En janvier 2020, le Canada confirmait son premier cas d’infection au coronavirus 2019 (COVID-19)1. Les préparatifs se sont amorcés dans les hôpitaux du pays à mesure que le nombre de cas augmentait de manière exponentielle. Le 12 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé déclarait que la situation avait dégénéré en pandémie2. Cette déclaration a entraîné des changements dans les rôles des médecins résidents. En tant que résidents, nous avons été redéployés vers les secteurs des hôpitaux où les besoins étaient les plus pressants, les cours didactiques en groupe ont été suspendus, les stages optionnels ont été annulés et les responsabilités des résidents ont été dramatiquement transformées.
Au sommet de la pandémie, l’environnement éducatif s’est changé en climat de « survie ». Après avoir vu les reportages médiatiques obsédants et les vidéos sur les hôpitaux de pays comme l’Italie, nous avons compris que nous nous préparions pour une éventuelle avalanche de cas de COVID-19 au Canada. Collectivement, nous nous sommes ralliés à l’idée que nous faisions désormais partie des premières lignes dans cette bataille. Toutefois, cette réalisation venait aussi avec un compromis. En tant que résidents, nous savions que durant cette pandémie, nos obligations spéciales éclipseraient sans aucun doute notre éducation. Les mois d’apprentissage perturbé continuent d’avoir des effets considérables sur les expériences de formation de ceux qui suivent les programmes de médecine familiale et de compétences avancées, dont les périodes de formation sont déjà assez courtes.
Pour comprendre comment nos collègues se sentaient durant ces temps difficiles, nous avons fait un sondage auprès des résidents de notre programme à propos de leurs expériences pendant le pic de la pandémie. Nous avons obtenu l’autorisation sur le plan de l’éthique, et le sondage a été envoyé à tous les résidents inscrits en médecine familiale et en compétences avancées à l’Université Western, à London (Ontario). Comme nous nous y attendions, 70 % des répondants étaient d’avis que leur formation avait été considérablement affectée d’une certaine façon durant la pandémie.
Occasions d’apprentissage limitées
Les résidents ont été redéployés vers les secteurs où les besoins étaient les plus critiques, comme en médecine interne, en médecine d’urgence et en médecine familiale. Pour que ces redéploiements se produisent, des stages de base, comme en pédiatrie et en anesthésie, ont été entièrement annulés pour certains. Les possibilités de pratiquer et de perfectionner les compétences techniques ont été mises sur pause en raison de la priorité donnée aux soins virtuels et des efforts pour limiter l’exposition des résidents aux interventions médicales engendrant des aérosols. Les interventions invasives étaient confiées uniquement aux résidents seniors et au personnel, et les volumes paradoxalement plus faibles de patients signifiaient un nombre réduit de possibilités de mettre en application bon nombre de compétences pratiques. Ceux qui pratiquaient la télémédecine n’étaient pas capables de voir ou de toucher les patients dans le contexte de leurs évaluations. La possibilité de perfectionner la gestalt clinique requise pour juger la dichotomie courante du « bien contre le mal » était sans aucun doute perdue au téléphone. Parmi les participants au sondage, 83 % de ceux qui occupaient des postes séniors (2e ou 3e année postdoctorale) croyaient qu’ils ne seraient pas en mesure de rattraper ces pertes d’occasions d’apprentissage, le sommet de la pandémie ayant principalement eu lieu durant les derniers mois de leur résidence.
Points positifs
Par contre, tout n’a pas été perdu durant la crise. En tant que groupe de stagiaires, nous nous adaptons à l’adversité et nous efforçons constamment d’apprendre de toute expérience, bonne ou mauvaise. Dans notre sondage, nous avons constaté que même si nos collègues résidents se heurtaient à des conditions difficiles, 70 % d’entre eux ne croyaient pas que leur degré de préparation à l’exercice serait affecté. Cela témoigne de notre résilience en tant que résidents, mais aussi de celle de nos mentors, qui ont saisi chaque occasion pour créer un moment d’enseignement et nous préparer à notre future pratique. Heureusement, 2 résidents sur 3 ont aussi répondu s’être sentis bien soutenus par leur programme durant la pandémie.
De nombreux résidents ont aussi réussi à trouver plus de points positifs à cette crise. Quelque 69 % des participants croyaient qu’ils sont maintenant mieux préparés à composer avec une future situation de pandémie grâce à de nouvelles habiletés, comme les communications en télésanté, l’utilisation appropriée de l’équipement de protection personnelle et la planification en temps de pandémie. À mesure qu’évolue le monde de la médecine, ces nouvelles compétences feront partie intégrante de notre pratique au quotidien dans un avenir prévisible. De futures pandémies se produiront, et ceux qui ont été formés durant la pandémie de COVID-19 seront mieux préparés, car ils auront les compétences nécessaires pour maintenir le système de santé.
Conclusion
Il reste à savoir quel sera l’effet domino de cette pandémie sur ceux qui ont suivi leur formation durant cette période. Dans une décennie, y aura-t-il des lacunes dans les profils de compétences des résidents en raison des occasions de formation perdues? À l’avenir, comment les programmes feront-ils en sorte que les occasions d’apprentissage soient récupérées? Quand laisserons-nous éventuellement les résidents juniors effectuer des interventions productrices d’aérosols, comme l’intubation, de manière à ce qu’ils ne soient pas contraints de travailler dans un service d’urgence rural sans avoir maîtrisé les compétences liées aux voies aériennes?
À mesure que les restrictions diminuent, nous avons espoir que notre formation reviendra lentement à la normale, dans la mesure du possible. Toutefois, compte tenu des inquiétudes entourant la survenue d’une deuxième vague, d’autres répercussions sur la formation sont assurément possibles. Ce mode de vie pourrait être la nouvelle norme, et nos méthodes d’enseignement doivent être adaptées. Pour les résidents en médecine familiale et en compétences avancées, il s’agit là de discussions particulièrement cruciales. Pour certains résidents, jusqu’à 25 % de leur formation a déjà été perturbée en raison de la courte période de formation de 2 à 3 ans. Même si notre sondage révèle que de nombreux résidents ne croient pas que leur état de préparation à la pratique ait été affecté, cette réponse changerait certainement si la situation actuelle perdurait. La pensée d’une génération complète de médecins de famille non préparés est dérangeante, et il faut agir pour faire en sorte que cette perspective ne devienne pas une réalité. Les programmes de médecine familiale doivent trouver des façons novatrices d’offrir de la formation de manière sécuritaire et efficace. Nous ne pouvons plus nous fier à des tactiques pour retarder l’éducation. La maladie à coronavirus 2019 est ici pour de bon, et nous devons révolutionner nos systèmes de formation pour veiller à ce que les futures générations de médecins de famille soient bien équipées pour fournir des soins exemplaires dans l’ensemble du pays.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2020 issue on page 860.
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