La vaccination se classe parmi les interventions de santé publique ayant obtenu le plus de succès1,2. Elle a entraîné l’élimination et le contrôle de maladies qui étaient jadis courantes au Canada1. Avant l’arrivée des vaccins, la variole, la polio, la diphtérie, la rougeole et la coqueluche tuaient beaucoup d’enfants canadiens ou les rendaient gravement malades. Depuis que l’emploi des vaccins est très étendu, la variole a été éradiquée dans le monde, et les éclosions de polio, de rougeole, de rubéole et du syndrome de rubéole congénitale sont éliminées de l’Amérique2,3.
Il faut demeurer vigilant vu les récentes éclosions, au Canada, de maladies pouvant être prévenues par un vaccin4. Pour empêcher la transmission de personne à personne de maladies infectieuses, il est nécessaire que l’immunité collective soit suffisante, et cela s’obtient par un taux adéquat de vaccination5. De nombreuses éclosions récentes de rougeole, d’oreillons, de rubéole et de coqueluche ont été liées à des communautés sous-vaccinées6. Une couverture vaccinale adéquate est particulièrement cruciale à l’ère des résistances croissantes aux antimicrobiens et des voyages internationaux7,8.
Les parents sont de plus en plus inquiets à l’égard des vaccins9. Les recommandations des professionnels de la santé sont déterminantes pour l’acceptation des vaccins; mais plus du tiers des prestataires de vaccins au Canada rapportent se sentir mal à l’aise de conseiller les patients qui hésitent à se faire vacciner6. Nous fournissons ici de l’information sur l’hésitation des parents face à la vaccination, ainsi que des conseils cliniques pratiques pour aborder le problème en soins de première ligne.
Description de cas
Une mère amène son enfant à une clinique de médecine familiale pour la visite de puériculture de 2 mois. La mère n’a pas décidé si elle allait faire vacciner son enfant. Elle s’inquiète des adjuvants, comme l’aluminium, présents dans les vaccins. Elle a lu sur Internet des histoires d’enfants que les vaccins avaient rendus malades, y compris des histoires sur la neurotoxicité liée à l’aluminium. Elle ne se dit pas être contre les vaccins, mais elle a beaucoup de questions.
Sources de l’information
Nous avons effectué une recherche par mots-clés ayant relevé des études sur l’hésitation des parents face à la vaccination et se concentrant sur la communication entre le professionnel de la santé et le patient. On a recherché sur PubMed les articles publiés en anglais dans les 10 années ayant précédé le 1er janvier 2018. Les mots-clés anglais étaient vaccine hesitancy ou confidence ou acceptance, parents ou children, et communication, counseling ou clinical practice. On a épluché les références des articles relevés, à la recherche d’autres articles pertinents. Une recherche distincte de la littérature parallèle a été effectuée à l’aide de Google pour trouver les lignes directrices de pratique clinique publiées par les organisations de santé publique et de soins de santé, le matériel de transfert des connaissances à l’intention des professionnels de la santé et les ressources pouvant être utilisées durant les conversations avec les parents sur les vaccins.
Message principal
Taux canadien d’immunisation des enfants.
Au Canada, le taux d’immunisation des enfants est généralement élevé; à peine 1,5 % des enfants n’ont jamais reçu de vaccins10. La couverture vaccinale contre de nombreuses maladies pouvant être prévenues par un vaccin, dont la rougeole, les oreillons, la rubéole, la diphtérie, la coqueluche et le tétanos, demeure cependant sous la cible des 95 %11. Comparativement à 29 pays riches, le Canada s’est classé au 28e rang selon une mesure de vaccination pédiatrique de l’UNICEF ayant mesuré la prise vaccinale à l’âge de 2 ans12.
Cela est particulièrement préoccupant vu les récentes éclosions de rougeole, d’oreillons et de coqueluche au Canada. Entre 2005 et 2013, on a compté 9 éclosions notables de rougeole, et l’éclosion la plus importante en Amérique est survenue au Québec en 20124. En raison d’éclosions survenues à différents endroits au pays, l’incidence nationale de coqueluche était 7 fois plus élevée en 201213. En 2017, 4 provinces ont été la scène d’éclosions d’oreillons, et un nombre accru de cas a été rapporté à compter de l’automne 201614.
En quoi consiste l’hésitation face à la vaccination et pourquoi est-ce important?
L’Organisation mondiale de la Santé définit cette hésitation comme « l’acceptation tardive ou le refus de vaccins malgré l’offre de services d’immunisation »15. La plupart des parents qui hésitent à faire vacciner leurs enfants sont au centre du spectre et sous-immunisent leurs enfants plutôt que de ne pas les immuniser du tout16. Selon une récente enquête menée au Canada, bien qu’à peine 3 % des parents refusent tous les vaccins pour leurs enfants (refusent de vacciner), 19 % hésitent à vacciner8. Les parents qui hésitent à faire vacciner leurs enfants sont un groupe plus nombreux et plus à l’écoute que les parents qui refusent de vacciner16,17.
La décision de vacciner ou non repose sur un mélange complexe de facteurs culturels, psychosociaux, spirituels, politiques et cognitifs18. Les raisons d’hésiter face à la vaccination se classent en 3 catégories : manque de confiance (en l’efficacité, la sécurité, le système ou les décideurs), complaisance (perception d’un risque faible d’acquérir une maladie pouvant être prévenue par un vaccin) et manque de commodité (l’offre, l’accessibilité et l’attrait des services d’immunisation, y compris les heures, l’endroit, la langue et le contexte culturel)19. Selon des enquêtes menées récemment au Canada8, 70 % des parents s’inquiétaient des effets secondaires potentiels des vaccins et 38 % croyaient qu’un vaccin pouvait causer la maladie qu’il était censé prévenir. Les parents canadiens dont les enfants n’étaient pas immunisés ont mentionné l’absence de nécessité perçue des vaccins (28 %), une inquiétude à l’égard de l’innocuité des vaccins (17 %) et le nombre perçu d’effets secondaires (12 %) comme les principales raisons pour refuser l’immunisation20. Une autre enquête canadienne ayant porté sur le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole en particulier a révélé que 14 % des parents croyaient que le vaccin causait l’autisme et que 14 % d’autres parents en étaient incertains21. Les autres inquiétudes citées relativement à l’innocuité étaient les adjuvants des vaccins, les problèmes de santé à long terme et la surcharge du système immunitaire22.
Quel est le rôle du médecin de famille?
Chez les parents canadiens, 63 % recherchent l’information sur l’immunisation dans Internet; de ceux-là, près de la moitié font une recherche sur Google20. Cela est préoccupant, puisque l’information sur la vaccination obtenue sur les sites web et les réseaux sociaux est en bonne partie inexacte ou négative18. Il existe un grand nombre de sites web anti-vaccination qui propagent une gamme de messages anti-vaccination23.
Heureusement, plus de la moitié des parents canadiens continuent de se tourner vers leur médecin pour se renseigner sur la vaccination20. De plus, ils considèrent que leur fournisseur de soins est la source la plus fiable d’information sur la vaccination, malgré la multiplication des recherches dans Internet8. Plus des 2 tiers des parents sont d’avis que les médecins sont la source la plus digne de confiance d’information sur la vaccination, alors que seuls 27 % penchent vers Internet20. Les parents qui avaient reçu de l’information sur les vaccins de leur médecin avaient moins tendance à être inquiets que les parents qui avaient reçu l’information des membres de leur famille ou de leurs amis24. Les médecins de famille peuvent donc jouer un rôle important pour conseiller les parents qui hésitent à faire vacciner leur enfant et leur donner confiance dans les vaccins.
Parler de la vaccination et encourager les parents réticents.
La littérature recommande de nombreuses approches pour communiquer avec les parents au sujet des vaccins25–28 et a proposé différentes stratégies pour les conseiller8,29. Ces stratégies seraient cependant difficiles à mettre en pratique, et une revue Cochrane a rapporté que les données probantes étaient insuffisantes pour recommander une intervention en personne plutôt qu’une autre30.
Ce qui suit constitue des conseils pratiques et factuels de counseling, en plus d’énoncés concrets pouvant être utilisés durant les conversations (Tableau 1)25,31–33, de réponses aux questions souvent posées (Tableau 2)25,31,33–43 et de ressources en ligne d’information à jour (Tableau 3)1,44–48.
Exemples d’énoncés à utiliser durant les conversations sur la vaccination
Réponses aux questions souvent posées par les parents
Ressources sur la vaccination à l’intention des professionnels de la santé et des parents
Commencez tôt : Profitez des rendez-vous prénataux et des premiers rendez-vous postnataux39,49. Une étude à méthodes mixtes a montré que les parents qui retardaient ou refusaient les vaccins avaient 2 fois plus tendance à avoir réfléchi aux vaccins avant la naissance de leur enfant50. Une étude à répartition aléatoire et contrôlée a montré que l’observance du calendrier d’immunisation s’améliorait après une seule séance de formation prénatale, et une autre étude a montré que les interventions d’éducation par paliers, soit avant la naissance, après la naissance et 1 mois après la naissance, étaient bénéfiques51,52. À ces rendez-vous, les parents ont l’occasion de poser des questions et reçoivent du matériel crédible à apporter avec eux, comme des documents imprimés, des adresses de sites web ou d’autres outils.
Présentez la vaccination comme l’approche par défaut : Les Centers for Disease Control and Prevention recommandent une approche fondée sur la présomption de l’acquiescement pour les conversations sur la vaccination (Tableau 1)25,31–33 et la réitération de la recommandation après avoir répondu aux préoccupations des parents31. Une étude transversale a révélé que les parents avaient significativement plus tendance à résister aux recommandations en matière de vaccins si le médecin avait eu recours à une approche participative plutôt que fondée sur la présomption (rapport de cotes de 17,5; IC à 95 % : 1,2 à 253,5) et que lorsque les médecins faisaient un suivi après les recommandations initiales, presque la moitié des parents initialement résistants acceptaient les recommandations32. Bien qu’une étude transversale de suivi ait montré que les parents étaient moins satisfaits de la visite lorsque l’approche fondée sur la présomption était utilisée, celle-ci était quand même associée à un taux plus élevé d’acceptation à la fin de la visite53.
Soyez honnête quant aux effets secondaires lorsque la question est posée et rassurez les parents en leur confirmant que le système d’innocuité vaccinale est solide (Tableau 1)25,31–33,40,54 : Une revue systématique de 2014 a montré que les événements indésirables graves associés aux vaccins étaient extrêmement rares55. On pourrait réduire le risque perçu en reconnaissant que les vaccins pourraient entraîner des effets secondaires légers et des événements indésirables graves très rares56. Le système d’innocuité vaccinale canadien compte 8 volets, dont un processus d’approbation factuelle, une réglementation à l’intention des fabricants, des recommandations indépendantes concernant l’utilisation des vaccins et la surveillance continuelle des événements indésirables44. Une étude à répartition aléatoire et contrôlée a montré que le fait de fournir de l’information générale sur le système de déclaration des événements indésirables augmenterait la confiance envers les vaccins et leur acceptation chez les adultes57. Aucune étude n’a cependant été trouvée dans le cas de l’immunisation des enfants.
Racontez des histoires en plus de fournir des faits scientifiques33,58 : Selon une enquête effectuée auprès d’omnipraticiens aux États-Unis, les pratiques de communication les plus courantes jugées être très efficaces pour convaincre les parents sceptiques étaient les énoncés personnels du médecin sur ce qu’il ferait pour ses propres enfants et sur son expérience personnelle avec l’innocuité vaccinale chez ses patients59. Les histoires et les images qui mettent en lumière les effets des maladies pouvant être prévenues par un vaccin ont amélioré l’attitude à l’égard de la vaccination dans le cadre d’une étude à répartition aléatoire et contrôlée, surtout chez les personnes qui avaient moins confiance aux vaccins60. Une autre étude à répartition aléatoire et contrôlée a cependant montré que les histoires et les images dramatiques n’entraînaient aucun changement significatif de l’intention de vacciner, et réduiraient même l’intention chez les personnes dont la perception était la moins favorable61. Il faut préciser que cette étude ne s’en est tenue qu’aux messages sur le web. Bien qu’il soit nécessaire d’obtenir plus de données probantes à ce sujet, le fait de raconter des histoires, une approche souvent utilisée par le mouvement anti-vaccinal, a été proposé comme technique possible de transmission des messages afin de supplémenter l’information fondée sur les données probantes62.
Gagnez la confiance des parents : Une récente revue a révélé que la confiance qu’éprouvent les parents envers leur médecin aide à assurer l’observance du calendrier de vaccins63. Une étude qualitative a rapporté que le médecin obtient la confiance d’une mère lorsqu’il passe du temps à parler des vaccins, ne ridiculise pas ses inquiétudes, est bien informé et donne des réponses satisfaisantes64. D’autres études qualitatives ont cité le respect, l’empathie et l’information individualisée comme des aspects de la compétence en communication63.
Parlez de la douleur : La douleur associée à la vaccination préoccupe beaucoup de parents et d’enfants9. Il existe des lignes directrices de pratique cliniques fondées sur les données probantes pour atténuer la douleur liée à la vaccination (Tableau 4)65.
Interventions visant à réduire la douleur associée à la vaccination
Concentrez-vous sur la protection de l’enfant et de la collectivité : La nécessité des vaccins est une préoccupation importante des parents canadiens, et une étude menée au Québec a révélé que les facteurs les plus robustes associés à l’hésitation vaccinale étaient la croyance selon laquelle les maladies pouvant être prévenues par un vaccin ne sont pas graves66. Une étude menée aux États-Unis en est venue à la même conclusion67. Pour souligner l’importance de la protection individuelle, on peut envisager l’entrevue motivationnelle68. Une étude à répartition aléatoire et contrôlée menée récemment au Canada a montré que l’entrevue motivationnelle dans les unités de maternité augmentait de 20 % l’intention de vacciner et de 9 % la probabilité de vaccination complète69. Une revue systématique a conclu que les parents seraient prêts à faire vacciner leurs enfants pour le bien d’autrui; son importance relative à titre d’outil motivationnel est cependant incertaine70.
Limites des données probantes.
L’hésitation face à la vaccination est un domaine émergeant de la recherche, et les publications sur les façons de conseiller les parents réticents sont donc, pour le moment, limitées. De nombreuses études de recherche avaient une méthodologie qualitative, et certaines études quantitatives sont de nature observationnelle. Les prochaines études devraient viser à supplémenter les publications existantes par des études quantitatives de plus grande envergure et de meilleure qualité portant sur les types d’interventions de counseling dont il a été question dans le présent article.
Résolution du cas
La médecin écoute attentivement les inquiétudes de la mère. Elle sympathise et n’est ni réprobatrice ni critique. Elle explique à la mère que les adjuvants contenus dans les vaccins sont ajoutés pour des raisons précises; l’aluminium est ajouté pour aider le vaccin à mieux agir en stimulant le système immunitaire. Elle rassure la mère en lui disant que l’aluminium se trouve partout dans l’environnement, et que les quantités minimes se trouvant dans les vaccins, équivalentes aux quantités trouvées dans le lait maternel ou les préparations pour nourrissons, ne sont pas nocives. Elle rassure la mère en lui disant que le système d’innocuité vaccinale canadien est solide. Elle lui explique que, parce que les membres de la communauté voyagent, beaucoup des maladies qui avaient été éradiquées au Canada sont réapparues et rendent les enfants canadiens très malades. Elle recommande fortement que l’enfant reçoive les vaccins aujourd’hui même. La mère est toujours incertaine; le médecin lui remet donc des ressources à emporter et lui donne un rendez-vous plus long dans 2 semaines pour répondre à ses autres questions, en prévoyant de vacciner l’enfant à ce moment-là.
Conclusion
L’hésitation des parents face à la vaccination est un enjeu important au Canada. La prise de décision en matière de vaccination est complexe. À titre de source d’information la plus fiable en la matière, les médecins occupent une place unique pour convaincre les parents de passer de l’hésitation à l’acceptation. Les faits ne suffisent pas pour changer l’avis des parents qui hésitent à faire vacciner leurs enfants. Il faut, dès le départ, présenter la vaccination comme l’approche par défaut; être honnête quant aux effets secondaires; maintenir la confiance; mettre l’accent sur la protection; et parler de la douleur. Le médecin doit être prêt à répondre aux questions souvent posées et savoir où trouver les réponses aux questions inusitées. Il faut aussi remettre des ressources crédibles aux parents, surtout s’ils en font la demande.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ L’hésitation face à la vaccination signifie l’acceptation tardive ou le refus de vaccins malgré l’offre de services d’immunisation. Les parents hésitent de plus en plus à faire vacciner leurs enfants, et la couverture vaccinale de l’enfance semble être sous-optimale pour plusieurs maladies pouvant être prévenues par un vaccin au Canada. Les raisons de cette hésitation sont complexes.
▸ Les auteures conseillent aux praticiens de concentrer leurs efforts sur les parents qui sont réticents à l’égard des vaccins et qui sous-immunisent leurs enfants plutôt que sur les parents qui refusent fermement de faire vacciner leurs enfants.
▸ Bien que les parents consultent Internet pour obtenir de l’information sur la vaccination, les médecins demeurent la source d’information la plus fiable. Lorsqu’on parle de vaccination avec les parents réticents, les faits et les chiffres ne suffisent pas. Les auteures conseillent de raconter des histoires, d’établir une relation de confiance avec les parents, de parler de la douleur liée à la vaccination, de présenter dès le départ la vaccination comme l’approche par défaut, de se concentrer sur les bienfaits de la protection et d’être honnête quant aux effets secondaires lorsque les parents posent la question.
Footnotes
Collaboratrices
Les 2 auteures ont contribué à la revue et à l’interprétation de la littérature ainsi qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2019 issue on page 175.
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