Les mots que l’on dit ont une grande importance dans nos vies et pour chacun d’entre nous. On s’en doute bien.
Or, il y a toutes sortes de mots et autant de façons de les exprimer. Il y a ceux qui servent à exprimer une pensée, une émotion ou un comportement. Il y a ceux qui visent à raconter, à expliquer ou à se souvenir. Il y a des mots qui plaisent et d’autres qui froissent. Il y a des paroles auxquelles on fait confiance et dont on se souvient. D’autres dont on se méfie, comme le baratin des séducteurs et des beaux parleurs, comme dans Paroles, paroles de Dalida1. Il y a aussi les propos des conférenciers et des orateurs, qui séduisent et qui charment. Les discours-fleuves des prédicateurs et des dictateurs, qui nous conduisent Dieu sait où.
En cette ère du droit à la parole et à la liberté d’expression, certains pensent que les mots sont là pour être dits et qu’ils doivent être exprimés! Peut-être bien... Parlez-en à ceux qui ont perdu leur emploi pour s’être affichés dans les médias sociaux, pour avoir rédigé des textes d’opinion ou des blogues ou pour avoir parlé aux journalistes. Parlez-en à ceux qui font l’objet de quolibets blessants, sous prétexte que c’est humoristique2. Parlez-en à ceux qui sont emprisonnés, flagellés et torturés3. Les mots peuvent même, parfois, et sans doute plus souvent que l’on ne l’imagine, vous conduire à la mort4.
Je vous rappelle que nous sommes en 2020!
En médecine comme dans tous les domaines, les mots ont leur importance. Qu’ils aient pour but d’accueillir un patient, de le questionner, de l’examiner, de le conseiller, de l’encourager, de le motiver, de lui communiquer les résultats d’examen ou bien de lui annoncer une mauvaise nouvelle. Les mots que nous utilisons et la manière que nous les formulons ont autant, sinon plus, d’importance que les autres compétences professionnelles requises d’un médecin.
Lorsque l’on questionne les médecins sur leurs habilités communicationnelles, la plupart se considèrent comme étant de bons communicateurs. Pas surprenant, puisque la compétence communicationnelle est l’une des compétences transversales essentielles de la médecine de famille. Toutefois, demander aux médecins et aux professionnels de la santé s’ils croient être de bons communicateurs est comme demander à des détenteurs d’un permis de conduire s’ils pensent être de bons conducteurs. Rares sont ceux qui affirmeraient le contraire!
Et pourtant…
Ce n’est pas le portrait que présentent les sites dédiés à l’évaluation des médecins et les rapports des commissaires aux plaintes et à la qualité des services5 ni ceux des enquêteurs des ordres professionnels6 et de l’Association canadienne de protection médicale7. Partout, l’un des principaux reproches adressés aux médecins est leur attitude et leur façon de s’exprimer. Souvent, on voit des commentaires comme : « Le docteur ne m’a même pas écouté. Il ne m’a même pas regardé. Il a été bête avec moi. »
Évidemment, il est tout à fait illusoire de penser que les médecins, et à plus forte raison les médecins de famille, puissent être parfaits en tout point et en tout temps. Que jamais ils ne puissent exprimer la moindre émotion. Que jamais ils ne puissent ressentir de la frustration et même s’emporter. Après tout, les conditions dans lesquelles les médecins de famille travaillent, les responsabilités qu’ils ont, le nombre de patients qu’ils doivent traiter, la personnalité de certains, les attentes élevées et les exigences démesurées d’autres ont de quoi mettre à rude épreuve les plus patients et exaspérer les plus dévoués des soignants.
Toutefois, il est certain que, lorsque la situation s’envenime, quand la souffrance devient trop grande, quand la nouvelle devient trop mauvaise, quand la situation devient trop difficile, le silence s’impose. Pour prendre le temps d’écouter et de comprendre.
Dans ces moments-là, le silence est préférable aux mots.
Dans ces moments, le silence a bien meilleur goût.
Footnotes
This article is also in English on page 87.
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