Avant l’illumination, fendez du bois, portez de l’eau.
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Proverbe zen
Les statines sont devenues la pierre angulaire pharmacologique sur laquelle reposent la prévention et le traitement des maladies cardiovasculaires (MCV). Par ailleurs, selon des études d’envergure sur les statines, il est évident qu’une réduction maximale des niveaux de cholestérol à lipoprotéines de basse densité (C-LDL) n’empêche pas 2 incidents cardiovasculaires sur 3 de se produire1. Ces incidents représentent le fameux risque résiduel après une thérapie optimisée aux statines. Les tentatives visant à réduire davantage les niveaux de C-LDL chez les patients souffrant d’une MCV établie à l’aide de statines à forte dose2 en ajoutant de l’ézétimibe3 ou en ajoutant des inhibiteurs de la proprotéine convertase subtilisine/kexine de type 94,5 se sont toutes traduites par une modeste réduction absolue additionnelle de 1 à 2 % sur une période de 2 à 6 ans. Aucune de ces études sur l’intensification du traitement n’a démontré de réduction dans la mortalité toutes causes confondues.
La prévalence de l’obésité a continué d’augmenter au Canada6 et aux États-Unis7. On s’inquiète que, depuis 1990, les bienfaits obtenus sur le plan de la mortalité grâce au contrôle du tabagisme, de l’hypertension et des taux lipidiques aient été neutralisés par les effets cardiométaboliques néfastes de l’obésité7. Ces effets sont associés à l’hyperinsulinémie, au diabète et au syndrome métabolique. De nombreuses personnes obèses affichent le profil de la « dyslipidémie athérogène », caractérisé par des niveaux élevés de triglycérides, des niveaux faibles ou dysfonctionnels de lipoprotéines de haute densité (HDL) et une prédominance de particules de LDL petites et denses8. Le sérum peut contenir de grandes quantités de particules intensément athérogènes comme des lipoprotéines de très basse densité, des lipoprotéines de densité intermédiaire, des restes de chylomicrons et des lipoprotéines résiduelles9. Les efforts pour réduire les incidents cardiovasculaires en abaissant les niveaux de triglycérides et en élevant les niveaux de HDL au moyen de la niacine10 ou du fénofibrate11 en plus des statines se sont révélés vains dans de grandes études randomisées. De même, l’ajout aux statines d’inhibiteurs des protéines de transfert des esters de cholestérol chez des patients à risque élevé a réussi à augmenter les taux de HDL de manière statistiquement significative, sans toutefois réduire le nombre d’incidents cardiovasculaires12,13.
Étant donné que nous semblons avoir atteint le potentiel thérapeutique maximal de l’utilisation des statines, et que les pharmacothérapies additionnelles ne produisent que de modestes bienfaits additionnels, il semble avisé de recentrer notre attention sur les options liées au mode de vie qui peuvent réduire les incidents, de concert avec une thérapie aux statines. Les interventions pour la cessation du tabagisme ont connu un grand succès14. Les interventions diététiques et sur le plan de l’activité physique peuvent être tout aussi efficaces (la définition d’activité physique se trouve à l’Encadré 115,16). La mise en œuvre sous-optimale d’interventions efficaces en matière d’activité physique peut être attribuable autant au manque de prise en charge par les médecins dans ce domaine qu’à la non-conformité des patients. Le présent article explore plus en profondeur les raisons qui sous-tendent cette réalité.
Glossaire
Condition cardiovasculaire : Attributs qui améliorent la capacité d’effectuer de l’activité physique. Se mesure par l’absorption maximale d’oxygène. Peut partiellement être d’origine génétique, mais peut être entraînée au moyen de l’exercice15
Exercices : Un sous-ensemble de l’activité physique qui comporte un objectif de conditionnement ou de maintien, qui est planifié, structuré et répétitif16
MET : 1 MET désigne 1 kcal/kg par heure, et représente environ l’équivalent d’énergie dépensée par une personne au repos
Activité physique : Mouvements du corps produits par les muscles squelettiques exigeant une dépense d’énergie. Peut inclure des activités occupationnelles, récréatives et de conditionnement, de même que des activités de la vie quotidienne
MET—équivalent métabolique.
Données probantes en faveur des statines et de l’activité physique
Si les bienfaits des statines sont bien établis, il peut être moins bien connu que l’activité physique est aussi efficace pour prévenir la mortalité due aux MCV en prévention secondaire17, et pourrait en réalité être supérieure dans la réduction de la mortalité due aux MCV et toutes causes confondues en prévention primaire (Tableau 1)3,17–57; par ailleurs, les données probantes étayant les interventions liées à l’activité physique sont moins solides. Le Tableau 13,17–57 résume les méta-analyses et les principales études randomisées contrôlées (ERC) qui évaluent les bienfaits des statines et de l’activité physique. Par exemple, de bonnes données factuelles démontrent que le diabète est accru chez les utilisateurs de statines32,33, tandis que l’activité physique est une mesure de prévention très efficace34,35. De la même façon, l’obésité est plus présente chez les utilisateurs de statines36, alors que l’activité physique est un adjuvant dans la prévention du gain pondéral37. Une plus faible incidence de cancers, exception faite des mélanomes, est directement associée à l’activité physique44,45, tout comme une réduction des chutes48,49, mais les statines n’ont pas de tels effets47. L’activité physique améliore uniformément la qualité de vie, ce qui est un objectif primordial des interventions en matière de santé55–57. Ces résultats sont les mêmes, qu’importe le genre ou l’état relativement à de nombreuses maladies chroniques, incluant le cancer58. Il n’existe pas de données utiles accessibles sur l’influence des statines sur la qualité de vie.
Mise en œuvre sous-optimale
Diverses raisons possibles expliquent la mise en œuvre sous-optimale des interventions fondées sur l’exercice.
Recours à des marqueurs de substitution inappropriés pour mesurer la réussite
Changements dans les lipoprotéines : Les niveaux de triglycérides chutent de manière fiable avec l’exercice, et les baisses durent jusqu’à 15 jours après une période d’activité35. Le niveau de cholestérol à lipoprotéines de haute densité augmente, mais cela se produit principalement chez ceux qui font le plus d’exercice59. Les méta-analyses accessibles d’ERC60–63 démontrent que les taux de cholestérol total et de C-LDC demeurent généralement inchangés. En moyenne, les études incluses duraient habituellement de 1 à 6 mois. Il a été démontré que la variabilité à court terme dans les taux de cholestérol peut passer d’environ −0,80 mmol/L à 0,80 mmol/L, et qu’il peut prendre jusqu’à 4 ans pour que la variation à long terme dépasse la variabilité à court terme64. Par conséquent, les véritables bienfaits de l’activité physique ne seront probablement pas reflétés dans le profil lipidique standard à court terme. Les bienfaits pourraient plutôt être médiés par une réduction dans le nombre des particules de LDL, comme en témoigneraient les valeurs des apolipoprotéines B65 ou la mesure directe66, rendant la diffusion des particules athérogènes à travers d’endothélium vasculaire moins probable. Si l’on se fie aux changements dans les niveaux de C-LDL et de cholestérol total, le recours à l’activité physique ne sera pas reconnu comme une intervention bénéfique.
Changements dans le poids : Si la recommandation de faire de l’exercice modéré pendant 30 minutes 5 jours par semaine, en plus de 2 jours d’entraînement contre résistance, est efficace pour préserver la santé cardiométabolique67, elle ne suffit pas à prévenir le gain pondéral continu avec le temps. La prévention d’une transition entre un surpoids et l’obésité dans notre environnement alimentaire actuel exige de faire de l’exercice pendant 45 à 60 minutes par jour68, et la perte pondérale exigerait encore plus si seul l’exercice constituait l’intervention. Il est possible d’améliorer la santé cardiométabolique par l’exercice sans perte pondérale69,70. Il semble plus raisonnable de surveiller régulièrement les changements dans les habitudes comportementales comme mesure de la conformité à l’activité physique, plutôt que de s’attendre à une perte pondérale.
Recours à des ERC à court terme pour de l’information sur les résultats à long terme.
Il n’existe pas d’ERC à long terme qui établisse un rapport de cause à effet entre l’activité physique et l’incidence des MCV60. Des problèmes d’ordre éthique et pratique rendent impossible le fait d’amorcer et de maintenir l’échantillonnage et la mesure de la conformité. De fait, différentes études sont nécessaires pour faire la distinction entre l’efficacité et l’efficience d’une intervention71. Les études randomisées contrôlées s’intéressent à l’efficacité et établissent ce à quoi on peut s’attendre. Dans le monde réel, la mesure de l’efficience exige une étude observationnelle, préférablement une étude pragmatique contrôlée, jumelée à un suivi des cohortes de l’étude avec le temps72. Il est difficile de faire respecter la randomisation dans un monde dominé par les préférences, sur des périodes suffisamment longues71. Les essais les plus révélateurs sur l’activité physique sont les études de cohortes prospectives qui font l’objet d’un suivi assez long pour détecter des effets indésirables potentiels, et qui stratifient les sujets à comparer selon le risque au point de départ et contrôlent aussi bien que possible les facteurs de confusion. La force des associations est d’autant plus augmentée si un certain nombre des critères de Bradford Hill73,74 pour établir la causalité sont respectés (Tableau 2)15,19,23,31,73–79. Les études randomisées contrôlées ne peuvent pas évaluer adéquatement les bienfaits et les effets indésirables, tout en tenant compte des préférences des patients et en assurant la conformité dans les conditions de la vraie vie.
Préoccupations entourant la non-adhésion.
Aucune étude n’a été trouvée documentant l’adhésion à une prescription d’exercices au fil du temps. Une étude prospective sur 2 ans a fait valoir que de 18 à 24 % des adultes respectaient les niveaux d’activité physique recommandés pendant toute la durée de l’étude80. Ces sujets étaient déjà motivés au départ et n’avaient pas reçu d’ordonnance. D’autre part, la conformité sur 2 ans aux prescriptions de statines s’élevait à 40 % après un syndrome coronarien aigu, mais à seulement 25 % en prévention primaire81. Il semble probable qu’avec un renforcement des interventions liées à l’activité physique aussi fréquent et enthousiaste que pour la pharmacothérapie, l’adhésion et l’observance à l’activité physique pourraient être semblables à celles démontrées pour les statines. De modestes changements à l’activité produisent des gains importants. Le passage de la sédentarité à un faible niveau d’activité est associé au plus grand bienfait cardiométabolique incrémentiel82. Même les interventions qui sont loin d’atteindre les niveaux actuellement recommandés peuvent avoir des effets considérables sur les issues cardiovasculaires83.
Omission d’aborder l’alimentation.
Un apport excessif en calories et en glucides simples annulera complètement les effets modérateurs du gain de poids produits par l’activité physique84. L’activité peut aider à contrôler le poids, et des effets bénéfiques cardiométaboliques se produiront même sans perte pondérale. Il faut cependant contrôler l’apport excessif en calories et en glucides simples dans notre environnement propice à l’obésité si l’on veut éviter le gain pondéral par défaut avec le temps85,86. Le régime méditerranéen est la meilleure option pour éviter le gain de poids87 et, selon une ERC d’envergure88, aucune augmentation du poids n’est observée sur 5 ans en dépit d’un apport calorique sans restriction.
Connaissances insuffisantes pour une prescription appropriée.
Chez les médecins, le manque de connaissances ou de confiance nécessaires pour produire une ordonnance d’exercices (Encadré 2) vient du fait que notre formation n’insiste pas pour affirmer que l’activité physique peut être une intervention efficace en soins de santé. Par conséquent, nous nous fions aux médicaments, qui sont inférieurs à l’activité physique à bien des égards, notamment pour la réduction de la mortalité et l’amélioration de la qualité de vie. L’ordonnance d’exercices devrait être individualisée en fonction de l’état du patient au point de départ, du temps disponible et des résultats souhaités. Certains ont démontré que de brèves interventions renforcées régulièrement sont efficaces89,90. Un modèle de formulaire d’ordonnance se trouve à https://www.exerciseismedicine.org/canada/assets/page_documents/EIM_PrescriptionPad_FRE_web_2017.pdf. Le Tableau 356,67,68,83,89,91–100 présente en exemples des scénarios d’interventions selon les besoins du patient.
Stratégies susceptibles de promouvoir une augmentation de l’activité physique
Dans vos interventions pour augmenter l’activité physique chez un patient…
Faire preuve d’enthousiasme et d’engagement en prescrivant l’activité et en se fiant aux données probantes
Porter attention à des mesures objectives des changements de comportement plutôt que se fier à des marqueurs substituts inutiles comme mesures de réussite
Envisager de suggérer des modifications à l’alimentation et la réduction des glucides pour éviter l’hyperinsulinémie et le gain pondéral par défaut
Avoir confiance dans la production d’une ordonnance d’exercices appropriée pour chaque patient sédentaire
Être disposé à renforcer la prescription d’exercices par une demande de consultation à un programme ou de brèves interventions à chaque visite
Reconnaître que nous ne pouvons pas nous fier seulement à la pharmacothérapie pour améliorer la QdV et la longévité
QdV—qualité de vie.
La condition cardiorespiratoire, un résultat mesurable d’une activité physique accrue, représente l’indicateur pronostique le plus solide d’une survie à long terme, dépassé seulement en fiabilité par l’âge du patient75. Une meilleure condition physique et une thérapie aux statines s’additionnent lorsqu’elles sont examinées en rétrospective à long terme75 et dans des études prospectives de cohortes23. La plupart des adultes plus âgés peuvent atteindre une capacité d’exercice de 5 à 7 équivalents métaboliques (MET), ce qui confère la même protection qu’une statine administrée à des sujets en mauvaise forme physique dont la capacité d’exercice est de moins de 5 MET (Encadré 1)15,16; par ailleurs, l’ajout d’une statine à ce niveau de condition physique produit une réduction additionnelle du risque relatif de mortalité de 35 %23. Selon une méta-analyse101, une amélioration de 1 MET de la capacité d’exercice procure en général une réduction du risque de mortalité de l’ordre de 12 à 15 %.
L’ajout de statines à l’activité physique expose le patient à un risque plus élevé de myopathie, surtout dans les cas de doses extrêmes de médicaments et d’activité, et chez les personnes plus âgées102. L’ordonnance d’exercices devrait précéder celle de statines, et un programme optimisé d’activité physique devrait être en place avant d’ajouter la pharmacothérapie103,104.
Conclusion
L’athérosclérose est un problème lié au mode de vie qui mérite une solution liée au mode de vie, surtout en prévention primaire105. Les stratégies proposées à l’Encadré 2 pourraient favoriser une augmentation de l’activité physique.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2019 issue on page 164.
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Références
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