Les produits de santé naturels continuent de gagner en popularité au Canada1. Par ailleurs, ces suppléments peuvent être associés à des effets secondaires indésirables. Dans le cas présent, nous décrivons une femme qui a développé une hyperthyroïdie sévère à la suite de l’ingestion de produits de santé naturels contenant de l’iode. Même si, dans les études internationales, on décrit habituellement ce phénomène chez des patients atteints de la maladie de Graves, d’un goitre multinodulaire ou induit par une carence en iode, ou encore d’une thyroïdite d’Hashimoto2–4, ce cas était inhabituel en ce sens que la patiente ne souffrait d’aucune maladie de la thyroïde. Nous démontrons l’importance de savoir si nos patients consomment des suppléments et de connaître les complications possibles qui peuvent survenir à la suite de leur ingestion.
Cas
Une femme de 60 ans née au Canada s’est présentée en se plaignant d’anxiété, de selles fréquentes et d’une perte pondérale de 9 kg. Elle avait des antécédents d’hypertension et de syndrome du côlon irritable. Depuis 10 ans, elle prenait 12,5 mg par jour d’hydrochlorothiazide. Elle n’avait pas d’antécédents familiaux de maladies thyroïdiennes ou auto-immunes.
Trois ans auparavant, son naturopathe lui avait prescrit 12,5 mg par jour d’un « complexe iodé » (5 mg d’iode moléculaire et 7,5 mg d’iodure de potassium) pour sa santé générale. Il lui avait aussi conseillé de prendre de l’iode exogène sous forme d’algues marines rouges. De plus, elle prenait systématiquement un complexe de vitamine B contenant 167 µg de biotine pour avoir des cheveux en santé.
À l’examen, elle pesait 85 kg, sa pression artérielle était de159/77 mm Hg et son pouls battait à 110 à la minute. Elle semblait légèrement anxieuse. Sa glande thyroïde était un peu enflée, mais sans nodules palpables. Elle ne souffrait d’aucune ophtalmopathie. Ses mains tremblaient légèrement bilatéralement. Son dosage de thyrotropine (TSH) était de moins de 0,01 mUI/L, son dosage de thyroxine libre (fT4) était de 57 pmol/L (intervalle de référence de12 à 22 pmol/L) et son dosage de triiodothyronine libre (fT3) était de 18,2 pmol/L (intervalle de référence de 3,4 à 5,9 pmol/L).
La patiente avait d’abord choisi de voir son naturopathe pour se faire traiter. Il lui avait conseillé de cesser le complexe d’iode et de commencer à prendre une préparation de polyphénol de mélisse organique à 4 %, de polyphénol de bugle rampant à 5 % et d’extrait de romarin, de même qu’une préparation d’iodure ferreux et d’iodure de potassium pour ses symptômes6.
Parce qu’elle se sentait de plus en plus mal, elle a consulté son médecin de famille pour une évaluation. Son taux de TSH a de nouveau été dosé et était inférieur à 0,01 mUI/L, et ses dosages de fT4 et de fT3 avaient augmenté respectivement à 90 pmol/L et à 19,9 pmol/L. Son médecin de famille a rapidement discontinué tous ses suppléments de santé naturels et a commencé l’administration de propranolol et de méthimazole.
Les constatations à l’échographie étaient normales lors d’une investigation plus approfondie. Son taux d’immunoglobulines inhibant la liaison de la TSH (TBII) était légèrement élevé à 4,6 UI/L (intervalle de référence de 0,0 à 1,9 UI/L). Quatre mois après avoir cessé ses suppléments, elle a subi une scintigraphie du captage à l’iode radioactif (scintigraphie du captage à l’iode 123), et les résultats ont démontré une faible captation de l’iode à 4,9 %.
Au cours des mois suivants, ses symptômes se sont améliorés. Elle a progressivement cessé le méthimazole et le propranolol. À l’heure actuelle, elle ne prend plus de médicaments antithyroïdiens ni de suppléments naturels, et elle demeure euthyroïdienne sur les plans clinique et biochimique.
Discussion
L’iode est essentiel au fonctionnement thyroïdien normal. Il est amené par des transporteurs sur les cellules thyroïdiennes, et est utilisé pour synthétiser les iodotyrosines et former les fT4 et fT37. Pour maintenir une fonction thyroïdienne normale, l’ingestion d’iode recommandée par jour pour les adultes est de 50 µg, sans dépasser 1100 µg quotidiennement8.
Lorsqu’une personne est exposée à des quantités d’iode plus grandes (p. ex. par l’ingestion de suppléments ou de produits de contraste contenant de l’iode), la thyroïde, étant dotée de mécanismes de régulation intrinsèques, maintient la fonction thyroïdienne normale. L’effet de Wolff-Chaikoff décrit la réduction intrinsèque immédiate de la synthèse des hormones thyroïdiennes à la suite d’une charge considérable d’iode en raison d’une organification déficiente de l’iodure7. Cet effet est habituellement transitoire et ne dure que quelques jours chez les personnes en santé8. Les personnes qui ont des antécédents de maladies thyroïdiennes (p. ex. maladie de Graves, thyroïdite d’Hashimoto) peuvent être plus susceptibles à l’effet de Wolff-Chaikoff, et il peut survenir une hypothyroïdie après une exposition à l’iode.
Une exposition à l’iode peut aussi provoquer une hyperthyroïdie (phénomène de Jod-Basedow) 7, comme dans le cas présent. Ce phénomène est habituellement rapporté chez des personnes qui vivent dans des régions où il existe des carences en iode2, mais il a aussi été décrit chez des personnes ayant des antécédents de maladie de Graves, de goitre multinodulaire et de thyroïdite3,8. Dans l’analyse d’une série de cas aux États-Unis, on a signalé que des patients ayant des antécédents de maladie de Graves et de thyroïdite d’Hashimoto ont développé une hyperthyroïdie après avoir pris des suppléments d’iode en vente libre4. Dans un autre cas, une Allemande de 39 ans atteinte de goitre a développé une hyperthyroïdie après avoir bu de la tisane contenant du varech pendant 4 semaines3.
Dans le cas à l’étude, notre patiente n’avait aucun antécédent de maladies thyroïdiennes. Les constatations à l’échographie étaient normales, et ses concentrations d’anticorps anti–thyroperoxidase se situaient aussi dans la normale. Même si le dosage des anticorps TBII était légèrement élevé, elle n’avait aucune caractéristique clinique de la maladie de Graves. Les constatations à la scintigraphie du captage à l’iode radioactif ont montré un faible captage, ce qui laisse présager une thyroïdite. Même si l’iode exogène peut mener à des constatations de faible captage, elle n’avait pas pris d’iode depuis 4 mois.
L’hyperthyroïdie induite par l’iode a moins souvent été décrite chez des patients qui ne sont pas atteints d’une maladie de la thyroïde. En Italie, une femme de 45 ans sans maladie thyroïdienne sous-jacente a contracté une thyroïdite peu après avoir amorcé un régime à base de varech. À l’encontre de notre cas, son hyperthyroïdie a persisté pendant 2 mois, suivie par une hypothyroïdie, puis par un rétablissement9. Une femme de 72 ans sans maladie thyroïdienne aux États-Unis a aussi présenté une hyperthyroïdie après avoir ingéré des comprimés de varech durant l’année précédente. Comme dans notre cas, sa fonction thyroïdienne s’est normalisée après qu’elle eut cessé de prendre ces comprimés10. En Israël, une femme de 27 ans a souffert d’hyperthyroïdie après avoir pris des suppléments contenant du varech. Elle n’avait pas non plus d’antécédents connus de maladies de la thyroïde. Sept semaines après avoir cessé les suppléments, sa fonction thyroïdienne est aussi revenue à la normale11.
Le cas de notre patiente a été compliqué par le fait qu’elle prenait de la biotine (souvent commercialisée sous le nom de vitamine B7 ou de vitamine H) pour la santé des cheveux et de la peau, la fatigue et le manque d’énergie. Bien que son taux de biotine ait été faible et n’ait probablement pas influé indûment sur ses résultats d’analyses, de fortes doses de biotine peuvent fausser les tests endocriniens, notamment ceux de la fonction thyroïdienne. On prétend de plus en plus que les doses supraphysiologiques de biotine améliorent la santé des cheveux et de la peau, et qu’elles sont un remède contre la fatigue et le manque d’énergie12. Le type d’interférence dans les résultats varie selon les immunoessais utilisés, mais le plus souvent, l’exposition à de fortes doses (habituellement > 1,5 mg par jour) entraîne une fausse diminution des dosages de TSH et une fausse élévation des dosages de fT3 et fT4 (ce qui ressemble à l’hyperthyroïdie)12. La biotine peut aussi causer des résultats faux positifs montrant une hausse des dosages des TBII et une fausse réduction des concentrations de thyroglobuline. On conseille habituellement aux patients de s’abstenir de prendre des suppléments contenant de la biotine pendant 48 heures avant de subir des tests de la fonction thyroïdienne12.
Conclusion
Nous avons décrit une femme en santé, sans maladie thyroïdienne sous-jacente, qui a développé une hyperthyroïdie après avoir ingéré des suppléments de santé naturels contenant de l’iode. Comme le recours aux produits de santé naturels continue de gagner en popularité (73 % des Canadiens signalent qu’ils prennent régulièrement de tels produits)1,13, il importe que les professionnels de la santé demandent précisément à tous leurs patients s’ils utilisent ces produits. De nombreux patients considèrent que les suppléments ne sont pas des médicaments qu’il vaut la peine de mentionner à leurs médecins12. Les professionnels de la santé devraient connaître le contenu des suppléments, de même que leurs effets secondaires connexes.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Les patients, qu’ils aient ou non une maladie de la thyroïde sous-jacente, sont à risque d’une dysfonction thyroïdienne après avoir été exposés à une quantité excessive d’iode (p. ex. en prenant des suppléments de produits de santé naturels contenant de l’iode).
▸ Même s’il a été signalé qu’une ingestion excessive d’iode causait une hyperthyroïdie chez les patients souffrant de la maladie de Graves, d’un goitre multinodulaire ou lié à une carence en iode, ou encore d’une thyroïdite d’Hashimoto, l’hyperthyroïdie induite par l’iode a moins souvent été rapportée chez des patients sans maladie de la thyroïde.
▸ Étant donné que l’utilisation des produits de santé naturels continue de gagner en popularité au Canada, les professionnels de la santé devraient connaître les risques que posent les suppléments de santé naturels, et s’assurer de questionner leurs patients au sujet de leur consommation de tels produits.
Footnotes
Intérêts concursrents
La Dre Clemens a reçu le Prix du chercheur junior de Diabète Canada en 2017, parrainé par AstraZeneca, qui n’avait aucun lien avec ces travaux, et elle a participé à des conférences financées par Merck Inc.
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2019 issue on page 634.
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