Résumé
Objectif Sensibiliser les médecins de famille aux autres techniques pouvant faciliter le traitement par buprénorphine-naloxone dans les cas de trouble lié à l’utilisation d’opioïdes.
Sources d’information Une recherche d’articles a été effectuée dans PubMed à l’aide des mots-clés anglais buprenorphine, buprenorphine/naloxone, microdosing, opioid agonist therapy et induction. D’autres lignes directrices, présentations et ressources ont également été consultées.
Message principal L’association buprénorphine-naloxone est l’option de première intention pour le traitement par agoniste des récepteurs opioïdes en raison de son profil d’innocuité supérieur à celui de la méthadone. L’adoption de ce médicament pouvant sauver des vies est limitée par le manque de connaissances et par les restrictions en matière de prescription, mais le plus grand obstacle est probablement le fait que le patient doit être en sevrage modéré à sévère avant d’instaurer le traitement. Une option d’induction qui n’exige pas le sevrage ni l’arrêt immédiat de l’usage actuel d’opioïdes, appelé microdosage, est un choix qui plaît aux patients et une approche pratique pouvant être utilisée par un plus grand éventail de praticiens, facilitant ainsi l’accès à la buprénorphine-naloxone. Les médecins de famille jouent un rôle important dans l’actuelle crise des opioïdes en aidant les patients à faire la transition vers le traitement par agoniste des récepteurs opioïdes.
Conclusion Le microdosage est un schéma thérapeutique sécuritaire et facile à administrer, qui peut être utilisé dans une gamme de contextes avec l’aide des pharmaciens communautaires. Le présent article présente un survol du microdosage et sert de guide pour instaurer et maintenir le traitement.
Le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes est une maladie complexe dont le traitement évolue dans l’effort d’atteindre davantage de patients. L’approche de première intention du trouble lié à l’utilisation d’opioïdes est le traitement par agoniste des récepteurs opioïdes, qui donne aux patients un accès sécuritaire et fiable à certains opioïdes à action prolongée, soit la méthadone ou l’association buprénorphine-naloxone, pour prévenir les symptômes de sevrage et les envies impérieuses, réduire le risque de surdose et entretenir un contact régulier avec les fournisseurs de soins1,2. La buprénorphine-naloxone a récemment été recommandée plutôt que la méthadone en raison de son meilleur profil d’innocuité, du nombre inférieur de restrictions en matière de prescription et d’administration, et de la facilité de l’administrer à domicile1,2. Un inconvénient à l’instauration classique de la buprénorphine-naloxone est qu’avant l’induction, les patients doivent s’être abstenus d’opioïdes pendant au moins 12 à 36 heures afin de prévenir le sevrage précipité, qui survient lorsque les agonistes complets des récepteurs opioïdes sont délogés du récepteur µ. Cette abstention est un obstacle considérable à l’instauration du traitement1,3. Une nouvelle approche non approuvée, appelée microdosage ou méthode bernoise3, pourrait s’avérer un outil utile pour les patients et les prescripteurs pour faciliter l’induction de buprénorphine-naloxone en contournant l’obstacle du sevrage.
Description de cas
Mme Z est une femme de 66 ans qui souffre de douleur chronique découlant d’une sténose spinale, d’une blessure dorsale et d’arthrose de l’épaule. Elle souffre également d’anxiété et présente des antécédents de non-observance qui incluent l’altération des formes posologiques et l’emmagasinage de médicaments. Elle ne présente pas d’antécédents de consommation de drogues illégales. Pour sa douleur, elle utilise actuellement les timbres de fentanyl à 150 µg appliqués toutes les 48 heures, 10 mg de morphine à libération immédiate par voie orale au besoin, qu’elle prend jusqu’à 5 fois par jour, 1200 mg de gabapentine orale 3 fois par jour, 200 mg de naproxène oral deux fois par jour, et acétaminophène oral et gel de diclofénac topique au besoin, qui lui sont actuellement délivrés chaque mois. Ses scores moyens à l’indice Pain Disability Index et à l’échelle Brief Pain Inventory sont mesurés et sont respectivement de 6,3 et 8 sur 10. En raison des effets indésirables et des interactions médicamenteuses qui augmentent le risque de surdose d’opioïdes, Mme Z veut réduire son usage d’opioïdes, et en 3 mois, elle arrive à réduire sa dose à un timbre de fentanyl à 25 µg toutes les 72 heures et à arrêter la morphine; elle pense toutefois ne pas pouvoir aller plus loin, et sa douleur est toujours présente. En raison de sa tendance à utiliser les opioïdes au besoin plus souvent que prescrits, on effectue le dépistage du trouble lié à l’utilisation d’opioïdes selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition, qui révèle un score de 5 (modéré). Ses antécédents de non-observance et les interactions potentielles entre l’intervalle QTc et ses médicaments psychiatriques signifient que la méthadone ne serait pas une option raisonnable. Mme Z refuse de se soumettre au sevrage nécessaire pour instaurer la buprénorphine-naloxone, car elle a déjà subi des symptômes de sevrage sévères. Comment géreriez-vous la consommation d’opioïdes de Mme Z?
Message principal
Les patients aux prises avec un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes proviennent de divers milieux, et leurs histoires, tout aussi diversifiées, ont entraîné leur trouble. Certains patients présentent un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes découlant de l’utilisation d’opioïdes légalement prescrits, alors que d’autres font usage de drogues illégales qu’ils se procurent dans la rue pour prévenir le sevrage, obtenir un effet euphorique, et engourdir la douleur physique et émotionnelle. Quelle que soit leur histoire, la maîtrise de leur dépendance et la prise en charge des comorbidités douloureuses sont des objectifs thérapeutiques raisonnables et réalisables. Les patients et leur équipe de soins doivent nouer une relation de confiance où la communication honnête et fréquente est la clé pour surveiller le sevrage et prévenir les rechutes.
L’association buprénorphine-naloxone a un profil d’innocuité supérieur à celui de la méthadone, et le traitement peut être entrepris à la clinique, au domicile du patient ambulatoire ou à l’hôpital. En outre, la technique de microdosage comme outil d’instauration élimine la nécessité du sevrage et de l’abstinence complète de l’opioïde. Cela soulage peut-être les craintes chez les patients qui ont déjà échoué l’induction par la buprénorphine-naloxone et craignent de la recommencer, ou chez les patients qui sont angoissés par le sevrage3. Le microdosage est potentiellement associé à des symptômes de sevrage réduits ou de moindre intensité, et il pourrait être plus facile à utiliser que la procédure classique d’induction3.
Il importe de noter que la technique de microdosage n’est pas recommandée ni préconisée dans les lignes directrices cliniques majeures. Les données probantes étayant cette pratique prennent surtout la forme de rapports de cas, issus du besoin d’atteindre plus de patients aux prises avec un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes et de simplifier le processus d’induction tant pour le patient que pour le praticien. Ainsi, il est essentiel d’obtenir le consentement éclairé du patient avant d’entreprendre le traitement4.
Pharmacologie.
On a émis l’hypothèse que le microdosage ne précipite pas le sevrage, puisque de petites doses répétitives permettent à la buprénorphine de s’accumuler graduellement et d’occuper les récepteurs opioïdes en raison de sa grande affinité avec le récepteur µ et de sa dissociation lente. L’occupation du récepteur déloge lentement les autres opioïdes, et une fois que la dose de buprénorphine-naloxone atteint approximativement 4 mg et 1 mg4,5, les récepteurs devraient être suffisamment occupés par la buprénorphine pour qu’on puisse arrêter rapidement les opioïdes à action brève sans provoquer un sevrage sévère5. Des doses plus fortes de buprénorphine pourraient être nécessaires pour les opioïdes à action prolongée (Tableau 1)4-8.
Le rôle de la naloxone dans l’association buprénorphine-naloxone consiste à décourager les usagers à s’injecter ou à « sniffer » le médicament, puisque la naloxone deviendrait un composé actif et précipiterait le sevrage9. Lorsqu’elle est prise par voie orale ou sublinguale, la naloxone est minimalement absorbée et n’antagonise pas la buprénorphine ni les autres opioïdes dans le système nerveux central9.
Commencer le traitement.
Au moment de publier, il n’existe pas de protocole standard d’instauration du microdosage. Le Tableau 1 illustre les approches possibles d’instauration du microdosage4-8. L’administration uniquotidienne (option 1) est commode et élimine le besoin de doses pour emporter dans les situations où le prescripteur est mal à l’aise de les remettre au patient. Toutefois, en raison de la demi-vie plus courte des doses faibles de buprénorphine, l’administration biquotidienne (options 2 et 3) éliminerait le risque de dissipation de l’effet et le risque subséquent de sevrage précipité. Les patients qui consomment des opioïdes à action brève, comme la morphine, l’oxycodone, l’hydromorphone ou l’héroïne, peuvent tenter d’arrêter l’opioïde une fois que la dose de 4 mg et 1 mg à 12 mg et 4 mg est atteinte. Pour ceux qui utilisent des préparations à action prolongée, comme les timbres de fentanyl ou la méthadone, il est conseillé d’arrêter ou de réduire rapidement la dose du médicament à action prolongée lorsque la dose de buprénorphine est élevée et occupe plus de récepteurs. Les patients ont plus tendance à présenter des symptômes de sevrage lorsqu’ils arrêtent de prendre l’agoniste complet des récepteurs opioïdes à une faible dose de buprénorphine-naloxone (c.-à-d. inférieure à 12 mg et 4 mg)4. Une fois l’opioïde arrêté, il est conseillé de remettre au patient des doses au besoin de 2 mg et 0,5 mg de buprénorphine-naloxone pour combattre les symptômes de sevrage mineurs, le cas échéant (Tableau 1)4-8. D’autres médicaments, tels que clonidine, dimenhydrinate, ibuprofène, acétaminophène et lopéramide, peuvent être prescrits avec la buprénorphine-naloxone pour prendre en charge les symptômes de sevrage, s’ils se manifestent6. Il est possible de commencer avec une faible dose (option 3) chez un patient qui a eu une expérience de sevrage particulièrement difficile dans le passé, qui présente un risque de sevrage précipité ou qui passe de la méthadone à la buprénorphine-naloxone. Vu le risque, quoique faible, de sevrage précipité, il serait prudent qu’une personne (p. ex. le prescripteur, une infirmière de la clinique, le pharmacien) soit présente durant la prise des doses afin d’identifier et de traiter rapidement les symptômes pénibles.
Les pharmaciens peuvent venir en aide aux patients durant ce processus en veillant à l’augmentation précise des doses et en réduisant la confusion par leur présence lorsque le patient prend les doses. Si on choisit les options 2 ou 3, on peut être présent pour la prise d’une dose et remettre l’autre dose au patient pour emporter. Les doses peuvent également être préparées dans des emballages-coques à l’intention des patients pour lesquels il est impossible d’être présent tous les jours pour la prise du médicament. Pour l’heure, la dose la plus faible de buprénorphine-naloxone commercialisée au Canada est de 2 mg et 0,5 mg. Pour prendre les doses nécessaires au schéma de microdosage, il faut diviser les comprimés. Les posologies peuvent donc varier quelque peu au départ, mais il faut se rappeler que ces doses servent à bloquer graduellement le récepteur, et pourvu que les doses soient semblables (p. ex. un quart ou un demi-comprimé), le microdosage est efficace. Si un patient oublie une dose durant l’induction, il peut répéter la dose de la veille puis continuer l’induction. Si le patient oublie 2 doses ou plus, il faut envisager de recommencer l’induction4.
Reconnaître le sevrage.
L’un des bienfaits du microdosage est la possibilité d’atténuer le sevrage modéré à sévère qui est nécessaire pour l’induction du traitement standard par buprénorphine-naloxone. L’on s’attend à ce que certains patients manifestent un sevrage léger après avoir arrêté leur opioïde. Il existe de nombreux outils conviviaux pour aider les prescripteurs à mesurer l’ampleur du sevrage chez les patients, et ainsi les aider par une prise en charge appropriée. L’échelle Clinical Opiate Withdrawal Scale est une échelle validée à 11 points, basée sur de l’information objective, telle que la fréquence cardiaque, la myalgie, la rhinorrhée, les troubles gastro-intestinaux et autres symptômes10, et sur l’échelle Subjective Opiate Withdrawal Scale, est facilement remplie par le patient pour catégoriser les symptômes de sevrage. Vous trouverez les deux échelles sur CFPlus.*
Maintenir le traitement.
La dose de maintien de buprénorphine-naloxone est celle qui gère adéquatement les symptômes de sevrage et les envies impérieuses sans causer d’effets indésirables ennuyeux (nausée, constipation, sédation, crampes abdominales)11. Beaucoup de patients sont stables sous 12 mg et 3 mg par jour, alors que d’autres présentent toujours des symptômes de sevrage et prennent fréquemment des doses au besoin de 2 mg et 0,5 mg. Ces patients pourraient bénéficier d’une dose maximale de 24 mg et 6 mg par jour12. Pour aider les patients à déterminer leur dose de maintenance optimale, un suivi fréquent en personne ou par téléphone est nécessaire. Les pharmaciens communautaires jouent également un rôle crucial dans la communication avec les patients pour évaluer la réponse au traitement et les éventuels symptômes de sevrage.
Résolution du cas
Vous instaurez la buprénorphine-naloxone sublinguale une fois par jour à raison de 0,5 mg et 0,125 mg pendant 2 jours (Tableau 2) parce que vous n’êtes pas à l’aise de lui remettre des doses à emporter, puis vous augmentez la dose par paliers de 0,5 mg et 0,125 mg par jour, comme le décrit l’option 1 (Tableau 1)4-8. Après 7 jours, Mme Z présente des symptômes de sevrage; l’induction est donc accélérée, et la dose est augmentée par paliers de 2 mg et 0,5 mg par jour jusqu’à une dose de 12 mg et 3 mg, avec dose à prendre au besoin de 2 mg et 0 5 mg. Après environ 2 semaines, les symptômes de sevrage de Mme Z se stabilisent à 20 mg et 5 mg par jour, mais elle sent que la dose se dissipe, ce qui suscite une dernière augmentation à 24 mg et 6 mg. Vous voyez Mme Z trois semaines plus tard et elle rapporte que son humeur et son fonctionnement se sont améliorés, ce qui lui permet de passer du temps dehors, de faire du jardinage et de voir ses amis.
Conclusion
Le microdosage de buprénorphine-naloxone est un outil potentiellement utile pour aider les patients à faire la transition entre l’usage problématique d’opioïdes et le traitement par agoniste des récepteurs opioïdes. Cette approche est bénéfique, car elle permet d’éviter le sevrage avant d’instaurer le traitement et de rendre l’induction par buprénorphine-naloxone moins intimidante, et elle est commode en pratique quotidienne. Cette approche n’est pas encore entérinée par les lignes directrices, et il n’existe pas de protocole standard, puisque les données probantes prennent surtout la forme de rapports de cas. Cette technique repose sur la réponse du patient et exige donc des contacts fréquents avec le prescripteur et les autres membres de l’équipe de soins.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Le microdosage de buprénorphine-naloxone est un outil potentiellement utile pour aider les patients à faire la transition entre l’usage problématique d’opioïdes et le traitement par agoniste des récepteurs opioïdes. Cette approche est bénéfique, car elle permet d’éviter le sevrage avant d’instaurer le traitement et de rendre l’induction par buprénorphine-naloxone moins intimidante, et elle est commode en pratique quotidienne.
▸ L’un des bienfaits du microdosage est son potentiel de réduire le sevrage modéré à sévère qui est nécessaire pour l’induction du traitement standard par buprénorphine-naloxone. Certains patients manifestent des symptômes de sevrage légers lorsqu’ils arrêtent de prendre leur opioïde. Il existe de nombreux outils conviviaux pour aider les prescripteurs à quantifier l’ampleur du sevrage chez leurs patients et à en faciliter la prise en charge.
▸ Cette approche n’est pas encore entérinée par des lignes directrices, et il n’existe pas de protocole standard, puisque les données probantes prennent surtout la forme de rapports de cas. Cette technique repose sur la réponse du patient et exige donc des contacts fréquents avec le prescripteur et les autres membres de l’équipe de soins.
Footnotes
↵* Les échelles Clinical Opiate Withdrawal Scale et Subjective Opiate Withdrawal Scale sont disponibles en anglais seulement à www.cfp.ca. Cliquer sur Full text (texte intégral) sous l’article en ligne, puis cliquer sur l’onglet CFPlus.
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la revue et à l’interprétation de la littérature, ainsi qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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