Plusieurs d’entre nous déplorent les obstacles juridiques que nos voisins du sud érigent pour limiter l’accès à l’avortement. Toutefois, peu d’entre nous sont aussi investis dans cet enjeu que notre collègue, la Dre Suzanne Newman. Dre Newman est médecin de famille et vit et travaille à Winnipeg. Son histoire remarquable démontre à quel point le Canada a fait du chemin dans ce domaine.
Dre Newman s’est d’abord intéressée à cette question en 1983, avant même ses études de médecine. À l’époque, Dr Henry Morgentaler ouvrait une clinique d’avortement à une rue de chez elle. Un beau jour, en rentrant chez elle à pied avec ses deux jeunes enfants, elle a été témoin d’une manifestation à l’extérieur de la clinique où des dizaines de personnes brandissaient des pancartes et hurlaient après les femmes à l’intérieur de la clinique. Dre Newman s’est sentie interpellée. Elle ne pouvait simplement pas rien faire. Elle a donc traversé la foule jusqu’à l’entrée de la clinique, puis elle s’est mise à crier contre les manifestants. Les femmes à l’intérieur ont ouvert la porte et l’ont tirée à l’intérieur. Sa vie allait changer pour toujours.
Dre Newman a commencé à faire du bénévolat à la clinique : parfois, elle accompagnait les patientes, parfois, elle travaillait à la réception. En 1983, les avortements pratiqués à l’extérieur des hôpitaux et loin de leurs comités d’avortement thérapeutique étaient illégaux au Canada. J’ai entendu Dre Newman décrire comment la police avait défoncé la porte et frappé l’un des bénévoles. Ils ont fait une descente dans la clinique et ont arrêté tous les occupants. Dre Newman et ses collègues ont été enfermés pendant trois nuits. Elle affirme que le temps passé derrière les barreaux a été effrayant, mais cela n’a rien fait pour atténuer son dévouement envers la cause.
À l’époque, elle avait conclu que le manque de médecins prêts à offrir ce service était l’un des obstacles à l’accès à l’avortement. Elle a donc décidé de retourner aux études pour devenir médecin. Quelques années plus tard, à l’âge de 41 ans, avec quatre enfants à la maison pour l’encourager, elle est entrée à la faculté de médecine. Devenue médecin de famille, elle a pratiqué la médecine familiale générale, y compris l’obstétrique. Elle a également pratiqué des avortements à la clinique Morgentaler et à l’hôpital pour femmes. Maintenant âgée de 70 ans, elle ne pratique plus la médecine, mais elle continue d’offrir des services d’avortement à la clinique Women’s Health à Winnipeg. Elle a toujours défendu vigoureusement les services d’avortement afin de lutter contre la stigmatisation. Elle sait très bien qu’il s’agit d’une période très difficile pour chaque femme et il est très important pour elles de se sentir en sécurité et respectées. Elle a consacré sa vie professionnelle à faire en sorte que ce soit le cas, même quand la police frappait à la porte.
La Cour suprême a annulé la loi antiavortement en 1988, mais les temps étaient encore tendus pour les médecins qui pratiquaient des avortements. Certains ont été abattus au Canada et aux États-Unis, y compris un médecin de Winnipeg. Tous les prestataires de services d’avortement de Winnipeg ont reçu la visite et les conseils de policiers sur leur sécurité personnelle. Plusieurs ont alors décidé de cesser d’offrir ce service. Mais pour la Dre Newman il était plus important que jamais de continuer. Sa seule concession au climat de terreur qui régnait a été de porter un gilet pare-balles pour se rendre au travail. Pour bon nombre d’entre nous, si l’on devait porter un gilet pare-balles pour aller travailler, nous cesserions d’y aller.
Au cours d’une récente conversation, Dre Newman a souligné que les services d’avortement ne sont toujours pas aussi accessibles qu’ils devraient l’être, surtout dans les communautés rurales et nordiques, en partie parce que très peu de médecins de famille au Canada prescrivent la pilule abortive, la combinaison mifépristone et misoprostol. Elle m’a demandé pourquoi je pensais que c’était le cas. Je ne savais pas trop comment répondre. La pilule est efficace jusqu’à neuf semaines de gestation et elle est plus sûre qu’un avortement chirurgical. On l’utilise en France depuis 1988, mais c’est nouveau au Canada, offerte depuis 2017 seulement. Santé Canada a récemment assoupli les règles1, éliminant l’échographie pour confirmer l’âge gestationnel. À mon avis, la réticence des médecins de famille à prescrire la pilule abortive s’explique probablement par un manque de familiarité. Puisque c’est nouveau, très peu de médecins de famille ont reçu une formation pendant leur résidence. Dans de nombreux cabinets de médecine de famille, c’est un besoin peu fréquent, donc on est moins enclin à suivre une formation appropriée sur le sujet.
Pour aborder ce manque d’éducation, le CMFC propose un programme de formation en ligne sur l’avortement médical. Nous hébergeons aussi une page Web contenant des renseignements complets (https://www.cfpc.ca/ProjectAssets/Templates/Category.aspx?id=12368&terms=abortion&langType=3084) et nous offrons des séances de formation spécialisées au FMF. Tout ceci est favorable, mais en observant Dre Newman assise devant moi, j’ai reconnu qu’il fallait faire davantage. Je sais que les médecins de famille au Canada relèveront ce défi et nous nous renseignerons pour répondre aux besoins de tous les membres de nos communautés.
Dre Newman est un exemple extraordinaire de courage et de dévouement. C’est à notre tour de prendre le relais et veiller à ce que toutes les Canadiennes aient accès aux services de soins de santé dont elles ont besoin, y compris l’avortement médical.
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