Question clinique
Quel est le risque de développer un trouble de consommation d’opioïdes (TCO) lorsqu’on prend des opioïdes d’ordonnance?
Résultats
L’incidence du TCO lié aux opioïdes d’ordonnance chez les patients souffrant de douleur chronique se situe probablement à environ 3 % (sur 2 ans), mais la causalité demeure incertaine. Les patients qui n’ont pas d’antécédents de trouble de consommation de substances (TCS) semblent à plus faible risque (< 1 %). Parmi les facteurs associés à un risque accru figurent des antécédents de TCS et l’utilisation d’opioïdes pendant plus longtemps (> 90 jours) ou à plus fortes doses (> 120 mg/j d’équivalent de morphine [EM]).
Données probantes
Dans une revue systématique1 (12 études, N = 310 408) portant sur des patients souffrant de douleurs à qui on avait prescrit une thérapie aux opioïdes (≥ 7 jours; 97 % pendant ≥ 3 mois), les constatations suivantes ont été relevées :
L’incidence de la dépendance aux opioïdes ou de l’usage « abusif » était de 3,1 % dans les études de plus grande qualité et de 4,7 % dans l’ensemble des études.
Les critères diagnostiques revêtent de l’importance : l’incidence varie (de 1 à 11 %) en fonction des critères du diagnostic.
Une revue systématique2 (24 études, N = 2507) concernant des patients souffrant de douleurs chroniques à qui on avait prescrit un traitement aux opioïdes (exposition moyenne de 26 mois, fourchette allant de 2 à 240 mois) a cerné les éléments suivants :
L’incidence d’une dépendance aux opioïdes se situait à 3,3 %.
-L’incidence était de 0,2 % chez les patients sans antécédents « d’usage abusif/de dépendance » par rapport à 5 % chez ceux qui en avaient.
Limitations : les définitions variables de la dépendance : la qualité des études incluses (rétrospectives [71 %], prospectives et randomisées [29 %]); technique imprécise de regroupement.
Deux revues systématiques3,4 ont révélé des incidences allant de 0,3 à 0,5 %, mais chez des patients qui étaient généralement à plus faible risque.
Contexte
L’incidence (les nouveaux cas après une prescription d’opioïdes) pourrait être un meilleur paramètre pour estimer les TCO iatrogènes que la prévalence (tous les patients ayant un TCO, y compris ceux à qui on a prescrit des opioïdes après qu’ils aient développé un TCO)2.
La prévalence des TCO varie de 0,05 à 23 %3,5,6.
- Les variations sont attribuables aux différences dans la qualité des études, aux critères diagnostiques et à la terminologie variables, de même qu’à l’incohérence dans le signalement et aux populations étudiées.
La plupart des études retenues (à l’aide des expressions telles que dépendance ou usage abusif de substances) ont été publiées avant les critères du DSM-5.
L’exposition aux opioïdes d’ordonnance chez les adolescents et les jeunes adultes était associée à une utilisation future d’opioïdes d’ordonnance à des fins non médicales7 et à un TCO8.
Une étude de cohortes à l’aide d’une base de données d’assurances9 (N = 568 640) a fait valoir qu’après 12 mois, pour les doses de 36 à 120 mg/j d’EM, l’incidence du TCO avec un usage ponctuel (de 1 à 90 jours) était de 0,12 % contre 1,3 % avec une utilisation chronique (> 90 jours). Dans le cas des ordonnances de plus de 90 jours, l’incidence du TCO avec 1 à 36 mg/j d’EM se situait à 0,7 % par rapport à 6,1 % avec plus de 120 mg/j d’EM.
Mise en pratique
Souvent, les opioïdes ne sont pas supérieurs à d’autres médicaments contre la douleur aiguë10 ou chronique11, et en raison de leurs effets indésirables, leur taux de discontinuation est élevé (environ 23 %)3. Si des opioïdes sont envisagés, il faut évaluer les facteurs de risque possibles de TCO, en particulier lorsqu’il y a des antécédents de TCS. S’ils sont prescrits, il y a lieu de choisir des ordonnances de courte durée, à des doses et à une puissance plus faibles, de même qu’en plus petites quantités. Lorsque des ordonnances d’opioïdes sont renouvelées sur une base chronique, il y a lieu de faire un dépistage du TCO à l’aide de simples outils, comme le questionnaire POMI (Prescription Opioid Misuse Index), et de consulter au besoin les lignes directrices appropriées12.
Notes
Les articles d’Outils pour la pratique dans Le Médecin de famille canadien (MFC) sont une adaptation d’articles publiés dans le site web du Collège des médecins de famille de l’Alberta (CMFA) qui résument les données médicales probantes en insistant sur des questions particulières et des renseignements susceptibles de modifier la pratique. Les résumés du CMFA et la série dans le MFC sont coordonnés par le Dr G. Michael Allan, et les résumés sont rédigés conjointement par au moins 1 médecin de famille en pratique active et ils font l’objet d’une révision par des pairs. Vous êtes invités à faire part de vos commentaires à toolsforpractice{at}cfpc.ca. Les articles archivés sont accessibles sur le site web du CMFA: www.acfp.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2019 issue on page 724.
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