
Je participais récemment à des entrevues d’admission en médecine familiale. J’y étais avec d’autres médecins de famille pour évaluer les candidatures des étudiants qui postulent au programme de résidence. Par équipe de deux, nous rencontrions les candidats en entrevues individuelles. Ils devaient alors nous exprimer pourquoi ils souhaitaient se diriger en médecine de famille. Puis, nous leur posions des questions standardisées qui visaient à évaluer leurs habiletés dans les domaines correspondants aux rôles transversaux du CanMEDS–Médecine familiale1.
Mes impressions personnelles pourraient se résumer ainsi : Wow!
Il y avait là toute une brochette de « génies en herbes ». Majoritairement des filles. Sur ma liste, un seul garçon (où vont donc les garçons de nos jours?). Les candidates — j’utilise à dessein le féminin — étaient des jeunes filles brillantes, super brillantes. Elles avaient réalisé tout ce qu’il est possible de réaliser à leur âge. Elles parlaient couramment deux ou trois langues. Elles s’adonnaient à la musique, certaines faisaient partie d’une chorale ou jouaient dans un band, certaines étaient même diplômées d’un conservatoire de musique. Elles avaient gravi soit le Kilimandjaro, le Machu Picchu ou je ne sais trop quelle autre montagne; parcouru la Patagonie, le Nunavut ou je ne sais trop quel désert; pédalé le Canada d’ouest en est (ou bien était-ce dans le sens contraire?). Sans compter les nombreuses expériences d’entraide communautaire et de collaboration internationale qu’elles avaient réalisées. En réalité, il ne manquait que d’avoir sauté les chutes Niagara en baril ou d’avoir marché sur la Lune pour compléter le palmarès! (J’exagère à peine, croyez-moi.) Bref, un assortiment d’intelligentes jeunes filles, toutes plus brillantes les unes que les autres. Des superfemmes, en quelque sorte.
Et je me disais… wow! (Encore.)
Pendant que je les regardais défiler, un hamster trottinait dans ma tête et me murmurait à l’oreille : « Si c’était à refaire, je n’aurais pas la moindre chance de réussir cette entrevue et d’être accepté en médecine de famille. » Et, je n’étais pas le seul à être ainsi possédé par ce syndrome de l’imposteur.
Un second hamster — venu faire contrepoids au premier, j’imagine — me soufflait : « Oui, c’est bien beau, mais cela en fera-t-il de meilleurs médecins de famille? Faut-il être super performant pour être un bon médecin de famille? Faut-il être une superfemme ou un surhomme, pour ce qu’il en reste, pour être un bon médecin de famille? Une personne ordinaire (attention, je ne dis pas médiocre) peut-elle le devenir? »
Et me voilà à me questionner sur les qualités d’un bon médecin de famille. Il existe sûrement de grands traités et de longues dissertations qui expliquent en long et en large les qualités d’un bon médecin de famille. J’ai préféré demander à mon entourage — amis, collègues et collaborateurs — quelles étaient les qualités qu’ils estimaient le plus chez leur médecin. Un échantillon non aléatoire, non stratifié, non représentatif, sans valeur probante, voire même opportuniste, j’en conviens. J’ai obtenu les réponses suivantes : un bon médecin de famille est un médecin compétent (bien sûr!), mais surtout dévoué, disponible, à l’écoute, humble, empathique et qui s’efforce d’aider et de comprendre. Essayez, questionnez vos proches, je ne serais pas surpris que vous arriviez aux mêmes résultats.
Or, ces qualités ne sont certainement pas l’apanage et l’exclusivité des « surhommes » de ce monde. Bien au contraire. Dès lors, se pourrait-il que nous fassions fausse route en tentant de sélectionner les médecins de famille uniquement parmi les plus performants et les plus forts de notre société? Et se pourrait-il que des candidats « ordinaires » (pas médiocres, je le répète), issus des différentes couches de notre société — pauvres, riches, jeunes, plus âgés, hommes, femmes, diplômés au Canada ou ailleurs, formés en sciences de la santé ou en sciences humaines — puissent faire d’excellents médecins de famille?
Un bon médecin de famille est avant tout une personne qui s’intéresse aux autres, qui écoute et rassure, une personne dévouée et empathique. Un bon médecin de famille est une personne dotée d’émotions, qui rit, s’attriste, relativise et compatit.
Bref, un bon médecin de famille est simplement et avant tout, un être humain.
Footnotes
This article is also in English on page 238.
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Référence
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