Les réactions indésirables aux médicaments (RIM) représentent un important problème clinique en médecine contemporaine, entraînant parfois des conséquences incapacitantes et létales pour les patients. Le fardeau des RIM au Canada est sous-représenté, parce qu’elles ne sont pas toutes rapportées1. Par ailleurs, selon une étude de 1998, les RIM arriveraient entre le quatrième et le sixième rang parmi les causes de décès des patients hospitalisés aux États-Unis2. Des facteurs génomiques exercent un rôle important dans la réponse aux médicaments, et ils contribuent considérablement au risque de préjudices induits par des médicaments. La pharmacogénomique, c’est-à-dire la détermination de la prédisposition génomique à une certaine réponse à un médicament, est une composante importante pour comprendre comment utiliser la médication d’une manière plus sûre et efficace. Les tests pharmacogénomiques permettent la détection de facteurs génomiques liés aux différences dans la réponse à un médicament avant le traitement, et ils assurent que les bienfaits d’un médicament sont maximisés, sans entraîner des conséquences non intentionnelles des RIM. L’utilisation des médicaments dans la pratique clinique est déjà personnalisée par la prise en compte des facteurs cliniques qui contribuent à des réponses variables aux médicaments, mais les tests pharmacogénomiques peuvent expliquer pourquoi certains patients ont des réactions inhabituelles à la médication et améliorer davantage le recours personnalisé aux médicaments.
Le Canadian Pharmacogenomics Network for Drug Safety (CPNDS)3, un groupe dédié à l’intégration de la pharmacogénomique dans la pratique clinique, a cerné des facteurs génomiques responsables d’un certain nombre de RIM, y compris, mais sans s’y limiter, le décès induit par la codéine chez les nourrissons allaités par la mère4,5, l’ototoxicité induite par la cisplatine6,7 et la cardiotoxicité induite par les anthracyclines8–10. Pour lutter contre ces RIM sérieuses, des tests pharmacogénomiques ont été développés pour évaluer le risque d’un patient donné d’avoir une RIM. Des lignes directrices de pratique clinique ont aussi été élaborées pour aider les cliniciens à proposer de meilleurs plans thérapeutiques personnalisés, fondés sur les risques génomiques11–13. À mesure qu’un plus grand nombre de facteurs génomiques sont identifiés, les tests pharmacogénomiques peuvent être optimisés pour fournir un meilleur profil des risques et des bienfaits pour chaque patient.
Le CPNDS et le traitement du cancer chez l’enfant
Le CPNDS a travaillé dans le but d’intégrer les tests pharmacogénomiques dans les décisions relatives au traitement du cancer chez les enfants pour réduire le risque d’avoir des RIM, comme la cardiotoxicité induite par les anthracyclines. Les anthracyclines, les médicaments chimiothérapeutiques le plus souvent utilisés au Canada, peuvent causer une dysfonction du cœur menant à l’insuffisance cardiaque congestive dans une proportion allant jusqu’à 20 % des enfants traités13. En se fondant sur des facteurs cliniques seulement, le risque prévu d’une dysfonction cardiaque (cardiotoxicité) se situe généralement entre quelques points de pourcentage et presque 100 %. La prise en compte des tests pharmacogénétiques aide à mieux évaluer le risque spécifique d’un patient avant l’amorce du traitement. Par exemple, chez 2 patients ayant reçu le même diagnostic, le risque génomique d’un patient d’avoir une cardiotoxicité grave pourrait être de moins de 20 %, tandis que chez l’autre, il pourrait être de plus de 80 %. Notamment, cette capacité de quantifier le risque génomique offre aux patients et à leur famille un moyen d’établir le niveau de risque avec lequel ils peuvent composer, dans le paradigme de la prise de décisions entre les risques et les bienfaits dans la thérapie contre le cancer. Il s’agit d’un bon exemple de soins centrés sur le patient, selon lequel un risque estimé de cardiotoxicité grave induite par le médicament de moins de 20 % pourrait être acceptable, compte tenu de la mortalité considérable qu’accompagnent de nombreux diagnostics de cancer. Par ailleurs, un taux prévu de préjudices supérieur à 80 % devrait nécessiter une discussion des options de rechange viables et un traitement préventif. Tout cela, mis ensemble, permet un meilleur profilage pour que chaque patient prenne des décisions thérapeutiques éclairées.
Changements à l’étiquetage des médicaments
Le CPNDS n’est pas le seul groupe à chercher des solutions en matière de sécurité des médicaments par la pharmacogénomique. Le Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium des États-Unis14 et le Dutch Pharmacogenetics Working Group15 préconisent aussi le recours à des renseignements pharmacogénomiques pour améliorer la prise de décisions cliniques. Le CPNDS a découvert que l’utilisation de la codéine pour la prise en charge de la douleur postpartum chez les mères ayant une copie additionnelle du gène codant les isoenzymes du cytochrome P450 2D6 (CYP2D6) peut être mortelle chez leur nourrisson allaité5. Ces constatations ont incité Santé Canada, la Food and Drug Administration des États-Unis (FDA), l’Agence européenne des médicaments et l’Agence des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux au Japon à émettre des avertissements et à apporter des changements aux étiquettes. Notamment, ces recherches ont entraîné des changements dans l’utilisation des médicaments à l’échelle mondiale11,15,16.
De l’information pharmacogénomique visant à éclairer la pratique clinique se trouve sur l’étiquetage de plus de 750 médicaments dans le monde (https://www.pharmgkb.org/labels), un nombre qui continue de s’accroître au fur et à mesure des nouvelles découvertes pharmacogénomiques. À l’heure actuelle, la FDA donne des renseignements pharmacogénomiques sur l’étiquette de 335 médicaments, tandis que Santé Canada a été plus lent à inscrire de telles informations (incluses pour 105 médicaments). Étant donné que les médicaments sont utilisés dans toutes les disciplines médicales, la pharmacogénomique devrait compter parmi les grandes priorités tant dans l’avancement des soins aux patients que dans l’investissement fédéral en recherche. À cette fin, la FDA facilite l’application de la pharmacogénomique dans la pratique clinique au moyen d’initiatives sous l’égide du Genomics and Targeted Therapy Group. Une approche semblable pourrait être adoptée par Santé Canada comme première étape d’une plus grande sensibilisation des médecins canadiens aux renseignements pharmacogénomiques pour orienter les décisions de prescriptions.
Intégration des tests pharmacogénomiques dans la pratique clinique
Les cliniciens qui souhaitent intégrer les tests pharmacogénomiques dans leur pratique se heurtent à des obstacles considérables qui en limitent l’accès. Nous proposons une approche selon laquelle les tests pharmacogénomiques ne sont effectués que lorsqu’un médicament en particulier est envisagé comme traitement. Le fait de n’inclure que les variantes pharmacogénomiques qui ont une pertinence clinique, comme celles qui apparaissent sur l’étiquette des médicaments ou dans les lignes directrices de pratique clinique pharmacogénomique, ou encore celles répliquées dans au moins 3 populations indépendantes avec de fortes associations (p. ex. rapport de cotes ≥ 3), permet une application immédiate et fondée sur des données probantes aux décisions entourant les prescriptions. Une autre avenue possible pour améliorer l’accessibilité serait une approche de dépistage selon laquelle des renseignements pharmacogénomiques complets seraient recueillis et aisément accessibles pour les décisions de prescriptions futures. Il s’agit d’une stratégie attrayante étant donné que les tests génétiques deviennent de plus en plus abordables et elle représente probablement l’avenir des tests pharmacogénomiques17, mais la réussite de sa mise en œuvre comporte des obstacles. Une approche de dépistage pharmacogénomique doit se conformer aux critères expliqués par Wilson et Jungner18, qui ont été adaptés pour orienter les méthodes de dépistage génomique19, en insistant sur l’existence de fortes données probantes étayant de meilleurs résultats pour le patient et sur le plan de la rentabilité par l’entremise d’évaluations formelles de programmes. En outre, la décision à propos des variantes qui doivent être rapportées et le maintien d’une liste à jour de ces variantes ayant une pertinence clinique exigeront des ressources sur une base continue, de même que la gestion des données génomiques recueillies au moyen du dépistage.
Limites du système de santé
Les contraintes perçues sur le plan des ressources dans le système de santé canadien pourraient menacer l’adoption des tests pharmacogénomiques. Par conséquent, nous proposons d’accorder la priorité aux RIM graves lorsque des retards dans l’accès aux tests placent le patient à risque de conséquences dévastatrices qui imposent aussi des fardeaux coûteux au système de santé. Les tests pharmacogénomiques pour des RIM sérieuses sont aussi les plus prometteurs sur le plan de la rentabilité. Nous avons démontré que les économies associées à la prévention d’une telle RIM, notamment la cardiotoxicité induite par les anthracyclines, devraient, selon les prédictions, compenser largement le coût des tests20. Plus précisément, les cas graves de cardiotoxicité induite par les anthracyclines coûtent plus de 1 million de dollars en raison de la nécessité d’une transplantation cardiaque20, et l’incorporation des tests pharmacogénomiques devrait, selon les estimations, permettre d’économiser 495 $ par patient, ce qui représente une réduction de 5,7 % dans les coûts associés à un traitement contre le cancer avec des anthracyclines20.
Il faut optimiser divers paramètres pour améliorer l’accès à notre approche proposée à l’endroit des tests pharmacogénomiques, y compris le temps d’attente pour obtenir les résultats; l’intégration de la collecte des spécimens et du retour des résultats dans le déroulement clinique; et la disponibilité de formations en pharmacogénomique. En accordant la priorité aux RIM graves, comme celles rencontrées dans le traitement du cancer chez l’enfant, le CPNDS développe ses connaissances sur les meilleures façons d’effectuer les tests pharmacogénomiques pour mieux répondre aux besoins des médecins, des patients et des familles, tout en évaluant aussi les effets de tels tests sur le système de santé canadien en mesurant formellement leur rentabilité. Avant tout, les leçons tirées de ces expériences aideront les médecins de famille à incorporer, à l’avenir, des tests pharmacogénomiques pour d’autres RIM graves. Plus particulièrement, les renseignements pharmacogénomiques cliniquement pertinents documentent le risque d’être confronté aux nombreuses RIM sérieuses observées à cause des analgésiques (p. ex. la dépression du système nerveux central ou la mort induites par la codéine ou le tramadol), des antibiotiques (p. ex. les lésions hépatiques causées par l’association de rifampicine, d’isoniazide et de pyrazinamide) et des psychotropes (p. ex. les réactions dermatologiques induites par la carbamazépine ou la phénytoïne) couramment prescrits par les médecins de famille. Étant donné que ces RIM graves sont généralement rares, la requête de tests pharmacogénomiques permettra aux médecins de famille de continuer de prescrire des médicaments très efficaces avec des profils d’innocuité bien compris pour les patients identifiés comme à faible risque d’une RIM, tout en choisissant une autre option pharmacologique pour les patients à risque élevé et en leur évitant d’éventuels préjudices.
Conclusion
En définitive, une plus grande accessibilité aux tests pharmacogénomiques signifie un meilleur profilage des risques d’un traitement avant qu’il soit amorcé, et a le potentiel d’influer de manière considérable sur l’utilisation des médicaments en la rendant plus sécuritaire et efficace, et personnalisée. Sur le plan éthique, il nous incombe à tous, les cliniciens, les administrateurs d’hôpitaux et les décideurs, de donner accès à ces services à toutes les familles canadiennes dans le but de contribuer à prévenir de sérieuses RIM dans les traitements contre des maladies et des affections qui requièrent des médicaments.
Remerciements
Ces travaux ont récemment été financés grâce à une subvention de Génome Canada. Le financement associé à cette présentation inclut une bourse de recherche postdoctorale Bertram Hoffmeister de l’Institut de recherche du BC Children’s Hospital (C.M.L.), une bourse de recherche de la Michael Smith Foundation for Health Research (C.J.R.), une Chaire de recherche en pharmacologique clinique pédiatrique et son titulaire, financés par les Instituts de recherche en santé du Canada et GlaxoSmithKline (M.J.R.). De plus, le Canadian Pharmacogenomics Network for Drug Safety, dont les auteurs sont membres, reçoit du financement de Génome Canada, de Genome British Columbia, des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Provincial Health Services Authority, de la Fondation du BC Children’s Hospital, ainsi que des fonds équivalents à une subvention fédérale du PPAG de Génome Canada versés par les Laboratoires Dynacare.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 241.
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