Le reflux gastro-œsophagien (RGO) désigne le mouvement du contenu gastrique au-delà du sphincter œsophagien inférieur (SOI) jusque dans l’œsophage1. Le reflux gastro-œsophagien désigne aussi les symptômes de complications causées par le reflux, comme la dysphagie, l’érosion dentaire, la difficulté à prendre du poids et les vomissements1,2, et sa prévalence annuelle oscille entre 10 et 15 %3. Le reflux est courant chez les nourrissons, la proportion va de 50 % chez les bébés de 3 mois à 5 % chez les bébés de 10 à 12 mois1. Le mécanisme prédominant qui sous-tend la prévalence précoce du RGO est le relâchement transitoire du SOI2,4. Chez les nourrissons, le reflux est en général disparu à l’âge de 12 mois, puisque les enfants sont debout plus longtemps, prennent des aliments solides et le tonus musculaire du SOI est plus fort1.
Enfants atteints de paralysie cérébrale et RGO
La paralysie cérébrale (PC) est un trouble neurologique qui entraîne des limites posturales et du mouvement, y compris le mauvais contrôle de la tête et l’hyperréflexie5 et elle est couramment associée au RGO (15 à 77 %)6–8. Cette forte prévalence s’explique par le fait que beaucoup de patients atteints de PC sont longtemps couchés sur le dos, présentent une scoliose qui déplace l’estomac et étire le SOI, de même qu’une spasticité qui augmente la pression intra-abdominale9. Les anticonvulsivants, souvent utilisés pour prendre en charge la PC, intensifient aussi les nausées, les vomissements, le pyrosis et la dysphagie, des facteurs qui exacerbent tous la gravité du RGO9.
Poser un diagnostic de RGO chez les patients atteints de PC
Chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents exempts de déficience neurologique, le RGO pourrait être diagnostiqué en fonction des symptômes cliniques, tels que pyrosis, dyspepsie, « douleur brûlante » épigastrique et régurgitation10. Chez les enfants plus jeunes, le pH œsophagien est surveillé afin de détecter le reflux acide; cette méthode ne détecte toutefois pas le reflux non acide ou faiblement acide10. La technique d’impédancemétrie intraluminale à canaux multiples est une nouvelle méthode de mesure du RGO11. Elle est utile pour poser un diagnostic de reflux chez les enfants atteints de PC, puisqu’elle mesure le pH et le passage d’un bolus rétrograde et antérograde dans l’œsophage, ce qui permet de détecter tous les épisodes de reflux sur 24 heures12.
Effets sur la qualité de vie
Une étude ayant eu recours à l’échelle PedsQL (Pediatric Quality of Life Inventory), un questionnaire rempli par le patient qui mesure le fonctionnement physique, émotionnel, social et scolaire chez les enfants de 5 à 18 ans, a révélé des scores significativement plus faibles chez 40 enfants atteints de RGO que chez 41 enfants en bonne santé (p < 0,001)13. En outre, le RGO affecterait les personnes faisant partie du cercle des soins, puisque la qualité de vie des parents d’enfants souffrant de RGO était réduite, lorsqu’elle était mesurée dans le cadre de l’échelle CEBI (Children’s Eating Behavior Inventory)14.
Options non pharmacothérapeutiques
Il existe plusieurs stratégies non pharmacologiques pour prendre en charge le RGO. Soulever la tête du lit du patient, faire maigrir le patient, limiter l’exposition à la fumée secondaire, et éviter la caféine, les aliments épicés, les aliments gras et le chocolat peuvent tous aider à réduire les épisodes de reflux et à prévenir d’autres complications1,15. Dans une étude menée auprès de 18 enfants atteints de PC qui étaient alimentés par sonde naso-gastrique, l’épaississement des aliments, particulièrement l’ajout de pectine à forte concentration, a significativement réduit les épisodes de reflux (p < 0,05) et la durée de l’épisode de reflux le plus long (p < 0,05) comparativement à un régime pauvre en pectine16. En outre, l’étude a révélé que le pH dans l’œsophage inférieur et supérieur était en deçà de 4 pendant significativement moins de temps sous un régime riche en pectine que sous un régime sans pectine (p < 0,01)16.
Options pharmacothérapeutiques
Les données probantes étayant l’emploi bref d’anti acides (qui neutralisent l’acide gastrique) et de protecteurs gastriques (comme l’alginate de sodium qui forme une couche protectrice sur le contenu de l’estomac) sont très limitées1,2. Une étude menée au début des années 1990 auprès de nourrissons de 0 à 24 mois sous antiacides contenant de l’aluminium a révélé que le taux plasmatique d’aluminium était 9 fois plus élevé que chez les nourrissons qui ne prenaient pas d’antiacides contenant de l’aluminium (p < 0,005); la toxicité de l’aluminium a été liée à l’anémie microcytaire et à l’ostéomalacie17. Pour ce qui est des protecteurs gastriques, la plupart des études ayant été menées auprès d’adultes, les données sont donc insuffisantes pour étayer l’emploi des protecteurs gastriques chez les enfants atteints de RGO chronique1,2. Une étude d’observation prospective portant sur les alginates dans le traitement du RGO chez les nourrissons a révélé une baisse significative du nombre total d’épisodes de reflux (p < 0,001), de même que des épisodes de pleurs ou de pleurnichage, de toux et de régurgitation (p = 0,00012, p = 0,005 et p = 0,04, respectivement), comparativement aux valeurs initiales18. En raison de l’absence d’études s’étant penchées sur l’emploi des antiacides et des protecteurs gastriques dans la prise en charge du RGO en pédiatrie, les lignes directrices de pratique clinique de 2018 sur le reflux gastro-œsophagien en pédiatrie, publiées conjointement par la North American Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition (NASPGHAN) et l’European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition (ESPGHAN), recommandent d’éviter ces produits dans la prise en charge du RGO chronique dans cette population19.
Les antiacides comptent parmi les agents pharmacologiques utilisés dans la prise en charge du RGO en pédiatrie, les antagonistes des récepteurs de l’histamine H2 (anti-H2) et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) étant les piliers du traitement1,15. La réduction du taux d’acide gastrique prévient les dommages causés à l’œsophage même en présence de reflux1. Les antagonistes des récepteurs de l’histamine H2, bien qu’efficaces pour réduire la sécrétion d’acide gastrique, sont de plus en plus inefficaces dans les 6 semaines suivant l’instauration du traitement (tachyphylaxie)20. Cela pourrait s’expliquer par la modification de la sensibilité des récepteurs de H2, un changement du renouvellement des récepteurs de H2 et la multiplication des récepteurs d’autres médiateurs de la sécrétion acide (p. ex. gastrine)20. Les anti-H2 ne sont donc pas une option à long terme viable contre le RGO15.
Les inhibiteurs de la pompe à protons, quant à eux, sont une classe plus puissante d’antiacides. Une étude menée en 2013 s’est penchée sur l’effet des IPP sur 3 types de reflux (reflux acide, faiblement acide et faiblement alcalin) chez 21 enfants (âge moyen de 10,5 ans), dont 6 étaient atteints de PC21. Le nombre d’épisodes de reflux faiblement acide a augmenté, mais on a observé une baisse significative du nombre d’épisodes de reflux acide (p < 0,01) par rapport à la période ayant précédé le traitement par un IPP21. Les lignes directrices de 2018 de la NASPGHAN et de la ESPGHAN suggèrent d’utiliser un anti-H2 ou un IPP pendant 4 à 8 semaines pour traiter les symptômes de RGO et d’évaluer régulièrement le besoin d’un traitement antiacide prolongé19. Une étude de cohorte rétrospective menée auprès de 166 patients sous IPP a évalué l’innocuité de l’emploi prolongé et a rapporté des événements indésirables chez à peine 4 (2,4 %) patients22. Les 166 patients ont reçu un IPP pendant jusqu’à 11 ans, la plupart (141 sur 166) pendant jusqu’à 5 ans, et ils peuvent donc être considérés sûrs pendant une période prolongée22.
Les agents stimulant la motilité gastrique réduisent le taux de reflux en accélérant la vidange gastrique, en améliorant le péristaltisme œsophagien et en augmentant la pression du SOI1. L’agoniste sérotoninergique, qui était prometteur, a été retiré du marché en 2000 en raison de rapports d’arythmies23. Le métoclopramide, un agent semblable, a reçu des avertissements sérieux de ne pas l’utiliser en raison du risque de dyskinésie tardive24. Il n’a pas été démontré que les stimulateurs de la motilité gastrique érythromycine, dompéridone et béthanéchol réduisaient la fréquence du reflux de façon constante et ils ne devraient probablement pas être utilisés systématiquement1. Le mosapride, un autre agent stimulant la motilité gastrique, a été utilisé dans une étude pendant 8 semaines en traitement du RGO chez 11 enfants ayant une déficience neurologique, dont 6 étaient atteints de PC25. Le nombre d’épisodes prolongés de reflux acide (p = 0,002) et la durée des épisodes de reflux acide (p = 0,002) ont été significativement réduits, avec un profil d’innocuité favorable25. L’évacuation œsophagienne, soit le temps nécessaire pour évacuer le contenu de l’œsophage, a également été réduite significativement après le traitement (p = 0,02)25. Un échantillon plus vaste est nécessaire pour pouvoir émettre des recommandations.
L’agoniste des récepteurs de l’acide γ-aminobutyrique baclofène réduit les épisodes de relâchement transitoire du SOI26. Dans une étude, 8 enfants ayant une déficience neurologique, dont 4 étaient atteints de PC, ont reçu le baclofène 3 fois par jour pendant 7 jours et ont été placés sous pH-métrie œsophagienne pendant 24 h avant et après le traitement; ils ont montré une baisse significative des épisodes de reflux acide (p = 0,01)26. Dans une étude à répartition aléatoire, à double insu et contrôlée par placebo menée auprès de 30 enfants atteints de RGO sévère, on a observé une réduction significative des épisodes de relâchement transitoire du SOI et de RGO acide chez les patients sous baclofène comparativement aux enfants sous placebo (p < 0,05), avec seuls quelques participants ayant rapporté des effets indésirables tels qu’essoufflement et fatigue4. Le baclofène a également eu un effet significatif sur la vitesse de la vidange gastrique (p < 0,05), mesurée par le test respiratoire 13C-octaonate, ce qui a réduit encore plus le risque de reflux4. Toutefois, en raison d’effets indésirables tels qu’étourdissements et fatigue, ainsi que du seuil abaissé de résistance aux convulsions observé chez les adultes, les lignes directrices de 2018 de la NASPGHAN et de la ESPGHAN laissent croire que le baclofène ne peut être envisagé que chez les enfants pour lesquels les autres pharmacothérapies ont échoué19.
Option chirurgicale
La fundoplicature de Nissen, soit le fait d’envelopper le fundus de l’estomac autour de l’extrémité inférieure de l’œsophage afin d’augmenter la pression sur le SOI, est l’option chirurgicale standard chez les patients en pédiatrie en cas d’échec de la pharmacothérapie15. Le taux de complications étant toutefois plus élevé chez les enfants ayant une déficience neurologique (12,8 %) que dans la population générale (4,2 %), il faut donc utiliser cette technique judicieusement27.
Conclusion
Le reflux gastro-œsophagien est une séquelle courante chez les enfants atteints de PC. Il existe plusieurs méthodes non pharmacologiques pour soulager les symptômes, comme éviter certains aliments ou modifier la posture, et plus de recherches sur l’efficacité de diverses pharmacothérapies sont en cours. Les lignes directrices actuelles suggèrent de faire l’essai d’un IPP pour confirmer le RGO en cas de forts soupçons cliniques; les lignes directrices sur les soins aux patients ayant une déficience intellectuelle et développementale recommandent le dépistage annuel du RGO28. La fundoplicature de Nissen est l’option chirurgicale de préférence dans les cas de RGO réfractaire à la pharmacothérapie. Les régimes riches en pectine, le baclofène et les agents stimulant la motilité gastrique comme le mosapride réduisent le reflux en causant des effets indésirables minimes, mais plus d’études sont nécessaires pour identifier les bienfaits à long terme.
Notes
Cette Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. M. Fernando est membre du programme PRETx et le Dr Goldman en est le directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2019 issue on page 796.
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