Description du cas
Natasha est une femme de 85 ans que vous voyez pour traiter son hypertension et son arthrose. Son conjoint est décédé il y a 6 mois des suites d’une démence avancée, et elle vit seule dans un appartement subventionné. Elle ne sort que pour faire l’épicerie et pour vous consulter. Elle a immigré du Danemark il y a de nombreuses années, et ses 2 enfants adultes vivent à l’étranger. Elle ne fréquente pas d’amis, puisque la plupart d’entre eux sont décédés ou qu’elle a perdu contact avec eux pendant qu’elle s’occupait de son mari. Elle a cessé d’aller à l’église depuis quelques années. Elle a mal aux genoux et a l’impression que sa démarche n’est plus aussi sûre qu’avant.
Une résidente travaille avec vous aujourd’hui, et elle procède à une anamnèse rigoureuse, qui inclut de passer en revue les symptômes de Natasha et les principaux syndromes gériatriques.
Elle présente plusieurs suggestions utiles, notamment ajuster la médication de Natasha, prescrire quelques investigations limitées, et demander à un ergothérapeute d’évaluer la sécurité de son domicile et la nécessité d’utiliser une aide à la marche.
Lorsque vous proposez à Natasha de revenir dans 4 à 6 semaines, elle vous répond : « Cela me semble long… Pourquoi pas dans 2 semaines? »
À plusieurs égards, la résidente a fait une évaluation approfondie de cette femme fragile, et a tenu compte d’un bon nombre des « géants gériatriques » enseignés aux étudiants en médecine. Par ailleurs, sa compréhension de la santé de Natasha ne tient pas compte des facteurs les plus susceptibles d’influencer sa qualité de vie et même sa mortalité : la vulnérabilité sociale, la solitude et l’isolement social.
Sources de l’information
Nous avons fait une recherche documentaire dans PubMed et PsycINFO, portant sur la période entre 2008 et juin 2019, à l’aide des expressions aged, loneliness, social isolation, screening et interventions et de mots clés connexes. La recension dans PubMed se limitait à passer en revue les articles publiés en anglais. Les références des articles cernés ont aussi fait l’objet d’une recherche. Des documents de politiques publiques produits au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni (R.-U.) ont été trouvés en ligne en utilisant Google et les mêmes termes de recherche. Les revues systématiques, les méta-analyses et les documents de politiques ont été inclus s’ils portaient sur l’efficacité des interventions relatives à la solitude ou à l’isolement social chez des adultes plus âgés. Cet article ne doit pas être considéré comme une revue systématique formelle, et il ne présente pas de synthèse quantitative de ce domaine.
Message principal
Ampleur du problème.
Selon des estimations faites en 2017, 17 % de la population au Canada est âgée de 65 ans et plus. On s’attend à ce que cette population, surtout les personnes de plus de 75 ans, atteigne plus du double au cours de 20 prochaines années1. Des données probantes émergentes font valoir que des facteurs sociaux ont des répercussions considérables sur la mortalité et sur de nombreux aspects de la santé chez les adultes plus âgés2. Des expressions comme isolement social, vulnérabilité sociale et solitude, définies à l’Encadré 13,4 font de plus en plus l’objet de discussions importantes. Des agences de la santé publique et des gouvernements favorisent la réduction de la solitude et le renforcement des réseaux sociaux, et les considèrent comme d’importants objectifs en matière de santé publique. En 2013–2014, le Conseil national des aînés a préparé un rapport pour Santé Canada sur l’isolement social des personnes âgées5. Le R.-U. finance un ministère de la Solitude, de même qu’une campagne pour mettre un terme à la solitude, sous la forme d’un réseau d’organisations qui travaille à réduire la solitude chez les aînés au moyen d’actions, de pratiques, de recherches et de politiques communautaires6,7. L’Organisation mondiale de la Santé a aussi créé le Réseau mondial des villes et des communautés amies des aînés, une importante stratégie dont le but est d’encourager l’engagement social des personnes plus âgées8.
Définitions
L’isolement social est communément défini comme le fait d’avoir des contacts peu fréquents et de piètre qualité avec autrui. Il se mesure objectivement à l’aide d’observations du réseau social d’une personne3.
La solitude est le sentiment d’être seul, qu’importe la taille objective du réseau social3. La solitude est souvent considérée comme la contrepartie subjective de l’isolement social.
La vulnérabilité sociale peut aider à expliquer comment les circonstances sociales sont liées à la santé, et elle désigne la mesure dans laquelle la situation sociale d’une personne la rend vulnérable à d’autres atteintes sociales ou sur le plan de la santé4. Andrew et ses collègues ont opérationnalisé ce concept en produisant un indice de la vulnérabilité sociale, qui comporte des variables signalées par les intéressés, notamment la situation socioéconomique, les relations, les soutiens sociaux, la littératie et la situation de vie, des facteurs qui ont été antérieurement établis dans l’Étude sur la santé et le vieillissement au Canada4.
Par ailleurs, des études ont démontré que les médecins de famille ont de la difficulté à identifier leurs patients esseulés9. Une étude en Hollande a révélé que même si les médecins de famille reconnaissaient l’importance du sentiment de solitude des patients dans leur pratique au quotidien, ils éprouvaient des difficultés à réagir à ce sentiment et étaient confrontés à un manque d’options thérapeutiques10.
La prévalence de l’isolement social varie de 6 à 43 % chez les adultes plus âgés vivant dans la communauté, et de 10 à 50 % signalent se sentir seuls3,5,11.
Importance du problème.
Même si des facteurs intrinsèques comme la génétique, les problèmes médicaux et la fragilité contribuent à la santé, on reconnaît de plus en plus les effets des déterminants de la santé, notamment les conditions dans lesquelles les personnes sont nées, vivent et vieillissent. Il a été démontré dans une méta-analyse que la solitude et l’isolement social sont liés à un risque plus élevé de mortalité de 26 et 29 % respectivement12. Ce risque accru de mortalité se situe dans la même catégorie que celui de fumer 15 cigarettes par jour ou d’avoir un trouble de consommation d’alcool. De plus, les risques de la solitude pour la santé surpassent ceux liés à l’obésité12. Les médias ont diffusé ces conclusions en leur donnant comme grand titre accrocheur « La solitude est le nouveau tabagisme ». Une récente méta-analyse a fait valoir que le risque de développer une démence chez les personnes vivant de forts degrés de solitude était de 1,58 fois plus grand que chez les personnes qui avaient un réseau social13. Selon de bonnes données probantes, les personnes esseulées ou socialement isolées ont un risque accru de problèmes physiques et mentaux, et utilisent davantage les services de santé (Tableau 1)3–5,11–19.
Issues indésirables liées à la solitude et à l’isolement social
À l’inverse, une plus grande participation sociale a été associée à une baisse des incapacités et de la mortalité19,20. Dans la méta-analyse par Holt-Lunstad et ses collègues, la probabilité de survie des personnes qui avaient des relations sociales plus solides était 50 % plus grande12. Il a été démontré que les liens sociaux améliorent l’observance des schémas posologiques médicaux21 et réduisent la durée des hospitalisations2.
Facteurs de risque.
Il a été constaté que de nombreuses variables sont liées à un risque accru de solitude, d’isolement social et de vulnérabilité sociale (Tableau 2)1,3,4,22.
Facteurs de risque d’isolement social, de solitude et de vulnérabilité sociale
Identifier et atteindre les patients isolés ou esseulés.
Les médecins de famille et d’autres professionnels de la santé sont bien placés pour identifier les patients isolés ou esseulés, puisqu’ils pourraient bien être les seuls points de contact sociaux de nombreux patients7,23–25. Au R.-U., 3 généralistes sur 4 disent voir entre 1 et 5 personnes par jour qui sont venues principalement à la clinique parce qu’elles se sentaient seules7. Il a été suggéré que puisque les médecins procèdent déjà au dépistage d’autres facteurs de risque, comme le tabagisme, l’alimentation et l’exercice, les médecins de soins primaires puissent jouer un rôle pour identifier les patients isolés, esseulés ou socialement vulnérables, et recommander des interventions fondées sur des données probantes susceptibles de renforcer des liens sociaux25,26.
Le rapport du Conseil national des aînés a confirmé qu’une approche « réactive » était actuellement employée pour répondre aux besoins des personnes socialement isolées, dont plusieurs ne sont identifiées ou aidées qu’en cas de crise5. Au nombre des échelles validées pour évaluer les aînés à risque d’isolement social ou de solitude qui pourraient bénéficier d’une intervention figurent le Lubben Social Network Scale27,28 et l’échelle de la solitude en 3 points (Three-item Loneliness Scale, Tableau 3)29. Des questions de dépistage en un seul point sont aussi possibles, comme : « À quelle fréquence vous sentez-vous seul (presque jamais ou jamais, parfois, souvent11,30? » Les questions en un seul point ont moins souvent été étudiées, mais elles sont couramment utilisées en recherche et pourraient être plus pratiques dans la pratique clinique11,30–32..
L’échelle de la solitude en 3 points
Certaines communautés ont utilisé des ensembles de données existants concernant des facteurs de risque de solitude, comme la délinéation de régions géographiques présentant plus de facteurs de risque (créer une « carte des points chauds de la solitude ») pour cibler les services. D’autres communautés ont formé « des sources de référence non traditionnelles », comme des personnes avec qui les adultes plus âgés pourraient être en contact (p. ex. bénévoles, commerçants), une approche appelée « intervenants sur le terrain »7,33,34.
Interventions.
Diverses interventions visant la réduction de la solitude et de l’isolement social ont fait l’objet d’études (Tableau 4)14,35–46. De multiples revues systématiques qui évaluaient ces interventions ont tiré des conclusions différentes et souvent contradictoires14,35–46. Par exemple, plusieurs revues systématiques ont fait valoir de meilleurs résultats avec des interventions en groupe de nature éducative ou sociale, ou qui combinaient de l’exercice avec des loisirs ou une intervention psychosociale35–38. Par ailleurs, d’autres revues ont cerné plus de données probantes en faveur d’interventions sur une base individuelle (comme la vidéoconférence, le recours à Internet et la zoothérapie)39–42,46. Les revues systématiques soulèvent la faible qualité méthodologique des études primaires, notamment la petite taille des échantillons, une durée de suivi insuffisante pour évaluer les bienfaits pour la santé, l’omission de mesurer l’utilisation des soins de santé et le manque d’uniformité dans la façon de mesurer l’isolement social ou la solitude, si ces derniers étaient effectivement mesurés14,35–46. La revue effectuée par l’Agency for Healthcare Research and Quality a coté moins de la moitié des études incluses comme étant de qualité acceptable ou bonne38.
Comparaison des interventions pour lutter contre l’isolement social et la solitude
Compte tenu de la qualité médiocre des études, il est difficile de tirer des conclusions concernant les facteurs qui contribuent à la réussite des interventions. Il a été suggéré que le mécanisme selon lequel la technologie pourrait atténuer l’isolement social résiderait dans les rapports avec la famille et les amis, l’obtention d’un soutien social, la participation à des domaines d’intérêt et le rehaussement de la confiance en soi41. Gardiner et ses collègues font valoir, dans leur revue intégrative, que les interventions les plus réussies ont en commun les caractéristiques suivantes : l’adaptabilité au contexte local et le contrôle local de la conception, une approche de développement communautaire (dans laquelle les interventions sont conçues et mises en œuvre par les utilisateurs des services) et des activités de mobilisation productive (individuellement ou en groupe) plutôt que des activités passives43.
La « prescription sociale » est un nouveau modèle pour aborder l’isolement social et la solitude; il est largement adopté et valorisé au R.-U., et fait l’objet d’études dans des communautés en Ontario7,47. Il s’agit d’une approche générale qui n’est pas centrée sur ce qui est livré, mais plutôt sur la façon dont les services sont fournis à une communauté locale. Dans un tel modèle, un patient est identifié dans le contexte des soins primaires et est dirigé vers un navigateur qui évalue ses besoins et le met en contact avec les services appropriés (p. ex. répit aux aidants, services sensoriels, loisirs, transport, alimentation ou soutien au revenu). Des études individuelles sur ce modèle ont cerné des améliorations dans les mesures de la santé telles que rapportées par l’intéressé et des réductions dans le recours aux services de santé. Par contre, une récente revue systématique portant sur la prescription sociale a révélé que les données actuelles ne fournissent pas assez de détails pour juger de sa réussite ou de sa rentabilité, parce que la plupart de ces études sont de petite taille et de mauvaise qualité45.
Approche pratique à l’endroit de la solitude et de l’isolement social.
Étant donné l’absence de lignes directrices claires concernant les interventions efficaces adaptées à la personne, ainsi que la diversité des besoins et des préférences des adultes plus âgés, nous conseillons aux cliniciens d’utiliser une approche individualisée et centrée sur le patient pour aborder l’isolement social et la solitude (Encadré 2)7,14,38,48.
Une approche centrée sur le patient pour s’attaquer à l’isolement social et à la solitude
Une approche centrée sur le patient porte sur les facteurs suivants:
Exploration. Que se passe-t-il maintenant? Faciliter le récit par la personne de sa propre histoire et examiner le degré de solitude ou d’isolement social.
Étude des solutions et des objectifs. Quelles sont les solutions possibles? Aider la personne à s’imaginer un avenir différent. (Comment souhaiteriez-vous changer la situation? Que feriez-vous différemment? Quels sont vos intérêts? Vos points forts?)
La personne s’est-elle fixé ses propres objectifs, à ne pas confondre avec ceux du professionnel (p. ex. être plus active physiquement, prévenir les chutes, établir de nouvelles connexions, assister à des rencontres, jouer au bridge).
Action. Que faut-il faire? Aider la personne à dresser un plan qui l’amènera là où elle souhaite se rendre
Adaptation de la Campaign to End Loneliness.48
La participation des services sociaux est essentielle dans le choix des interventions les plus appropriées au contexte d’un patient en particulier. De nombreuses villes disposent de sites web centraux et de lignes téléphoniques (p. ex. Canada 211) dotés de bases de données interrogeables sur les services. Selon notre expérience et celles d’autres collègues, la création d’un répertoire des actifs locaux peut se révéler un précieux outil de référence dans les dossiers médicaux électroniques, accessible en format papier à la clinique ou distribué lors des visites à domicile. Les centres communautaires et les bibliothèques publiques offrent aussi souvent des programmes d’exercices et d’activités sociales, de même que de la formation en informatique pour les aînés (Tableau 5).
Ressources pour l’isolement social et la solitude
Atténuer les obstacles à la mise en œuvre des interventions
Besoins de transport : L’accès à des moyens de transport fiables et abordables est souvent une condition préalable essentielle pour que les adultes plus âgés demeurent engagés dans la communauté et maintiennent leurs relations3,7.
Pertes sensorielles et restrictions à la mobilité : Une revue réalisée en 2008 sur l’isolement social chez les aînés habitant dans la communauté a fait valoir que la réadaptation pour une perte auditive de légère à modérée était efficace pour améliorer les difficultés dans la communication et réduire la solitude14. Nous n’avons trouvé aucune étude qui évaluait les effets des interventions pour d’autres incapacités fonctionnelles liées à l’âge, comme la perte de la vision ou les restrictions à la mobilité. Par ailleurs, les auteurs de la revue ont fait remarquer que des recherches n’étaient pas nécessairement essentielles pour confirmer que la correction des restrictions à la mobilité et de la perte de vision pourrait améliorer la qualité de vie et l’engagement social14. La participation à de nombreuses interventions n’est possible qu’après avoir optimisé la mobilité, la vision et l’ouïe.
Revenu : Les coûts peuvent être un obstacle à la participation à des programmes sociaux. Il faudrait encourager les aînés à faire leur déclaration de revenus, car il existe des avantages gouvernementaux pour les personnes âgées à faible revenu49. Certains programmes abolissent les frais ou utilisent un barème dégressif pour les aînés à faible revenu.
Lacunes dans la compréhension et la recherche : populations mal desservies.
Les immigrants de première génération éprouvent des difficultés à accéder à des interventions contre la solitude qui sont offertes à la population en général parce qu’ils ne connaissent pas bien les ressources et en raison de barrières linguistiques et culturelles. Dans le rapport du Conseil national des aînés, cette population a mentionné des difficultés à trouver des établissements de soins et des programmes sociaux dans la langue de leur choix5. Les ouvrages scientifiques ne décrivent pas comment les aînés de différentes ethnicités vivent la solitude et l’isolement. Le degré d’isolement social que vivent les Autochtones plus âgés n’est pas connu. Pourtant, des facteurs culturels et structurels, combinés à des taux élevés d’événements traumatiques au cours de la vie de la personne, pourraient accroître le risque de solitude et d’isolement social50. La revue par l’Agency for Healthcare Research and Quality fait remarquer que seulement 1 des 8 études de bonne qualité mentionnait l’ethnicité des participants38.
Les adultes plus âgés qui s’identifient comme étant LGBTQ+ (lesbienne, gai, bisexuel, transgenre, queer ou en questionnement, et les communautés connexes) sont à risque élevé de solitude et d’isolement social50–52. Un sondage mené par l’American Association of Retired Persons a révélé que la plupart des aînés s’identifiant comme LGBTQ+ s’inquiètent de ne pas avoir assez de soutien de leur famille et de leurs amis à mesure qu’ils vieillissent51. De nombreux aînés LGBTQ+ ont exprimé le souhait d’avoir des services et des logements spécifiquement adaptés à cette population50,51.
Même s’ils sont en compagnie d’autres adultes, les aînés qui vivent en résidence ou dans un établissement de soins de longue durée vivent encore de forts degrés de solitude et d’isolement. Quelque 44 % des aînés vivant dans des centres de soins de longue durée ont reçu un diagnostic de dépression ou ont des symptômes de dépression, et ces personnes sont plus susceptibles d’être socialement isolés53. La plupart des études de recherche sur les adultes plus âgés vivant en établissement portaient sur des personnes ayant leur cognition, et il n’y a pas de revue systématique s’intéressant spécifiquement aux soins de longue durée. Les sentiments de solitude et d’isolement sont fréquents dans la démence, et ces patients pourraient trouver plus difficile de composer avec les sentiments associés à ces problèmes40. De plus, les aînés proches aidants sont souvent une population socialement isolée et cachée, et plus de recherches sont nécessaires pour déterminer les interventions qui sont efficaces dans ce groupe14.
Même si l’association entre la pauvreté et l’isolement social est bien documentée, très peu de travaux se penchent sur les effets de la pauvreté sur l’expérience de la solitude et de l’isolement social.
Résolution du cas
Même si le comportement de Natasha est joyeux, il est évident qu’elle se sent seule et socialement isolée. Lorsque vous lui demandez pourquoi elle ne va plus à l’église, elle vous répond que c’est devenu difficile de s’y rendre. Lorsqu’elle y allait, elle ne pouvait pas entendre le service ni lire le livre de prières. Elle s’ennuie de ce rituel, car c’était une partie importante de sa semaine avant que son conjoint ne tombe malade. Elle ne parle pas souvent avec ses enfants au téléphone, parce que ces appels coûtent cher. Ils l’ont encouragée à utiliser Skype ou le courrier électronique, mais elle n’a pas d’ordinateur.
Natasha est réceptive à l’idée d’un examen auditif et de la vue, de même qu’à une évaluation par un ergothérapeute. Vous recherchez dans Canada 211 les options de transport pour aînés et vous imprimez un formulaire de demande de transport public pour personnes handicapées, ainsi que d’autres solutions à faible coût pour personnes âgées afin que Natasha puisse recommencer à aller à l’église. Vous lui mentionnez un groupe d’exercice comme façon d’améliorer ses forces et de réduire son risque de chutes, mais Natasha n’est pas intéressée. Elle aime cependant l’idée d’apprendre à utiliser un ordinateur pour prendre contact avec ses enfants. Vous lui conseillez de s’informer auprès de la bibliothèque locale pour savoir si on y offre des cours d’informatique. Natasha reviendra vous voir dans 1 mois pour faire le suivi de ce plan d’action.
Conclusion et prochaines étapes
En 1965, le professeur Bernard Isaacs a inventé l’expression géants gériatriques : immobilité, instabilité, incontinence et déficience dans l’intellect ou la mémoire54. Les praticiens et les étudiants en médecine sont encouragés à être vigilants pour déceler ces problèmes, en plus de dépister des facteurs de risque reconnus comme le tabagisme, la consommation d’alcool et l’activité physique, et ce, dans le but d’intervenir pour prévenir une plus grande incapacité, l’hospitalisation et la mortalité.
Étant donné l’abondance de littérature médicale démontrant la puissante relation entre la solitude, l’isolement social et la vulnérabilité sociale et ces mêmes issues, en tant que professionnels des soins primaires, nous ferions preuve de négligence si nous ne reconnaissions par ces problèmes chez nos patients et si nous n’insistions pas auprès de nos stagiaires sur les facteurs liés aux relations sociales comme étant des variables essentielles pour la santé.
Des interventions ciblant la solitude et l’isolement social se révèlent prometteuses, mais plus d’études de recherche sont nécessaires pour offrir de fermes recommandations quant aux interventions qui sont efficaces et adaptées aux populations.
Comme la solitude pourrait bien être le nouveau tabagisme, les interventions ciblant la solitude et l’isolement social pourraient bien être les nouvelles « statines ». Par ailleurs, s’attaquer à la solitude et à l’isolement social n’est pas aussi simple que prescrire un médicament. Une approche centrée sur le patient est essentielle, comme le sont les partenariats bien définis et la coordination entre ceux qui travaillent dans le secteur de la santé et ceux qui travaillent dans les services sociaux, les gouvernements et la recherche55. L’isolement social et la solitude pourraient bien être les nouveaux géants gériatriques.
Remerciements
Nous remercions Lorna McDougall, IP, de ses précieux commentaires et de sa révision rigoureuse du manuscrit.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Selon des estimations faites en 2017, 17 % de la population au Canada est âgée de 65 ans et plus. On s’attend à ce que cette population, surtout celle de plus 75 ans, atteigne plus du double au cours des 20 prochaines années. Des données probantes émergentes font valoir que des facteurs sociaux, y compris l’isolement social, la solitude et la vulnérabilité sociale, sont associés à une morbidité et à une mortalité considérables, et qu’ils sont comparables à des facteurs de risque établis, comme le tabagisme, la consommation d’alcool, l’obésité et la fragilité.
▸ Les médecins de famille et d’autres professionnels des soins primaires pourraient bien être les seuls points de contact social pour de nombreux patients plus âgés. Il a été proposé qu’étant donné que les médecins procèdent déjà au dépistage d’autres facteurs de risque, les médecins de soins primaires pourraient identifier les patients isolés, esseulés ou socialement vulnérables, et recommander des interventions fondées sur des données probantes susceptibles de renforcer des liens sociaux.
▸ Certaines interventions qui ciblent la solitude et l’isolement social sont prometteuses, mais plus de recherches sont nécessaires pour pouvoir conseiller avec assurance les interventions efficaces adaptées aux diverses populations. Il est essentiel d’adopter une approche centrée sur le patient dans le choix des interventions, et d’assurer des partenariats bien définis et une bonne coordination entre les professionnels de la santé et ceux qui travaillent dans d’autres secteurs.
Footnotes
Collaboratrices
Les 2 auteures ont contribué à la recherche documentaire, à l’interprétation des ouvrages et à la préparation du manuscrit aux fins de présentation.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2020 issue on page 176.
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