Les antibiotiques représentent le quart de toutes les prescriptions rédigées pour des enfants, et ils sont fréquemment à la source d’effets indésirables, notamment la diarrhée liée aux antibiotiques (DLA)1. La diarrhée liée aux antibiotiques désigne 3 selles molles ou plus dans un intervalle de 24 heures après l’administration de l’antibiotique, et elle peut se produire dans les heures qui suivent le début de l’antibiothérapie ou jusqu’à 8 semaines après2.
Au nombre des éléments associés à la DLA figurent, entre autres, l’âge de l’enfant et l’agent antibiotique utilisé, et l’incidence du problème varie de 5 à 30 % chez les enfants, selon une revue de 10 études portant sur 1438 enfants venant de 6 pays différents3. Les céphalosporines, la clindamycine et les pénicillines à large spectre ont été liées à un risque plus élevé de DLA4.
Selon les standards de soins actuels, les traitements de la DLA à privilégier sont la cessation de l’antibiotique déclencheur ou sa substitution3, la réhydratation5, ou l’administration de métronidazole ou de vancomycine si le Clostridium difficile est la cause suspectée6.
Les probiotiques pour prévenir la DLA
L’Organisation mondiale de la Santé définit les probiotiques comme étant des « micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé »7. Parmi les mécanismes d’action des différents probiotiques, on peut mentionner qu’ils servent d’obstacles physiques aux pathogènes, favorisent la sécrétion de mucus par les cellules caliciformes, maintiennent l’intégrité des jonctions serrées des cellules épithéliales de l’intestin, produisent des facteurs antimicrobiens et stimulent le système immunitaire8.
Une étude réalisée il y a près de 30 ans, portant sur 60 enfants de 5 mois à 6 ans, a été la première à se pencher sur la relation entre les probiotiques et la DLA dans cette population9. Des enfants qui devaient être traités avec de l’amoxicilline ont été choisis au hasard pour recevoir 500 millions d’unités formant colonies (UFC) de Lactinex (une combinaison de Lactobacillus acidophilus et de Lactobacillus bulgaricus) ou un placebo (lactose) 4 fois par jour pendant 10 jours, et les taux d’enfants encore aux prises avec la diarrhée (≥ 1 selle molle par jour; respectivement de 66 et 69,5 %; p =, 563)9 étaient semblables.
Quelque 16 ans plus tard, une méta-analyse (n = 766) a examiné le recours aux probiotiques pour réduire l’incidence de la DLA pédiatrique selon 6 études randomisées contrôlées (ERC), et a constaté un risque plus faible chez les enfants qui prenaient des probiotiques (respectivement 12 et 29 % dans les groupes avec probiotiques ou avec placebo, risque relatif [RR] de 0,44, IC à 95 % de 0,25 à 0,77)10. On signalait plus précisément que les Lactobacillus rhamnosus GG (RR = 0,3, IC à 95 % de 0,15 à 0,6; n = 307), les Saccharomyces boulardii (RR = 0,2, IC à 95 % de 0,07 à 0,6; n = 246) et une combinaison de Bifidobacterium lactis et de Streptococcus thermophilus (RR = 0,5, IC à 95 % de 0,3 à 0,95; n = 157) étaient efficaces pour prévenir la DLA pédiatrique10. Par ailleurs, il est difficile de généraliser ces conclusions en raison de la petite taille de l’échantillon dans chacune des études.
Une récente revue par Cochrane a analysé 33 études portant sur 6352 enfants dont l’âge allait jusqu’à 18 ans qui avaient suivi une antibiothérapie d’une durée de 3 à 30 jours11. Les probiotiques étaient administrés simultanément avec les antibiotiques, pris pour des infections comme celles des voies respiratoires, l’impétigo et l’Helicobacter pylori11. L’incidence de DLA rapportée après un suivi (5 jours à 12 semaines) se situait à 8 % chez ceux qui prenaient des probiotiques par rapport à 19 % chez ceux qui recevaient un placebo (RR = 0,45, IC à 95 % de 0,36 à 0,56; nombre de sujets à traiter de 9, IC à 95 % de 7 à 13), ce qui laisse présager un rôle important des probiotiques dans la prévention de la DLA chez les enfants11.
Le choix des probiotiques
Le nombre des options de probiotiques est colossal, mais 2 d’entre elles en particulier se démarquent pour prévenir la DLA pédiatrique12,13. Dans une méta-analyse de 2015 portant sur 5 ERC et 445 enfants, les L rhamnosus GG étaient associés à une incidence de DLA de 9,6 % dans le groupe prenant des probiotiques et de 23 % dans le groupe du placebo (RR = 0,48, IC à 95 % de 0,26 à 0,89)12. Une autre méta-analyse effectuée par les mêmes auteurs signalait qu’avec l’utilisation de la levure S boulardii, l’incidence de la DLA se situait à 8,8 % et à 20,9 % (respectivement avec les probiotiques et le placebo) chez 1653 enfants dans 6 ERC (RR = 0,43, IC à 95 % de 0,3 à 0,6)13.
Il a été démontré dans certaines études que d’autres probiotiques étaient efficaces pour réduire l’incidence de la DLA pédiatrique, notamment les Lactobacillus reuteri, les L rhamnosus (souches E/N, Oxy et Pen), une combinaison de Clostridium butyricum et de Bifidobacterium, une combinaison de B lactis et de S thermophilus, de même que le yaourt (contenant des cultures actives de S thermophilus et de Lactobacillus delbrueckii); par ailleurs, ces options thérapeutiques doivent être examinées plus en profondeur14. Fait à signaler, ni les Lactobacillus plantarum (DLA chez 2,8 % dans le groupe des probiotiques par rapport à 4,1 % dans celui du placebo [N = 438], p =, 4)15 ni la boisson kéfir (contenant des bactéries d’acide lactique comme les Lactobacillus kefiri, les Lactobacillus kefiranofaciens, les L acidophilus et les L plantarum, de même que des levures comme les Kluyveromyces marxianus, les Saccharomyces unisporus, les Saccharomyces cerevisiae et les Saccharomyces exiguus) (RR = 0,82, IC à 95 % de 0,54 à 1,43)16 n’étaient efficaces dans les études portant respectivement sur ces options.
À la suite d’une revue de 21 ERC portant sur 3255 enfants, le groupe d’étude sur les probiotiques de l’European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition (ESPGHAN) a indiqué dans ses lignes directrices publiées en 2016 que les L rhamnosus GG et les S boulardii étaient les 2 seuls probiotiques pour lesquels il existait assez de données probantes étayant leurs effets préventifs de la DLA. Par ailleurs, les S boulardii sont recommandés plutôt que les L rhamnosus GG lorsqu’il a été déterminé que la diarrhée était associée aux C difficile17. Ces recommandations n’étaient faites que s’il y avait 2 ERC ou plus qui examinaient la souche spécifique de probiotiques17.
La dose optimale
La dose optimale de probiotiques demeure largement inconnue, comme en fait foi la grande diversité des doses utilisées dans les études cliniques pédiatriques, qui variaient entre 100 millions et 1,8 billion d’UFC par jour18. La réponse en fonction de la dose chez les enfants est étayée par plus de données probantes pour les Lactobacillus rhamnosus GG12,13. Dans une méta-analyse portant sur 445 enfants âgés de moins de 18 ans de 3 pays (Pologne, Finlande et États-Unis) à qui on avait administré simultanément des L rhamnosus GG avec les antibiotiques, la dose la plus élevée de L rhamnosus GG (10 à 20 milliards d’UFC par jour) a permis d’obtenir une réduction de 71 % dans l’incidence de DLA par rapport à une dose de 3 milliards d’UFC par jour, qui a obtenu une réduction de seulement 34 % dans l’incidence12. En revanche, une méta-analyse portant sur 1653 enfants a signalé que dans 6 études utilisant une dose quotidienne de S boulardii variant de 50 à 1000 mg (1 à 20 milliards d’UFC par jour), il n’avait pas été démontré clairement que l’efficacité dans la prévention de la DLA était corrélée à la dose13. Les plus récentes lignes directrices de l’ESPGHAN, qui datent de 2016, ne précisent pas de recommandations spécifiques concernant les doses de L rhamnosus GG et de S boulardii17. Les lignes directrices de l’ESPGHAN suggèrent que des doses de 10 à 20 milliards d’UFC par jour de L rhamnosus GG ou de 250 à 500 mg (5 à 10 milliards d’UFC par jour) de S boulardii peuvent être utilisées afin de concorder avec celles dont on s’est servi dans certaines ERC17. Une revue de Cochrane, en 2019, a corroboré cet éventail général de doses et a soulevé le fait que dans les 33 études incluses, les probiotiques à fortes doses (de 5 à 40 milliards d’UFC par jour) étaient plus efficaces que ceux à faibles doses (RR = 0,37, IC à 95 % de 0,30 à 0,46, p =, 06; nombre de sujets à traiter de 6, IC à 95 % de 5 à 9)11.
L’innocuité
Dans 24 études, les taux d’événements indésirables de légers à modérés (p. ex. éruptions cutanées, nausée, gaz, flatulences, ballonnement abdominal, constipation) étaient faibles, notamment une incidence de 4 % (86 sur 2229) dans le groupe prenant des probiotiques, par rapport à 6 % (121 sur 2186) dans le groupe témoin11. Aucun événement indésirable grave n’a été signalé dans l’un ou l’autre groupe11. Par ailleurs, des événements indésirables graves ont été rapportés dans une revue systématique d’envergure portant sur 20 rapports de cas et 52 études randomisées totalisant 4131 patients (enfants et adultes) qui avaient reçu des probiotiques par voie entérale ou parentérale19. Dans les rapports de cas, dont certains ont signalé plus de 1 patient, 32 cas d’événements indésirables graves (p. ex. fongémie, bactériémie) ont été documentés19. Dans 11 de ces cas, il s’agissait de nouveau-nés prématurés, d’enfants sévèrement affaiblis ou d’enfants immunodéprimés, et parmi leurs facteurs de risque figuraient des cathéters veineux centraux et des troubles associés à une translocation bactérienne accrue19. Les 11 enfants ont guéri de l’infection après la cessation des probiotiques, l’enlèvement du cathéter veineux central ou l’administration d’un antibiotique ou d’un antifongique19. Si les probiotiques semblent sécuritaires chez les enfants en santé, leur utilisation chez des enfants gravement affaiblis ou immunodéprimés exige de la prudence en raison de la possibilité d’événements indésirables sévères, mais réversibles, comme il est documenté dans divers rapports de cas.
Conclusion
Les Lactobacillus rhamnosus GG et les S boulardii sont 2 probiotiques efficaces dans la prévention de la DLA pédiatrique lorsqu’ils sont administrés simultanément avec les antibiotiques. Même si la dose optimale demeure incertaine, entre 5 à 40 milliards d’UFC par jour semblent le plus efficace. Les données probantes sont actuellement insuffisantes pour recommander d’autres souches de probiotiques. Les probiotiques semblent sécuritaires chez les enfants, et leurs effets secondaires sont minimaux; cependant, des événements indésirables graves ont été documentés dans des rapports de cas portant sur des enfants sévèrement affaiblis ou immunodéprimés.
Notes
Les Mises à jour sur la santé des enfants sont produites par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver (Colombie-Britannique). M. Yan est membre et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique. Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site Web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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