
Ce mois-ci, Le Médecin de famille canadien publie un commentaire intitulé « Les revues prédatrices. Mise en garde à l’intention des auteurs et des lecteurs » (page 97)1. L’auteure, Dre Cathy Vakil, y souligne les aléas associés à la publication de textes dans des revues « prédatrices » en accès libre. Ces journaux sont méconnus, leurs standards de pratique sont de piètre qualité et leurs articles sont souvent publiés sans être révisés par des pairs. Elle recommande aux auteurs, particulièrement les chercheurs universitaires, de les éviter.
Il est vrai que publier dans une revue que personne ne connaît et où n’importe qui peut dire n’importe quoi (ou presque) est aberrant. À quoi bon perdre du temps, de l’énergie et de l’argent pour soumettre un article que presque personne ne lira et qui ne sera répertorié par aucune bibliothèque médicale? Cet avis vaut particulièrement pour les enseignants et les chercheurs qui « doivent » publier coûte que coûte, au risque de voir leur carrière compromise.
En contrepartie, on peut se demander où et comment les médecins de famille peuvent s’exprimer de nos jours. Les occasions sont rares. D’année en année, le nombre de revues médicales ne cesse de diminuer. Quant aux revues destinées aux médecins de famille, on peut facilement les compter sur les doigts de la main. Et pour ce qui est des revues médicales renommées, celles dotées d’un facteur d’impact enviable, on se doute bien que les chances qu’un médecin de famille y fasse paraître un texte sont infinitésimales.
Dès lors, comment les médecins de famille (enseignants, chercheurs ou cliniciens) peuvent-ils s’exprimer sur ce qu’ils vivent, ce qu’ils découvrent ou ce qu’ils éprouvent s’ils n’ont pas de voies de communication pour le faire? Cette situation compromet le rayonnement de la médecine familiale, peut-être même sa viabilité. Tout groupe ou entité qui ne peut s’exprimer est voué à l’oubli et au désintérêt.
Il fut un temps, pas si lointain d’ailleurs, où les médecins de famille occupaient une place privilégiée dans la société. Ils avaient mis au monde la moitié du quartier ou du village; ils recevaient toute la famille au bureau et s’occupaient des plus malades à domicile ou à l’hôpital, mais cette époque est maintenant révolue. De nos jours, les soins de santé sont fragmentés, et les médecins de famille sont devenus des intervenants parmi tant d’autres. Leurs champs d’exercice sont convoités par plusieurs et des pans entiers sont concédés à d’autres professionnels qui les pratiquent à leur place. Les médecins de famille doivent suivre rigoureusement les directives administratives — prendre en charge un nombre minimal de patients et travailler là où on les affecte — à défaut de quoi, peu importe la qualité de leur travail, leur rémunération sera réduite. Ils doivent appliquer scrupuleusement les recommandations des guides de pratique, sous peine d’être sanctionnés et réformés par leur propre ordre professionnel, même si ces guides proviennent souvent de spécialistes déconnectés de la pratique générale et œuvrant en silos. Ils vivent maintenant dans une société où les attentes à leur égard sont très élevées, tout autant que pour les spécialistes, qui n’ont pourtant qu’une pratique ciblée, alors qu’eux-mêmes doivent exceller dans toutes sphères de la médecine, et ce, en étant bien moins rémunérés. Pas surprenant que tant de médecins de famille, épuisés, consultent les programmes d’aide aux médecins2.
La médecine familiale aurait donc intérêt à être plus reconnue, et les médecins de famille à s’exprimer davantage. Que les enseignants et les chercheurs publient leurs travaux dans des revues connues et indexées. Que les cliniciens rapportent leurs cas et leurs expériences du métier. Que les érudits s’affichent de façon critique face aux recommandations et aux avis émis par d’autres. Que les penseurs se lèvent et bloguent3. Que les narrateurs nous racontent les histoires de leurs patients4,5. Que les groupes d’intérêt forment des communautés de pratique et échangent sur Internet. Que les allumés des médias sociaux gazouillent, réagissent et nous éveillent. Et que les « bons docteurs » nous entretiennent de la relation médecin-malade, qui est le fondement de la médecine familiale.
En définitive, « Publier ou périr ».
Footnotes
This article is also in English on page 86.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada