cas présent, comme dans tous les cas, les soins doivent se conformer aux priorités et aux contextes du patient.
La culture comme outil thérapeutique : La culture est un facilitateur important lorsque nous abordons la prise en charge du diabète, et nous devons comprendre que les croyances, les valeurs et les pratiques culturelles peuvent jouer un rôle pour améliorer les connaissances des patients en matière de santé, de même que leur résilience (Tableau 2). La culture était considérée comme un facteur de protection et un facilitateur pour améliorer la santé et prendre en charge le diabète. La résilience, par une réaffirmation de l’identité et de la continuité culturelles, est alimentée par l’accès au savoir et aux soutiens culturels, qui peut, par exemple, prendre la forme d’une participation à des cérémonies ou du maintien de relations avec des gardiens du savoir dans la collectivité70–72. Cela ne veut pas dire que tous les patients ont les mêmes rapports avec les pratiques autochtones traditionnelles, mais la culture exerce un rôle dans le positionnement d’une personne au sein de plus larges réseaux communautaires et de soutien. Il convient de signaler que les patients avaient souvent l’impression que les mêmes obstacles sociaux à la santé influençaient aussi leur littératie en matière de santé et leur accès aux ressources culturelles. Il est conseillé aux cliniciens de vérifier, sans porter de jugement, les connaissances des patients et l’accès aux ressources, dans les contextes biomédicaux comme autochtones (Figure 5). En sollicitant les points de vue culturels et les préférences des patients en matière de santé, tout en exprimant les points de vue biomédicaux, les cliniciens sont susceptibles d’en venir à une compréhension partagée avec les patients. De cette manière, les cliniciens peuvent atteindre la congruence entre la gestion du diabète et les réalités sociales et culturelles du patient. La recommandation du cadre concernant la contextualisation et le partage de connaissances a pour but de renforcer les capacités des patients grâce à la littératie en matière de santé, et ce, au moyen d’une stratégie acceptable de création de liens. Il est notoire que la culture influence considérablement la littératie en matière de santé, ce qui, en retour, façonne la capacité de gérer les maladies chroniques73,74. Nous encourageons les médecins à s’impliquer auprès de la collectivité traditionnelle locale pour en apprendre davantage sur les pratiques et les ressources culturelles de guérison.
Modèle conceptuel de la prise en considération de la réalité sociale
Conclusion
Selon l’un des appels à l’action lancés dans le rapport de 2015 intitulé Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action, la santé est le résultat direct de déterminants distaux émanant des politiques historiques et continuelles de colonisation7. Sous l’angle des soins de santé, la réconciliation implique l’atteinte de l’équité dans les soins de santé par la prestation de soins pouvant répondre aux besoins culturels et sociaux propres aux Autochtones. Les effets insidieux de la colonisation sur la santé et les soins de santé comportent de multiples facettes et persistent dans la vie de nombreux Autochtones, souvent submergés par une foule de facteurs sociaux qui diminuent leurs capacités d’y faire face et affectent leur bien-être général. En raison de l’exclusion sociale constante, la vie de nombreux Autochtones est affectée par la pauvreté, par des discordes psychosociales perpétuelles au sein des familles et des collectivités, de même que par le racisme au quotidien. C’est le contexte dans lequel bon nombre d’Autochtones vivent avec le diabète de type 2.
Pour aborder les facteurs sociaux complexes qui nuisent à l’état de santé, les cliniciens doivent faire preuve d’une sensibilité aiguë et d’habiletés essentielles. Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité constitue une ressource pour favoriser une plus grande implication des cliniciens auprès des patients autochtones vivant avec le diabète de type 2. Cette ressource offre une perspective permettant de comprendre, de cerner et de mettre en œuvre des possibilités de renforcer les capacités des patients autochtones d’apporter des changements, d’une manière qui reconnaît les facteurs sociaux à l’origine des taux élevés de diabète, tout en adoptant un angle culturel pour favoriser de meilleurs résultats. Le cadre présente des recommandations pour améliorer les soins dans les contextes cliniques, dans les plus larges collectivités, et dans le domaine des plaidoyers sociaux où les médecins peuvent aider les patients à obtenir les ressources nécessaires. Il offre une cartographie appliquée de concepts intégrés, notamment la sécurité culturelle, la compétence culturelle et la compétence structurelle. Ses recommandations confirment et élargissent l’approche des soins centrés sur le patient. Le cadre peut contribuer à éclairer les politiques et les services en matière de santé de manière plus complète en offrant une ressource éducative pour améliorer la littératie en santé des patients en ce qui a trait aux effets de la colonisation sur leur santé, leurs comportements à cet égard et leurs interactions avec les soins de santé.
Remerciements
Ce projet a été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Dans la perspective des soins de santé, la réconciliation suppose la prestation de soins qui répondent aux besoins culturels et sociaux particuliers des Autochtones. Les répercussions insidieuses de la colonisation sur la santé et les soins comportent de multiples facettes et persistent dans la vie de nombreux Autochtones. En raison de l’exclusion sociale continue, la vie de nombreux Autochtones est affectée par la pauvreté, par des discordes psychosociales constantes au sein des familles et des collectivités, et par le racisme au quotidien. C’est dans un tel contexte que de nombreux Autochtones vivent avec le diabète de type 2.
▸ Le Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité présenté dans cet article constitue une ressource permettant aux cliniciens un engagement plus profond envers les patients autochtones qui souffrent du diabète de type 2. Fondamentalement, ce cadre propose 2 directives aux cliniciens : recentrer la relation clinique (la réflexion sur ses propres préjugés et le recours aux approches narratives font partie des stratégies), et prendre en considération les réalités sociales des patients autochtones (parmi les stratégies figurent le dépistage des limites dans les ressources qui influent sur la gestion du diabète et l’amélioration des connaissances des patients sur les soins du diabète). Chaque directive est ancrée dans les concepts culturels autochtones afin de prendre en considération les variables sociales critiques qui influent sur la santé du patient et sur les interactions cliniques.
▸ En envisageant les expériences de la santé et de la maladie vécues par les Autochtones d’après un angle culturel, il est possible d’améliorer les soins du diabète et d’aider les professionnels de la santé à comprendre les préférences des patients, leurs rapports et les obstacles auxquels ils sont confrontés pour accéder aux ressources culturelles.
Footnotes
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration du Cadre de soins fondé sur l’éducation pour l’équité et à sa mise en œuvre, de même qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2019 issue on page 25.
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