
Chers collègues,
Les médecins s’en demandent beaucoup pour acquérir les compétences nécessaires à la prestation des services. Cela a causé beaucoup de détresse à de nombreux médecins ces dernières années. Le taux d’épuisement professionnel a soulevé beaucoup de questions quant à la culture médicale et aux stratégies que l’on peut mettre en place pour l’améliorer. Le mot culture désigne « les croyances fondamentales communes, les valeurs normatives et les pratiques sociales connexes si généralisées au sein d’un groupe qu’elles en vont désormais sans dire et qu’on n’y porte plus attention1 ». La culture est ce qui « donne une identité, de l’ordre, un sens et de la stabilité1 ». Elle comporte trois niveaux : nos valeurs professées (les priorités que nous affirmons) ; les artéfacts (nos actes et les manifestations de notre culture) et nos suppositions tacites (les croyances enracinées auxquelles nous accordons de l’importance)1.
Depuis quelques années, les médecins ressentent une plus grande dissonance entre leurs valeurs professionnelles et leur comportement et leurs actes, qui se manifeste de plusieurs façons.
Elle résonne sur le plan organisationnel. Les médecins prennent leur rôle au sérieux, car on compte sur eux ; pourtant, il leur faut parfois fournir une abondance de paperasse pour leur facturation. Sous-entendu : on ne leur fait pas confiance. Comme ils sont hautement qualifiés, il faudrait maximiser leur apport clinique aux soins ; pourtant, ils croulent sous les tâches administratives. Sous-entendu : on ne valorise pas leur temps. Les médecins privilégient la prise de décision partagée, car ils veulent centrer leurs soins sur les patients ; pourtant, au nom de l’équilibre budgétaire, les décideurs font des médecins — surtout les médecins de famille—leur cible préférée pour les fonds discrétionnaires destinés à prendre en compte la complexité des soins. Sous-entendu : les priorités économiques prennent le pas sur le pouvoir décisionnel des patients.
Cette dissonance affecte aussi les fournisseurs de soins, individuellement. Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on ; pourtant, bon nombre de médecins ne prennent pas soin d’eux-mêmes et n’ont pas de médecin de famille. Sousentendu : la santé du médecin importe peu. L’erreur est humaine, dit-on ; pourtant, on ne soutient pas forcément les médecins impliqués dans des événements indésirables malgré les multiples facteurs en jeu. Sous-entendu : le médecin, supposément surhumain, n’a pas droit à l’erreur. Et ainsi va la culture du reproche.
Dans la formation universitaire de base, on constate de plus en plus que certains facteurs influencent la culture en médecine de famille. Par exemple, le « curriculum caché » « Tu as trop de talent pour aller en médecine de famille ») a des effets néfastes, tandis que le fait d’offrir aux étudiants en médecine des expériences d’apprentissage de haute qualité en médecine de famille a des effets favorables. Il est crucial de les exposer à une pratique bien gérée et aux soins dispensés en équipe, de leur présenter des mentors qui leur montrent la primauté de la relation médecin-patient et de mettre en valeur la conciliation travail-vie personnelle2.
Certains expliquent aussi cette dissonance en invoquant la dominance traditionnelle des hommes dans la culture médicale malgré la hausse du nombre de femmes dans la profession et le fait que tant les femmes que les hommes recherchent aujourd’hui un meilleur équilibre entre leur carrière et leur vie familiale. Les médecins, hommes et femmes, de tous âges ont des valeurs et des aspirations semblables (altruisme, bien soigner leurs patients, se sentir valorisés) et ressentent la même frustration devant l’ampleur grandissante de la bureaucratie et des tâches administratives3.
La culture peut changer lorsqu’un élément vient bouleverser l’équilibre. C’est ce que fait présentement l’épuisement professionnel, plus prévalent en médecine que dans toute autre profession, mais pire encore en médecine de famille. On l’associe à une piètre qualité des soins, à une moins grande satisfaction des patients et à une augmentation des erreurs médicales2,4.
Que faire? On nous recommande de trouver les domaines où des changements sont possibles, surtout si l’on peut soutenir les personnes touchées et les impliquer dans ces changements plutôt que les leur imposer. Le quatrième élément du quadruple objectif est venu souligner l’importance du bien-être des cliniciens pour améliorer la santé et l’expérience des patients, tout en réduisant les coûts. Il est important de proposer plusieurs façons de veiller au bien-être des médecins. Parmi tout un éventail de possibilités, on envisage de définir un idéal pour l’avenir au moyen d’une charte sur le bien-être des médecins ; de donner en exemple des modèles positifs en instaurant des « directeurs du bien-être » ; et de créer des groupes de soutien et des occasions de développement professionnel continu, comme des congrès sur la santé des médecins1.
Jusqu’à maintenant, l’approche du CMFC a été de soutenir les efforts de l’Association médicale canadienne, l’organisme le plus actif dans ce domaine, pour éviter le chevauchement. À mesure qu’elle élabore sa stratégie, nous serons ravis d’y collaborer.
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