L’avenir de la pratique familiale repose sur l’élaboration de centres de médecine de famille pour nos patients, qui offrent des services complets en médecine familiale, tout en répondant aux besoins de la population et de la santé publique. Cette approche centrée sur le patient assure la continuité des soins en coordonnant tous les services médicaux qu’un patient reçoit dans la communauté1. La plupart des provinces se sont dotées de structures de pratique conçues pour des soins centrés sur la communauté (équipes de santé familiale en Ontario2,3, réseaux de soins primaires en Alberta, groupes de médecine familiale au Québec, etc.). Pourtant, divers facteurs empêchent les médecins de se familiariser avec les communautés de leurs patients, et inhibent leurs contributions à la conception et à la planification des centres de médecine de famille.
Les médecins se concentrent sur leurs propres patients, qui peuvent provenir de différents quartiers. Leurs horaires surchargés limitent la participation des médecins aux activités communautaires. Les cliniciens ne participent plus régulièrement aux visites des malades dans les hôpitaux, ce qui réduit leurs interactions avec d’autres médecins et leurs conversations à propos des enjeux communs dans leur pratique. La croissance des centres urbains limite les possibilités de rencontres imprévues comme celles plus fréquentes dans les plus petits centres. Et, au cœur de ce cercle vicieux, il se produit une diminution du sentiment d’appartenance à la communauté, qui dilue l’implication des médecins. S’impliquer davantage dans la pratique de la médecine centrée sur le patient est un impératif professionnel4.
L’implication, qui désigne une participation énergique à des activités personnellement épanouissantes qui rehaussent le sentiment d’efficacité professionnelle d’une personne5, est essentielle à la satisfaction au travail6. Un médecin impliqué est plus attentif envers ses patients, ce qui permet un niveau de soins supérieur. L’implication des médecins bénéficie aux organisations de soins de santé, parce que ces personnes deviennent des leaders qui
assument la responsabilité d’établir l’orientation nécessaire à des changements positifs dans la santé et le bien-être au sein du système de santé, s’acquittent de cette responsabilité avec souci d’autrui et compassion, et influencent les autres à travailler ensemble pour réaliser ces changements7.
Avant tout, l’implication est bénéfique aux médecins eux-mêmes en prévenant l’épuisement professionnel, ce sentiment chronique d’accablement et de détachement qui est malheureusement courant chez les médecins de soins primaires5.
Les médecins sont habituellement très impliqués en début de carrière. L’éducation et la formation des médecins sont axées sur les connaissances et les habiletés cliniques nécessaires pour les soins individuels à chaque patient, mais n’insistent pas suffisamment sur les autres compétences des praticiens accomplis de la médecine4. Même s’ils sont réglementés et guidés par des collèges professionnels, les médecins sont autonomes. À mesure qu’ils perfectionnent les compétences essentielles à la pratique, les médecins cernent des thèmes dans la santé de leurs patients. Leur intérêt pour la santé de la population s’accroît et est stimulé par des expériences positives de collaboration interprofessionnelle.
Sphères d’intérêt
Le maintien de l’implication se fait progressivement et évolue avec les champs d’intérêt du médecin (Figure 1). Les éléments plus fondamentaux doivent être satisfaits avant que l’attention du médecin se tourne vers la prochaine sphère d’intérêt.
Intérêts personnels.
Au départ, les préoccupations centrales du médecin portent sur eux-mêmes et sur les patients qu’ils soignent. Ils cernent des possibilités de défendre efficacement les intérêts de leurs patients. Le temps requis pour exercer la médecine augmente, et les médecins aspirent à faire un juste équilibre entre leur profession et leur vie personnelle. Inévitablement, les médecins reconnaissent des lacunes dans leurs connaissances.
Éducation ou érudition.
Pour combler ces lacunes et améliorer les soins à leurs patients, les médecins se concentrent sur le développement professionnel. Les nouvelles connaissances et perspectives acquises durant les conférences ou les programmes de développement professionnel continu (DPC) sont transposées dans la pratique clinique. L’un des avantages à participer à des conférences et à des cours, que ce soit en personne ou en ligne, réside dans la possibilité de discuter avec des pairs des problèmes rencontrés dans la pratique. Certains valorisent ces expériences à un point tel qu’ils perfectionnent leurs propres compétences pour enseigner à d’autres médecins. Si un médecin impliqué est frustré parce que des problèmes dans les soins aux patients demeurent sans réponse, il ou elle pourrait se tourner vers la recherche ou contribuer à la littérature médicale.
Amélioration de la qualité (AQ).
Grâce à l’éducation, les effets des processus cliniques sur les soins aux patients sont mieux compris, et cette compréhension vient souvent avec la reconnaissance de la façon dont les obstacles aux pratiques exemplaires peuvent se former. Les médecins impliqués s’attaquent à ces frustrations en impliquant d’autres collègues dans des efforts tels que des activités d’AQ. L’amélioration de la qualité exige une collecte et une analyse des données à une petite échelle, puis l’intégration d’un essai du changement pour évaluer ses répercussions sur les soins aux patients et sur l’ensemble de l’organisation. Les résultats éclairent les changements dans les processus de la pratique, ce qui permet d’améliorer les issues chez les patients. L’expérience en AQ donne un aperçu des multiples aspects des soins aux patients dans l’organisation même du médecin en particulier et renforce la collaboration interprofessionnelle. La participation à des changements novateurs est en soi énergisante et satisfaisante7.
Carrière en leadership
Réussir à améliorer les soins aux patients par de telles initiatives de collaboration pourrait susciter un intérêt à diriger d’autres améliorations. En cultivant une approche plus holistique à la solution de problèmes, les médecins peuvent prendre part à la gouvernance organisationnelle. Ils pourraient décider de représenter leurs collègues et de plaider en faveur des patients dans des structures plus larges, en structurant et en planifiant les soins de santé dans la communauté.
Réflexion systémique
Des personnes exceptionnelles pourraient relever l’ultime défi en soins de santé : concevoir et intégrer des systèmes de santé sur le plan macro. L’implication à ce niveau peut transformer le système de santé.
Implication évolutive
L’implication habilite les médecins à bâtir et renforcer le centre de médecine de famille pour leurs patients. En écoutant leurs patients, en se perfectionnant pour offrir de meilleurs soins et en implantant des améliorations dans les processus centrés sur le patient (sphères 1 à 3), les médecins édifient les centres de médecine de famille dont veulent leurs patients. À mesure qu’un médecin impliqué se bâtit une carrière en leadership (sphère 4) et adopte un mode de réflexion systémique (sphère 5), les innovations fructueuses peuvent être mises en application plus largement, ce qui renforce les centres de médecine de famille dans l’ensemble du système de santé.
Enfin, les médecins s’impliquent par choix actif, renforcé par une orientation axée sur la communauté, une conscience sociale et un désir de contribuer7. La connaissance de soi et de solides habiletés en communication sont des facteurs importants. Les penseurs innovateurs deviendront plus probablement des chefs de file7,8. La peur de l’échec8 et l’anxiété relatifs à ses propres compétences en tant que chef de file7 représentent des obstacles. Tous les médecins ne deviendront pas des leaders, mais les organisations de soins de santé peuvent encourager leur implication et éliminer les obstacles à leur participation.
Les organisations très bureaucratiques entravent l’implication des médecins7,8. Les conflits chroniques, les pratiques médiocres en matière de communication et l’interférence dans les meilleurs soins possibles aux patients constituent des obstacles considérables7. Une culture d’implication se caractérise par des communications ouvertes7–9, la confiance7,8 et le respect7 : elle favorise la collaboration, et encourage les contributions et la participation des médecins, surtout en ce qui concerne les soins aux patients7. Les médecins s’impliquent davantage dans les organisations qui les incluent dans les décisions à propos de leurs préoccupations7,9. Un engagement organisationnel envers la solution de problèmes en équipe est propice à l’implication des médecins. L’implication exige du soutien, comme des ressources, de la formation et des possibilités éducatives, en particulier dans les domaines du leadership, de la communication et de la gestion des conflits7–9. Les incitatifs à l’implication sont utiles, mais ne doivent pas nécessairement être d’ordre financier. Il importe plus d’atténuer les principales pressions exercées sur les médecins : le temps, les fardeaux administratifs et l’équilibre entre le travail et la vie personnelle9. De simples invitations à participer et la reconnaissance alimentent l’implication7.
La structure de la rémunération des médecins peut susciter ou dissuader l’implication. Les modèles de rémunération à l’acte peuvent avoir un effet disparate sur les soins aux patients. Une approche strictement par nombre de patients, c’est-à-dire un montant forfaitaire pour chaque patient inscrit, ne tient pas compte des complexités de la pratique. Ni l’un ni l’autre de ces modèles n’offre des incitatifs à améliorer les soins aux patients. Des modèles de rémunération mixtes, qui incluent à la fois une structure par patient et à l’acte, peuvent encourager l’implication, surtout lorsque les bonis incitatifs ciblent les soins préventifs et la prise en charge des maladies chroniques. Les médecins engagés sont plus compétents dans les soins aux patients et plus à l’affût des changements qu’ils peuvent faire dans la pratique pour améliorer les résultats chez les patients. En définitive, une implication stimulante sera bénéfique pour le système de santé.
Stratégies pour accroître l’implication des médecins
Des stratégies qui ciblent chacune des 5 sphères d’intérêt des médecins renforceront leur implication sur le plan individuel dans l’amélioration de tous les aspects des soins aux patients. Des mesures incitatives (financières ou non) qui épargnent du temps aux médecins, réduisent les coûts pour le système et améliorent les soins aux patients peuvent inciter les médecins à participer à la conception des centres de médecine de famille. Pour les médecins qui se situent dans la première sphère d’intérêt, les incitatifs nécessaires sont la rémunération au rendement, des conseils sur la facturation, de meilleurs systèmes de demande de consultation et des possibilités de collaboration avec d’autres professionnels de la santé. Pour les médecins qui se perfectionnent ou qui adoptent un rôle d’érudit (sphère 2), l’idéal, ce sont des programmes de DPC conçus pour favoriser des changements proactifs et une meilleure collaboration, comme des programmes de perfectionnement professoral, du soutien à la recherche universitaire et des incitatifs à étudier la santé de la population. Les médecins qui commencent à travailler en AQ (sphère 3) ont besoin de formation dans ce type d’activité. Leur implication est soutenue par l’accès à des données au niveau populationnel, le partage d’objectifs d’évaluation et un soutien organisationnel aux décisions à prendre pour apporter les changements dans la pratique qu’étayent les données tirées des activités d’AQ. À mesure que les médecins s’engagent dans des carrières de leadership (sphère 4), la formation en leadership raffermira l’implication, que cette formation soit offerte par une faculté de médecine, ou des programmes de résidence ou de DPC, comme le programme du Collège canadien des leaders en santé10. Les possibilités de collaboration avec d’autres parties du système de santé pour explorer d’autres modèles de soins stimulent l’implication des médecins qui s’engagent dans une réflexion systémique (sphère 5).
L’implication des médecins peut contribuer à développer des leaders, à rehausser la voix des médecins de famille dans les soins à nos patients et la conception des centres de médecine de famille, de même qu’à améliorer la santé de nos communautés.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 609.
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