L’obésité est une affection chronique évolutive qui touche plus de 1 adulte canadien sur 41. Les patients obèses présentent un risque accru de nombreuses autres affections graves, dont le diabète de type 2, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, l’arthrite et divers types de cancer2. La chirurgie bariatrique modifie la structure du tube digestif dans le but de réduire la consommation ou l’absorption de calories. Le nombre de chirurgies bariatriques réalisées annuellement au Canada a plus que triplé depuis 20093.
En plus de restreindre l’absorption de calories, la chirurgie bariatrique a le potentiel indésirable de restreindre l’absorption d’autres produits entériques, dont les vitamines, les minéraux et les médicaments. Après la chirurgie, les patients maigrissent habituellement rapidement et pourraient devoir ajuster leurs schémas pharmacologiques à long terme en raison des caractéristiques de distribution des médicaments et des effets de la perte pondérale sur les maladies chroniques.
Les chirurgies bariatriques sont classées comme ayant des propriétés restrictives ou de malabsorption. Les interventions restrictives réduisent le volume des aliments pouvant être consommés en une occasion, ce qui diminue l’apport total de calories. Les interventions de malabsorption contournent des portions substantielles du tube digestif, réduisant ainsi l’absorption des produits consommés. Les chirurgies bariatriques pratiquées au Canada sont la dérivation gastrique de Roux-en-Y, où un petit sac fonctionnel au haut de l’estomac est isolé du reste de l’estomac et est directement raccordé au jéjunum, ce qui permet aux aliments de contourner la majorité de l’estomac et la totalité du duodénum; la gastrectomie longitudinale, où quelque 80 % de l’estomac est retiré laissant un estomac de forme longitudinale (manchon) de plus petite taille; et l’anneau gastrique, où un anneau obstructeur est placé autour de l’estomac proximal, ce qui ralentit physiquement le passage des aliments dans l’estomac. La dérivation gastrique de Roux-en-Y est dotée de propriétés restrictives et de malabsorption, alors que la gastrectomie longitudinale et l’anneau gastrique sont des interventions principalement restrictives.
Malheureusement, la littérature actuelle ne contient que peu de recommandations claires quant aux stratégies précises de gestion pharmacologique après la chirurgie bariatrique. Cet article de synthèse a pour but d’identifier les changements pharmacocinétiques prévisibles et d’émettre des recommandations pratiques quant à la prise en charge pharmacologique des maladies après une chirurgie bariatrique, selon les données probantes actuellement publiées.
Description de cas
Une femme de 40 ans a subi une dérivation gastrique de Roux-en-Y il y a 2 semaines et elle se présente à votre clinique de médecine familiale, car sa tension artérielle est élevée, soit 158/96 mm Hg. Tous les autres signes vitaux se situent dans les limites de la normale. Ses antécédents médicaux comprennent une obésité de classe III et une hypertension de stade 1, laquelle était maîtrisée sous 10 mg/jour de ramipril par voie orale et 60 mg/jour de nifédipine à libération prolongée par voie orale. La patiente indique qu’elle observe et tolère les schémas posologiques prescrits.
Sources of information
Stratégie de recherche.
Nous avons recherché dans MEDLINE, EMBASE, PubMed, Scopus et la bibliothèque Cochrane des études s’étant penchées sur les effets de la chirurgie bariatrique sur l’absorption des médicaments ou la gestion pharmacologique à long terme. Les motsclés de la recherche étaient : obesity, obese, bariatric surgery, gastric bypass, gastrectomy, gastric band, RYGB, roux-en-y, gastrointestinal absorption, medication absorption, drug absorption, bioavailability, dose adjust, drug monitoring, medication adjust, drug change, medication change, medication management et medication dosing. Un bibliothécaire de l’Université de l’Alberta à Edmonton a prêté main-forte à l’identification des mots-clés appropriés à la recherche. Une recherche à la main a également été réalisée dans les références des études et des articles de synthèse originaux. Les études incluses ont été entrées dans PubMed, et les articles apparaissant sous l’en-tête « articles semblables » ont également été examinés. La recherche se limitait aux études menées chez l’être humain et était jugée à jour au mois de février 2019.
Critères d’admissibilité.
Ont été inclus les rapports de cas, les séries de cas, les études de cohorte et les études avec répartition aléatoire et contrôlées ayant évalué ou décrit l’absorption des médicaments ou la gestion pharmacologique à long terme chez les êtres humains ayant subi un type de chirurgie bariatrique actuellement réalisée au Canada (c.-à-d. dérivation gastrique de Rouxen-Y, gastrectomie longitudinale ou anneau gastrique). Nous avons exclu les études qui portaient sur les suppléments alimentaires tels que les vitamines et les préparations de fer.
Sélection des études.
Nous avons indépendamment passé au crible les titres et les résumés de chaque étude afin d’en déterminer l’admissibilité en fonction des critères d’inclusion et d’exclusion. Les deux auteurs ont indépendamment évalué tous les articles intégraux ayant été classifiés comme inclus ou inclusion finale incertaine. Les différends ont été discutés et résolus par consensus.
Abstraction des données.
À l’aide de formulaires standardisés d’extraction des données, nous avons indépendamment extrait les données sur les caractéristiques des études (p. ex. méthodologie, pays, critères d’inclusion et d’exclusion, sources de financement), les caractéristiques cliniques des participants, les interventions (p. ex. nom des médicaments, forme posologique, dose, type de chirurgie), le niveau d’entente au sujet des données et les résultats. Les données non répertoriées dans les articles ont été extraites de publications supplémentaires. Nous n’avons pas communiqué avec les auteurs pour expliquer les données manquantes.
Message principal
Conseils généraux sur la pratique.
Puisque les changements physiologiques et pharmacocinétiques apparaissent quelques jours, voire quelques mois après la chirurgie bariatrique, il revient habituellement au médecin de famille de modifier correctement et ponctuellement les schémas pharmacologiques à long terme. Ils peuvent faire appel à des stratégies générales pour gérer les schémas pharmacologiques après la chirurgie bariatrique (Tableau 1)4–6. Les stratégies d’amélioration de l’absorption médicamenteuse ne sont pas nécessaires chez tous les patients; la décision de mettre en place ces stratégies repose sur de nombreux facteurs, dont le type de chirurgie et le schéma pharmacologique à long terme de chaque patient. Il est souvent raisonnable de surveiller les patients après la chirurgie et de faire les ajustements si l’on soupçonne une absorption sous-optimale.
Durant l’examen des stratégies générales de gestion des médicaments après la chirurgie bariatrique, il importe de garder à l’esprit les principes directeurs suivants :
Les paramètres pharmacocinétiques d’absorption varient beaucoup d’un patient à l’autre après la chirurgie bariatrique. Aucun algorithme ni outil de pratique ne peut prédire ces changements avec exactitude après toutes les chirurgies bariatriques.
Les problèmes d’absorption des médicaments sont parfois temporaires, parfois permanents; ainsi toute modification pharmacologique visant à contrevenir à ces problèmes est aussi temporaire ou permanente.
Les problèmes d’absorption des médicaments et les modifications posologiques surviendront et persisteront probablement après les interventions de malabsorption.
Assurer la surveillance et le suivi adéquats après avoir ajusté un médicament.
S’assurer que les médicaments dosés en fonction du poids sont régulièrement revus et ajustés à mesure que le patient maigrit.
Prise en charge de maladies précises.
En plus des principes directeurs généraux, nous avons relevé un certain nombre de stratégies visant à guider la gestion pharmacologique en contexte de maladies chroniques précises après la chirurgie bariatrique (Tableau 2)4–42. Les médicaments précis pour lesquels des recommandations existent sont destinés à représenter les médicaments les plus souvent prescrits au Canada au moment de la revue de la littérature.
Changements pharmacocinétiques sous-jacents.
Après la chirurgie bariatrique, plusieurs changements pharmacocinétiques peuvent se produire, ce qui pourrait expliquer pourquoi les patients ne répondent pas adéquatement à leurs médicaments (Tableau 3)6,43–45. Les changements pharmacocinétiques qui en résultent apparaissent quelques jours ou quelques mois après la chirurgie, varient d’un patient à l’autre et dépendent du type de chirurgie réalisée. Ces changements disparaissent partiellement ou complètement à mesure que l’organisme guérit et s’adapte aux altérations effectuées durant la chirurgie.
Résolution du cas
L’hypertension de cette patiente s’est décompensée après la dérivation gastrique de Roux-en-Y, fort probablement en raison de l’absorption et de l’efficacité réduites de la nifédipine à action prolongée. Les comprimés oraux de nifédipine à libération prolongée ont recours à un mécanisme de gradient osmotique pour contrôler la libération du médicament; le transit accéléré dans l’estomac ne laisse plus suffisamment de temps au comprimé pour se vider, et l’absorption du médicament est incomplète. Le médecin de famille fait passer la patiente de la nifédipine à l’amlodipine orale à 10 mg/jour, et poursuit le traitement par le ramipril, comme prescrit. Le mode d’action de l’amlodipine et de la nifédipine est le même; cependant, l’amlodipine est présentée en petits comprimés à libération immédiate et a moins de chance d’être absorbée différemment après la chirurgie bariatrique. La patiente retourne à la clinique 2 semaines plus tard et sa tension artérielle est à la cible de 136/84 mm Hg. Un suivi en clinique est prévu toutes les 2 à 4 semaines jusqu’à ce que le poids de la patiente se stabilise, et on l’encourage à surveiller sa tension artérielle à domicile entre les rendez-vous.
Conclusion
En raison des altérations apportées au tube digestif après la chirurgie bariatrique, on présume intuitivement que l’absorption et donc l’efficacité des médicaments changeront. Cet article de synthèse décrit les changements dans l’absorption des médicaments à prévoir après une chirurgie bariatrique, et offre des conseils cliniques relatifs à ces changements. Il n’existe pas beaucoup d’articles de bonne qualité étayant les décisions liées à la gestion des médicaments après la chirurgie bariatrique. Cet article de synthèse comble cette lacune en donnant des conseils cliniques aux praticiens après avoir consolidé les meilleures données probantes. Les conseils cliniques relatifs à l’ajustement des schémas pharmacologiques doivent toujours être interprétés en tenant compte du tableau clinique de chaque patient. Pour dispenser des soins de la meilleure qualité aux patients ayant subi une chirurgie bariatrique, d’autres études cliniques sont nécessaires pour révéler les effets de ce type de chirurgie sur l’absorption des médicaments afin de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents. Il importe d’insister sur cet enjeu important et il revient aux prescripteurs de rester au fait des nouvelles données dans ce domaine afin d’ajuster leur pratique en conséquence.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Il n’existe pas beaucoup d’articles de bonne qualité étayant les décisions liées à la gestion des médicaments après la chirurgie bariatrique. Cet article de synthèse décrit les changements dans l’absorption des médicaments à prévoir après une chirurgie bariatrique, et offre des conseils cliniques liés à ces changements. Les conseils cliniques relatifs à l’ajustement des schémas pharmacologiques doivent toujours être interprétés en tenant compte du tableau clinique de chaque patient.
▸ Les considérations générales comprennent le fait de savoir que les paramètres cinétiques d’absorption varient beaucoup d’un patient à l’autre; de savoir que les problèmes d’absorption des médicaments sont parfois temporaires, parfois permanents; de savoir que les problèmes d’absorption des médicaments et les modifications posologiques surviendront et persisteront probablement après des interventions de malabsorption; et d’assurer la surveillance et le suivi adéquats.
▸ Cet article de synthèse fournit des conseils pratiques sur la prise en charge de maladies précises et la prédiction des changements pharmacocinétiques. Les changements pharmacocinétiques à prévoir après la chirurgie bariatrique sont une moins grande capacité de dissolution des médicaments solides par voie orale et une altération du métabolisme de premier passage. Pour contourner ces changements, on propose de passer des médicaments solides à des médicaments liquides, à des comprimés pouvant être dissous ou écrasés, ou à des capsules pouvant être ouvertes; à des formes de présentation non orales; et à des formulations à libération immédiate.
Footnotes
Collaborateurs
La Dre Lorico a déterminé la stratégie de recherche initiale, qui a ensuite été modifiée après consultation avec M. Colton et un bibliothécaire de l’Université de l’Alberta. La Dre Lorico a relevé tous les articles qui répondaient aux critères de recherche. La Dre Lorico et M. Colton ont indépendamment examiné tous les titres et résumés afin de déterminer les articles à inclure; les différends étaient résolus après discussion. La Dre Lorico a initialement lu les articles inclus et a inscrit les résultats pertinents dans un tableur électronique de collecte des données; M. Colton a alors lu les articles pour confirmer l’information et ajouter à la collecte des données, au besoin. La Dre Lorico a rédigé la grande partie de la version préliminaire du manuscrit; M. Colton en a fait une relecture et une révision. Les deux auteurs sont d’accord avec la totalité du texte et des révisions. Le consensus a été obtenu après discussion de tous les points disputés.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2020 issue on page 409.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada