L’intégration des adjoints au médecin (AM) du monde civil dans le système ontarien de la santé a commencé en 2007 dans le contexte d’un projet de démonstration conjoint, sous l’égide du ministère de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) et de l’Ontario Medical Association. Depuis, les AM se sont intégrés dans de nombreux milieux cliniques, et des programmes de formation dans cette discipline ont été créés dans 2 universités ontariennes (Université McMaster à Hamilton et Université de Toronto, qui offrent ces programmes en collaboration avec l’École de médecine du Nord de l’Ontario et le Michener Institute of Education); ils s’ajoutent à celui des AM au sein des Forces armées canadiennes, aussi situé en Ontario. Selon la directrice des communications et des relations avec les parties prenantes de l’Association canadiennes des adjoints au médecin (ACAM), en date de juillet 2017, on comptait 587 AM en pratique au Canada (communication personnelle, juillet 2017), et près de 70 % d’entre eux travaillaient en Ontario1. Même si ce recensement des membres démontre que le plus grand nombre d’AM sont diplômés de programmes en Ontario et y travaillent, l’intégration de ces AM dans le système de santé de la province s’est révélée problématique1. Dans le présent commentaire, nous soutenons que le gouvernement de l’Ontario doit déployer plus d’efforts pour régler ces problèmes dans un délai convenable, sans quoi il risque de compromettre l’avenir de la profession dans la province.
Rapports du Conference Board du Canada
En 2016 et 2017, le Conference Board du Canada (CBdC), à la demande de l’ACAM, a produit 4 rapports exhaustifs sur l’utilité et les répercussions économiques des AM2–5. Collectivement, ces rapports présentent aussi les réussites et les difficultés des AM au Canada jusqu’à présent.
Réussites des AM
Le premier rapport du CBdC, intitulé Value of Physician Assistants, passe en revue la littérature scientifique pertinente et le climat actuel dans l’utilisation des AM à l’échelle internationale2. Le rapport reconnaît la rareté de la recherche sur les AM au Canada, mais 5 études canadiennes étaient incluses dans l’analyse6–10. Ces études font valoir que les AM :
ont épargné à leurs médecins superviseurs plus de 200 heures par année et permis d’augmenter le volume des interventions en chirurgie6;
ont réduit le temps d’attente pour les consultations en milieu hospitalier et la durée des séjours7;
ont diminué la charge de travail des résidents et le nombre de congés tardifs de l’hôpital8;
ont réduit de près de la moitié le temps d’attente à l’urgence et de 50 % le nombre de patients repartis des urgences sans être vus9;
ont augmenté de plus de 35 % la productivité en chirurgie10.
Ce rapport a conclu qu’en dépit de ces données, l’acceptation de la profession des AM au Canada, donc en Ontario, est plus limitée que dans d’autres pays2. Selon le rapport, les problèmes critiques à résoudre sont les suivants : la définition de modes de financement appropriés; l’adoption d’une réglementation nationale; et l’assurance d’un volume suffisant de possibilités cliniques pour l’éducation et la formation des AM.
Le deuxième rapport du CBdC, Gaining Efficiency, qui est la suite logique du premier, utilise une modélisation économique pour définir les répercussions financières des AM3. Il s’agit de l’analyse de la valeur des AM sur les plans des économies de temps pour le médecin et des gains d’efficience dans 3 domaines de pratique : les soins primaires, les soins d’urgence et la chirurgie orthopédique. Les résultats ont fait valoir qu’une intégration efficace des AM peut se traduire par des économies lorsque ces derniers génèrent des augmentations de la productivité de l’ordre de 30 à 40 %. Sur 13 ans de pratique nationale des AM, cela pourrait engendrer des gains d’efficience se situant entre 89 et 100 millions de dollars. Ce rapport conclut que les AM peuvent remplacer de façon efficace des services plus coûteux lorsqu’offerts par des médecins, par l’entremise de la délégation. Le rapport n’aborde que brièvement le manque de financement durable pour les emplois des AM, ce qui mène au troisième rapport du CBdC, Funding Models for Physician Assistants.
Difficultés des AM.
Le rapport intitulé Funding Models for Physician Assistants présente des études de cas sur des modes de financement, tirées d’expériences vécues dans la province canadienne du Manitoba, aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas; ces pays et cette province ont réussi à bien intégrer les AM dans leurs systèmes de santé. Les études de cas se fondaient sur des entrevues structurées et sur la littérature scientifique existante. Ces expériences étaient ensuite comparées avec le contexte des AM en Ontario, puis les recommandations étaient formulées en fonction de ces comparaisons, concernant notamment le financement par le gouvernement provincial (Manitoba), un modèle de rémunération réduite à l’acte (États-Unis), l’emploi d’un nombre cible d’AM dans une période donnée (Royaume-Uni), et des incitatifs financiers pour les médecins ouvertement en faveur des AM (Pays-Bas). L’un des thèmes qui se sont dégagés des entrevues en Ontario était la crainte que les actuels modes de financement des AM dans la province soient précaires, insoutenables et imprévisibles, ce qui porte les intervenants à croire que la situation place l’avancement professionnel et la sécurité d’emploi dans une impasse4.
Il est regrettable que de nombreux AM en Ontario, la province qui forme et emploie le plus grand nombre d’AM, soient confrontés, année après année, à un possible manque d’emplois. Il est trop tôt pour dire si ces rapports du CBdC inciteront le gouvernement à agir en Ontario; toutefois, l’ACAM a utilisé ces rapports dans son travail de plaidoyer, et espère que les constatations et la modélisation du financement inspireront les décideurs et les intervenants à prendre les mesures nécessaires.
Une économie précaire, un manque de financement et une faible priorité
En 2012, le gouvernement de l’Ontario a imposé un gel au budget des hôpitaux, et de nombreux travailleurs du domaine de la santé employés par les hôpitaux se sont soudainement trouvés sans emploi après des décennies de service11. Il y avait peu de volonté politique d’augmenter le financement d’une nouvelle profession dont les bienfaits économiques n’étaient pas encore étayés par des données. Simultanément, les médecins ontariens étaient aux prises avec des réductions dans leur rémunération à l’acte12, et les nouveaux médecins peinaient à trouver de l’emploi après l’obtention de leur diplôme13. Même si l’Association médicale canadienne et l’Ontario Medical Association avaient reconnu la profession des AM et le rôle important qu’elle exerçait dans le système de santé, les problèmes associés au budget et à la profession médicale sont demeurés au premier plan.
Au cours des années qui ont suivi le projet de démonstration, la plus grande déception fut l’omission du MSSLD d’agir rapidement pour établir un mode de financement des AM qui soit plus durable et utilisé plus largement. Jusqu’à présent, il n’existe que 2 stratégies de financement des PA en Ontario : le Programme de lancement de carrière des adjoints au médecin14 et le financement des équipes de santé familiale15. Le premier se présente sous forme d’une subvention qui dure de 1 à 2 ans pour aider à l’embauche de nouveaux diplômés. Toutefois, lorsque se termine le financement, les hôpitaux et les cliniques sont dans l’obligation de payer le salaire des AM à même leurs budgets globaux. Le deuxième mode de financement, versé aux équipes de santé familiale, soutient l’inscription des patients dans des groupes de soins primaires qui incluent des postes d’AM, mais il est souvent limité parce qu’il n’est pas distinctement identifié en tant que salaire des AM.
Entre 2008 et 2016, le nombre d’AM diplômés en Ontario a quadruplé et pourtant, le marché de l’emploi est demeuré relativement restreint en dépit des études démontrant que les AM satisfont aux normes de soins. Même si un rapport déposé par la Commission de la réforme des services publics de l’Ontario recommandait à la province de transférer aux AM des tâches plus coûteuses lorsqu’accomplies par les médecins16, le gouvernement n’a pas déployé beaucoup d’efforts pour investir dans la profession et la promouvoir.
Intervenants en opposition
L’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario a exprimé très tôt sa ferme opposition aux AM, alléguant une formation insuffisante, des préoccupations liées à la sécurité des patients et des coûts inutiles17. Des inquiétudes semblables ont été soulevées par l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario, l’Ontario Association of Medical Radiation Technologists et la Société des organisations des citoyens aînés de l’Ontario18. Les opinions formulées il y a plus de 5 ans reflétaient probablement le petit nombre d’AM sur le marché de l’emploi, le peu d’expérience du travail avec la profession et l’absence de statut réglementaire. Plus récemment, ces intervenants n’ont pas critiqué publiquement la profession des AM; ils ont plutôt présenté des précisions quant à la façon de mieux comprendre le rôle des AM et le processus de délégation des actes réglementés19. En outre, les AM signalent une grande variation dans le degré d’acceptation de leur rôle par d’autres professionnels de la santé.
Absence de statut réglementaire
Les groupes de professionnels de la santé en Ontario peuvent présenter une demande d’autoréglementation auprès du Conseil consultatif de réglementation des professions de la santé (CCRPS), et les AM de l’Ontario ont présenté une telle demande en 2012. Selon les lignes directrices du CCRPS, les requérants doivent présenter de solides arguments fondés sur des données probantes étayant les risques de préjudices à la population20, avant que soit accordée l’autoréglementation. Ironiquement, le CCRPS a déterminé que les AM en Ontario ne satisfaisaient pas à ce critère. Par ailleurs, les établissements hospitaliers et les médecins ont affirmé dans leurs soumissions au CCRPS que les AM répondaient de manière inhérente à ce seuil de risque, parce que le champ de pratique des AM reflète celui de leur médecin superviseur. Par conséquent, si les AM effectuent des tâches semblables à celles des médecins, comment pourraient-ils ne pas présenter un risque potentiel pour le public? Les associations d’infirmières et de certains autres professionnels de la santé ont prétendu le contraire, notamment que le tort au public est minime si les médecins assurent une supervision suffisante à leur AM, comme ils en ont l’obligation21. En définitive, le CCRPS a déterminé que les AM basés en Ontario ne répondaient pas au seuil de torts, et que la réglementation était donc jugée inutile, assénant ainsi un autre coup à l’avancement des AM en Ontario. La réglementation procurerait une plus grande acceptation par les autres parties prenantes et faciliterait la mise en œuvre de la profession, surtout si les AM étaient réglementés par des collèges de médecins et chirurgiens, comme c’est le cas au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Alberta.
Même si le CCRPS a recommandé au Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario d’élaborer un répertoire obligatoire des AM, cela n’a pas été fait jusqu’à présent. En août 2017, le Dr Eric Hoskins, qui était ministre de la Santé à ce moment-là, a officiellement demandé au Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario d’envisager de prendre les mesures nécessaires pour réglementer les AM et de lui présenter un rapport avant la fin de 201722. Au moment de la rédaction de ce commentaire, aucun renseignement n’était accessible sur les progrès à cet égard; cependant, dans la réforme de la santé qu’a rendue publique l’actuel gouvernement de l’Ontario, il n’y a aucune mention des AM, et il n’est pas indiqué s’ils feront partie des plans du gouvernement pour réduire la médecine de corridor23.
Conclusion
Le projet de démonstration des AM a instauré la profession en Ontario et entraîné la mise sur pied d’une formation formelle des AM civils. Les rapports du CBdC démontrent que les AM peuvent apporter des bienfaits prometteurs sur les plans financier et systémique lorsqu’ils sont utilisés de manière optimale2–5. Malheureusement, l’absence de modes de financement plus durables et l’échec de la démarche visant à obtenir la réglementation ont freiné l’avancement de la profession. D’autres provinces ont réussi à implanter la pratique des AM sans grandes controverses et même, dans certains cas, en l’absence d’un programme de formation civil. Il est encourageant de savoir qu’en septembre 2017, le MSSLD a formé un groupe de travail sur les AM de l’Ontario pour étudier ces questionss (K. Burrows, communication personnelle, octobre 2017). Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de progrès concrets; toutefois, il est à espérer que des solutions viendront bientôt. Si ces défis peuvent être surmontés, le gouvernement de l’Ontario pourrait être capable de terminer ce qu’il a ambitieusement commencé il y a 10 ans : la réussite de l’implantation des AM en Ontario.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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