
N‘y touchez surtout pas. Pourquoi? Du courant électrique de haut voltage y circule. Comme le rail d’alimentation d’un métro, le troisième rail est dangereux. Il peut vous tuer. Heureusement, dans une société libre, la mort n’est pas l’issue habituelle de l’expression de ses opinions.
Le Médecin de famille canadien se préparait à lancer la série Le troisième rail (page 449)1, et voilà que la COVID-19 l’a rendue encore plus pertinente. Cette nouvelle section sera un espace dédié à des dialogues stimulants sur des sujets normalement considérés comme tabous ou trop controversés.
La science de la médecine évolue constamment. De nouveaux médicaments sont développés et d’anciens sont relégués aux oubliettes. Des pratiques médicales, autrefois la norme, sont maintenant jugées absurdes ou même cruelles. Les lobotomies frontales pour la maladie mentale. Les saignées pour un rhume. Le mercure pour traiter la syphilis. Il est fascinant et déconcertant de penser qu’il s’agissait alors des normes de soins. Sur quoi ferons-nous une rétrospection, dans un siècle d’ici, pour réaliser alors combien nous avions tort?
Le concept de demi-vie ne se limite pas à la désintégration radioactive. Durant nos études de médecine, nos enseignants insistaient sur le fait que la moitié de nos apprentissages seraient désuets quelques années seulement après notre diplôme. Cette réalité est étayée par la recherche, comme le décrit The Half-Life of Facts2. Certains chercheurs étudient la « scientométrie », la discipline qui se penche sur la rapidité avec laquelle la recherche devient obsolète. (Mais alors, qui étudie leurs travaux?) Le rythme auquel l’information change est particulièrement effréné durant l’actuelle pandémie. Ce n’est plus d’année en année, mais bien au jour le jour.
Mais la médecine va bien au-delà des thérapies cliniques. Les progrès réalisés en bioéthique, en droit, en technologie et dans d’autres domaines éclairent les politiques qui, en définitive, régissent notre travail. Le Dr Neil deGrasse Tyson, astrophysicien (devenu scientifique populaire), était récemment l’invité à une émission de fin de soirée. Il a dit que ce qu’il craignait le plus était de ne pas savoir ce dont il devrait avoir peur. Réfléchissons-y.
Nous savons, par exemple, que les politiques en matière de santé des femmes ont évolué. La pilule contraceptive était accessible au Canada en 1960, mais son utilisation n’était permise que comme régulateur hormonal. Elle n’a pu être légalement prescrite comme moyen contraceptif qu’en 19693. La lutte pour protéger les droits en matière de procréation se poursuit toujours, mais elle régresse dans certaines régions.
Historiquement, certaines politiques racistes ont influencé ouvertement et formellement la formation médicale. Flexner est reconnu pour son rapport de 1910 intitulé Medical Education in the United States and Canada4. Flexner préconisait moins de médecins, mais de meilleurs. Il est souvent applaudi pour avoir fait passer la médecine d’un art à une science. Mais saviez-vous que Flexner disait que les médecins noirs devraient se concentrer sur la spécialité de la médecine de l’hygiène plutôt que sur la chirurgie? « Le nègre… a ses droits, ses dus et sa valeur en tant que personne, mais il a cependant l’importance considérable de l’appartenance à une source potentielle d’infection et de contagion »4. Il ajoute que les personnes noires non seulement sont elles-mêmes à risque d’une infection, mais qu’elles peuvent aussi communiquer des maladies à leurs « voisins blancs ». Aujourd’hui, 110 ans plus tard, nous sommes confrontés à la dérangeante réalité que le racisme systémique en médecine persiste toujours5. La sous-représentation des minorités raciales dans les facultés de médecine est inacceptable.
Shane Neilson est l’auteur de l’article inaugural de notre série Le troisième rail1. Il nous met au défi de réfléchir à la façon dont nous voyons l’incapacité dans le contexte de la pandémie. Il exprime ses réflexions sur un récent article concernant l’attribution équitable des ressources médicales limitées, au temps de la COVID-196, et il met en évidence les problèmes qu’il voit dans ce texte.
Il semble qu’il y ait un intérêt pour de telles conversations. L’an dernier, les essais d’Aruna Dhara sur le travail émotionnel7 et les attentes selon le genre8 comptaient parmi les articles de l’année les plus lus. Les textes de la Dre Dhara ont contribué à entamer des conversations sur la nature de la médecine familiale et sur le type de travail selon la personne. Dans son essai, « Smile! Women as family doctors », elle décrit certaines des différences dans les attentes selon le sexe. Parce qu’elle est une femme, on s’attend qu’elle soit facile d’approche et amicale. On s’attend qu’elle sourit, peu importe le contexte, ce qui la tracasse ou même si elle en a envie8.
À mesure que nous entrons dans de nouveaux paradigmes de soins cliniques, comme les visites virtuelles et l’évitement des contacts physiques, nous devons travailler sans plusieurs de nos outils habituels. Nous pratiquons peut-être différemment, mais notre travail est plus important que jamais. Tout comme la communication. Il n’est pas toujours facile de discuter de sujets délicats, mais c’est essentiel pour maintenir le développement moral et social. Les revues médicales sont un espace idéal pour alimenter ce genre de dialogues. Nos patients le méritent, et nous aussi.
Nous souhaitons vous entendre, surtout en ces temps étranges. Osez poser la main sur notre troisième rail! Pour exprimer vos commentaires ou contribuer, veuillez envoyer vos articles et vos idées à info{at}sarahfrasermd.com.
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