Aucune passion ne vide l’esprit de tous ses pouvoirs d’agir et de raisonner aussi efficacement que la peur.
Edmund Burke
En 2008, un jeune Américain non vacciné de 7 ans revenait chez lui d’un voyage en Suisse avec sa famille. Quelques jours plus tard, il devenait fébrile, avait mal à la gorge et présentait une éruption cutanée. La rougeole fut diagnostiquée, après qu’il eut transmis l’infection à 11 autres enfants, dont 3 de moins de 1 an particulièrement vulnérables aux graves complications de la maladie1.
La semaine dernière, je travaillais avec une collègue médecin de famille qui fait des accouchements etcompte donc de nombreux enfants dans sa pratique. De l’autre côté de l’étroit corridor et à travers les murs de la clinique, je pouvais entendre un enfant d’âge scolaire supplier sa mère et l’infirmière de notre équipe de ne pas lui donner de vaccin. Je pouvais lire l’inquiétude sur le visage de la patiente de 78 ans assise devant moi.
Je lis aujourd’hui à la une que l’activiste anti-vaccin Del Bigtree prononcera une conférence à Toronto2. Bigtree, un détracteur bien connu de la vaccination, a produit un documentaire mettant en vedette l’ancien médecin et chercheur Andrew Wakefield3. Même si les travaux de Wakefield associant le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole à l’autisme ont été discrédités, tout comme les théories de la conspiration entourant les vaccins avancées par Bigtree, les 2 continuent d’avoir une considérable visibilité publique.
L’Organisation mondiale de la Santé a récemment annoncé que la méfiance à l’égard des vaccins comptait parmi les 10 ennemis de la santé mondiale à affronter4. L’OMS s’inquiète que la réticence face aux vaccins ou le refus de l’immunisation en dépit de leur accessibilité menace d’annuler les progrès réalisés dans la réduction des maladies à prévention vaccinale. Selon l’organisation, la vaccination est l’un des moyens les plus rentables d’éviter les maladies; elle prévient actuellement de 2 à 3 millions de décès par année, et 1,5 million d’autres décès pourraient être évités si la couverture mondiale était améliorée4.
À première vue, le lien entre ces histoires réside à la fois dans la peur et dans l’ignorance des énormes bienfaits pour la santé qu’ont apportés à l’humanité la découverte et le raffinement de la vaccination. Pour la plupart des médecins, cette crainte peut être difficile à comprendre, comme en témoignent les résultats d’un concours organisé en 2007 par le BMJ pour déterminer les principaux jalons dans l’histoire de la médecine. La vaccination figurait parmi les 10 premiers, mise en nomination et défendue par l’historien médical Michael Worboys5.
La peur de l’enfant à la clinique est primitive : la douleur de l’injection, la menace posée par les gestes des adultes, tant le parent que l’infirmière portant le « coup », dont les bonnes intentions n’ont rien d’évident pour un enfant. Ce genre de peur est facile à comprendre. Mais la peur, l’ignorance et d’autres facteurs puissants et complexes soustendent la méfiance face aux vaccins, non seulement chez les parents bien nantis, éduqués et de race blanche que nous considérons souvent comme typiquement réticents à l’égard des vaccins, mais aussi dans le monde entier, comme l’explore si bien et avec sensibilité l’auteure et essayiste américaine Eula Biss dans son livre On Immunity : An Inoculation1. Le récit du jeune Américain qui revient au pays avec la rougeole est raconté au milieu du livre, dans lequel elle examine les racines profondes de la réticence aux vaccins. L’un des éléments les plus convaincants dans On Immunity est le début du cheminement parcouru par Biss après la naissance de son fils et son aveu qu’à cette époque, elle avait ressenti bon nombre des mêmes craintes que celles exprimées par les opposants à la vaccination. Plutôt que de laisser libre cours à ses peurs, elle a entrepris de découvrir la vérité à propos de la vaccination, à la fois sur les plans de l’histoire, de la science clinique, de la mythologie et de la sociologie, pour en faire une œuvre rare et précieuse.
Cette édition du Médecin de famille canadien met l’accent sur la santé des enfants et présente une révision clinique pratique et opportune pour aider les médecins à aborder la réticence à l’égard de la vaccination (page e91)6. Les médecins de famille et les autres professionnels de la santé demeurent des sources très fiables d’information sur la santé, comme le démontrent Shen et Dubey6. Leurs conseils pratiques seront utiles aux médecins de famille, mais cela ne suffira peut-être pas à changer l’avis des parents craintifs. En faisant connaître On Immunity aux parents anxieux et en les encourageant à le lire, et en suivant les conseils pratiques de Shen et Dubey, on pourrait réunir l’art et la science de la médecine familiale pour surmonter la peur7,8. Comme l’écrivait l’omnipraticien et auteur britannique Gavin Francis dans sa revue sur On Immunity :
Le livre lui-même est une inoculation : il greffe et unit différentes traditions de l’essai et, ce faisant, crée quelque chose de plus fort et plus résilient. Son urgent message est une inoculation contre l’ignorance et l’alarmisme dans le monde, et il apporte de la substance et du bon sens aux débats sur la vaccination9.
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