En janvier, la campagne Bell Cause pour la cause a pris d’assaut plusieurs plateformes de médias sociaux. Je suis fière que tant de médecins et de leaders aient partagé leurs difficultés et leur cheminement en santé mentale. Cependant, j’ai aussi été troublée par le récit d’un médecin qui s’est vu marginalisé au travail après avoir parlé à l’administration de ses troubles de santé mentale et qui a eu l’impression d’être abandonné dans un moment de vulnérabilité. Comment pouvons-nous assurer le bien-être psychologique des médecins et des apprenants qui se sentent menacés lorsqu’ils brisent le silence ?
La politique de l’Association médicale canadienne (AMC) sur la santé des médecins explique que :
On note dans la culture médicale des normes persistantes qui contribuent directement à la dégradation de la santé des apprenants et des médecins au Canada. Certaines barrières bien ancrées dans cette culture, comme une réticence à parler de ses problèmes personnels ou à admettre sa vulnérabilité, nuisent à la détection et à la résolution des problèmes de santé des médecins et des apprenants [...]1.
Selon le Sondage national de l’AMC sur la santé des médecins, 33 % des médecins et 49 % des résidents qui y ont répondu avaient obtenu un résultat positif au dépistage de la dépression2. Les données montrent que les taux d’idées suicidaires sont plus élevés chez les médecins que dans la population générale3. Récemment, des travaux de recherche publiés dans Le Médecin de famille canadien ont rapporté que ce taux atteignait 33 % chez les résidents. Parmi ceux qui avaient été sondés, 18 % disaient avoir planifié leur suicide au cours de leur résidence et 3 % avaient fait une tentative4.
Les leaders de la médecine commencent à en prendre note. Dans les dernières années, ils ont tenté d’apporter des solutions pour renverser ces statistiques inquiétantes. Certains établissements universitaires, comme le mien, ont mis sur pied des « bureaux de santé » ; des organisations comme l’AMC ont hissé la santé et le bien-être des médecins au sommet de leurs priorités5.
Par le passé, les approches en matière de bien-être et de santé mentale ont surtout mis l’accent sur des initiatives qui ciblent individuellement les médecins (comme l’entraînement à la pleine conscience, les habiletés de communication, le renforcement de la résilience par la sensibilisation et les ateliers de gestion du stress). En revanche, on a tourné le regard, dernièrement, vers les facteurs organisationnels qui pourraient causer l’épuisement professionnel et les problèmes de santé mentale chez les médecins6. Un récent article spécial de Mayo Clinic soutient en effet que les stratégies comme celles mentionnées ci-haut « sont reçues avec scepticisme par les médecins, qui y voient à juste titre un effort superficiel de la part des organisations pour faire face au problème6. »
Si nos systèmes de formation et nos conditions de travail sont des facteurs qui perturbent de façon importante la santé mentale des médecins, alors il est peu probable que des interventions individuelles soient, par elle-même, une solution efficace.
Dre Carrie Bernard, avec qui j’ai rédigé ma chronique ce mois-ci, a récemment publié un témoignage touchant dans le JAMC7.
Dans son article, elle raconte son expérience de la dépression et exprime son désir résolu de lutter contre les préjugés qui hantent les médecins aux prises avec des problèmes de santé mentale. Soulignons que, lorsqu’elle a eu l’idée de s’ouvrir publiquement sur ses difficultés psychologiques, certains de ses pairs l’ont mise en garde contre les répercussions négatives qu’elle pourrait subir dans sa carrière. C’est en partie pour combattre cette forme de stigmatisation qu’elle a choisi de parler de son vécu. Elle a été chamboulée par le nombre de médecins qui l’ont contactée après avoir lu son article. Beaucoup d’entre eux souffrent en silence, et ils hésitent encore à en parler.
De toute évidence, même si les médecins touchés par l’épuisement professionnel et les autres problèmes de santé mentale doivent faire partie de la solution, un changement systémique est nécessaire pour mieux soutenir leur participation à ce processus. Les données ne mentent pas : cela touche un grand nombre d’entre nous. En tant que communauté, les médecins ont besoin de s’aider et de s’entraider, tout comme nous nous sommes engagés à venir en aide à nos patients, quelle que soit la nature de leur maladie.
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