
Je manque sans doute d’objectivité, mais je trouve que j’ai beaucoup de chance de vivre dans notre beau pays, le Canada. Il n’y a pas d’autre endroit dans le monde où j’aimerais mieux vivre ou travailler. Cela dit, l’inégalité de la richesse dans notre pays me perturbe énormément. Les 10 % les mieux nantis détenaient près de la moitié (47,9 %) de toute la richesse au Canada en 2012, alors que les 30 % les moins riches en possédaient moins de 1 %1.
À la faculté de médecine, nous apprenons que les services de santé sont un facteur relativement modeste de l’état de santé d’une personne et que les déterminants sociaux de la santé — par exemple l’emploi, l’éducation, le milieu, le sexe ou le genre et la culture — y contribuent aussi2. Le revenu pourrait bien être le plus déterminant des déterminants sociaux de la santé. Trop de nos patients n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments, de manger sainement ou de vivre dans un logement décent, et nous avons tous vu les effets de ces conditions de vie sur leur santé. Nous avons tous souhaité pouvoir y changer quelque chose. En effet, il se trouve que nous le pouvons.
Dr Gary Bloch est médecin de famille au centre-ville de Toronto, en Ontario. Il y a quelques années, il pratiquait dans son propre cabinet et trouvait des façons d’optimiser l’aide financière pour ses patients. Il a fini par créer une liste des avantages auxquels ses patients pourraient avoir droit : prestations de revenu, allocations alimentaires et subventions pour les frais de téléphone et de transport. C’est ainsi qu’il a commencé à mettre au point ce qui deviendrait ensuite l’Outil sur la pauvreté3.
L’Outil sur la pauvreté a d’abord été conçu pour l’Ontario, puis il a été adapté à chacune des provinces. En l’intégrant aux dossiers médicaux électroniques, les médecins de famille peuvent l’utiliser au bureau. Au Manitoba, ma province de résidence et de travail, le gouvernement provincial a pris le relais avec la création du programme « Demandez vos prestations ». Quand les patients répondent « oui » à la question de dépistage « Avez-vous de la difficulté à joindre les deux bouts à la fin du mois ? », ils reçoivent une liste de ressources et services pouvant les aider dans certaines tâches, comme remplir leur déclaration de revenus, s’inscrire au régime public d’assurance médicaments ou déposer une demande pour le Programme d’aide à l’emploi et au revenu ou celui de Sécurité de la vieillesse. Certaines personnes admissibles à une aide sociale ou financière ont cependant de la difficulté à faire les démarches nécessaires pour se prévaloir de ces avantages. L’outil tente de pallier ce problème.
Pour bien faire le tour de la question, je dois maintenant soulever quelques problèmes de taille. En premier lieu, une question qu’on n’ose à peine poser : le travail des médecins de famille n’est-il pas déjà assez compliqué et laborieux sans qu’on ait besoin de s’inquiéter en plus du revenu et de la sécurité alimentaire de nos patients ? Nous savons tous qu’une question simple de 10 secondes peut aboutir à une longue conversation, et probablement, à encore plus de paperasse. Je n’ai que des réponses partielles et imparfaites à offrir. La première est que le modèle du Centre de médecine de famille insiste sur l’importance du travail en équipe avec d’autres professionnels de la santé. Ce que je décris plus haut est un travail essentiel, mais qui serait idéalement délégué à un autre membre de l’équipe du Centre de médecine de famille, de préférence un intervenant en travail social. Je sais que, pour l’heure, la plupart des cliniques n’emploient pas de travailleurs sociaux, mais c’est une pratique que nous pouvons encourager. En attendant, les infirmières en soins primaires, les coordonnateurs de soins à domicile et le personnel administratif peuvent aider.
Ma deuxième réponse partielle est que, depuis que j’ai découvert le travail de Dr Bloch, je constate un changement dans l’énergie que je peux consacrer à remplir tous ces vilains formulaires. Parfois, il m’arrive de douter du pouvoir qu’ont bon nombre des médicaments que je prescris. En revanche, lorsqu’il s’agit d’aider quelqu’un à obtenir un crédit d’impôt pour personnes handicapées ou un logement plus convenable, j’ai l’impression d’avoir un effet mesurable sur sa santé. Maintenant, quand des résidents à qui j’enseigne ressortent d’une consultation avec un formulaire à remplir pour un patient, je leur dis que c’est peut-être là la façon la plus concrète dont nous lui viendrons en aide cette année.
Le problème dont je dois parler en second lieu nous ramène à mon introduction sur l’inégalité économique dans notre pays. C’est difficile de l’admettre, mais si nous pensions à notre communauté de la même façon que nous pensons à notre famille, jamais nous ne structurerions notre société ainsi. Si un membre de notre famille souffrait d’un trouble de santé physique ou mentale invalidant, nous ne déciderions jamais de lui donner le logement le plus insalubre, la nourriture la plus malsaine et le revenu le plus bas. Pourtant, c’est ce que nous faisons dans notre société.
Encore une fois, c’est aux médecins de famille que revient la tâche de s’adapter et d’essayer de remédier aux imperfections de notre système. C’est en partie cela qui nous distingue. Je tiens à remercier Dr Bloch pour son travail qui a changé ce pays et pour la façon dont il nous a aidés à servir nos patients.
Footnotes
This article is also in English on page 517.
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