
La vérité est incontestable : la malveillance peut l’attaquer, l’ignorance peut s’en moquer, mais à la fin, elle demeure.
Winston Churchill
Un récent numéro du New England Journal of Medicine présentait un magnifique et puissant article par le médecin américain Nitin Ahuja, intitulé « Health and high water »1. C’est un plaisir (et aussi une légère déception) de lire un autre auteur expliquer si clairement ce qu’on s’efforçait de dire, mais qu’on n’arrivait pas à s’expliquer à soi-même.
Il pose la question suivante : « Que signifie le fait de s’investir pour soulager la détresse individuelle à l’intérieur d’un hôpital lorsqu’à l’extérieur, nous sommes témoins d’une détresse cataclysmique1? » Par « détresse cataclysmique », il désigne l’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés et nos réponses à ce problème, jusqu’à présent inadéquates.
Les médecins sont-ils paralysés par ce que l’American Psychological Association a formellement reconnu en 2017 comme un trouble de santé mentale : « l’écoanxiété »2? Ce n’est pas par manque d’efforts pour contrer ce problème et ses variantes (dépression climatique, deuil environnemental, « futilitarisme »). Depuis plus d’une décennie, les principales revues de médecine générale ont attiré l’attention de la profession sur la situation d’urgence climatique et sur le rôle essentiel que doivent jouer les médecins. Elles ont essayé de nous aider à apporter des changements dans notre vie, nos pratiques, nos collectivités, et au moyen de plaidoyers plus englobants−5. Les revues de médecine familiale ont aussi épousé la cause6,7. Par ailleurs, comme l’écrit le Dr Ahuja :
Les soins de santé ont eu tendanceà l’inertie depuis bien avant que nous nous préoccupions autant du carbone atmosphérique. Cet état de stase se retrouve dans le poème de Donald Hall, « The Ship Pounding » (1996), une réflexion sur l’expérience de sa conjointe, la poétesse Jane Kenyon, traitée pour une leucémie qui allait finalement emporter sa vie… Hall imagine que tout l’hôpital flotte sur l’océan, mais reste sur place : « l’immense vaisseau tangue sur l’eau, mois après mois, sans bouger d’un seul nœud, sans arrivée ni destination »1.
Vers la fin de 2019, des organisations de médecine familiale influentes comme WONCA (Organisation mondiale des médecins de famille) ont publié des déclarations enjoignant les médecins de famille du monde entier à agir en faveur de la santé planétaire8. La déclaration propose une liste de 9 mesures pratiques que peuvent prendre les médecins de famille pour une planète en meilleure santé, allant d’une meilleure information à ce sujet jusqu’à une implication engagée en rejoignant les rangs des Clinicians for Planetary Health8.
Dans l’éditorial de novembre 2019, mon collègue rédacteur scientifique adjoint, le Dr Roger Ladouceur, demandait aux lecteurs :
Les médecins de famille ont-ils un rôle à jouer [face à ce phénomène]?.... que pouvons-nous faire, en tant que communauté de la médecine familiale dans son ensemble, pour nous engager davantage dans la lutte contre les changements climatiques et préserver notre planète9?
Les réactions à l’éditorial du Dr Ladouceur ont été majoritairement positives, notamment la présentation de nombreuses suggestions pratiques. Nous avons reçu plus de réponses à cet article qu’à n’importe quel autre publié antérieurement, ce qui témoigne de l’importance qu’accordent les médecins de famille canadiens à l’urgence climatique, et de leur désir de faire une différence (www.cfp.ca/content/65/11/766/tab-e-letters).
Si nous réagissons à l’urgence climatique, et si nous posons des gestes immédiats et significatifs pour atténuer la détresse cataclysmique qui se produit à l’extérieur de nos cliniques, nous serons plus en mesure d’atténuer la souffrance individuelle qui se vit entre leurs murs. Mais faire face à l’urgence climatique exigera que nous élaborions
un plan directeur comportant un code d’éthique biomédicale révolutionnaire, selon lequel nous demeurerons fidèles à la préservation de tous les mondes plus petits sans accélérer la fin du monde plus vaste. L’adoption de ce code d’éthique exigerait une profonde réorganisation non seulement des priorités professionnelles que nous avons en commun, mais aussi de nos normes de pratique au quotidien1.
Le Médecin de famille canadien est résolu à soutenir et à aider les médecins de famille grâce à un contenu pratique à jour qui concorde avec l’appel lancé par WONCA à tous les médecins de famille du monde pour qu’il agissent en faveur de la santé planétaire, et qui appuie cet appel.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada