L‘acidocétose diabétique (DKA) est une complication potentiellement mortelle de l’hyperglycémie chez des patients atteints de diabète sucré de type 1 (DST1). Comme présentation initiale, le chevauchement des signes de DKA et des infections respiratoires qui peuvent la déclencher, surtout durant la saison du rhume et de la grippe, peut compliquer ce diagnostic. La dyspnée de Kussmaul, caractérisée par une tachypnée et une profondeur accrue de la respiration, est un signe classique de la DKA; par ailleurs, un changement dans la profondeur de la respiration pourrait ne pas être apparent chez de plus jeunes enfants en raison de leur taille. Le présent cas décrit une fillette en détresse respiratoire, à sa première visite en clinique de soins primaires, après 1 semaine de symptômes liés aux voies respiratoires supérieures. Il est important pour les médecins de famille de garder à l’esprit un diagnostic différentiel de la détresse respiratoire. Si l’examen n’est pas conforme aux présentations plus courantes, d’autres causes devraient alors être considérées.
Cas
Une fillette de 22 mois vient à la clinique d’un médecin de famille avec sa mère en raison de l’aggravation d’une dyspnée. Sa mère décrit sa toux comme un « aboiement » et signale la présence, depuis une semaine, de symptômes apparentés à un prodrome viral. La fillette a d’autres frères et sœurs à la maison qui ont des infections des voies respiratoires supérieures. À l’examen, elle est tachypnéique, utilise ses muscles accessoires pour respirer et fait des geignements expiratoires. À l’auscultation thoracique, il y a une bonne entrée d’air bilatérale, sans bruits anormaux, et sa saturation en oxygène est normale. Par ailleurs, durant l’examen, malgré l’administration d’oxygène par masque facial et de plusieurs doses de salbutamol, elle devient progressivement léthargique. Les ambulanciers l’amènent donc à l’urgence, avec un diagnostic provisoire de croup, basé sur sa présentation clinique initiale et son déclin clinique rapide dans la salle d’examen. À l’urgence, les résultats des analyses de sang demandées en raison de son niveau réduit de conscience révèlent une grave hyperglycémie, et elle est traitée en conséquence selon le protocole pour une DKA pédiatrique. Elle est admise à l’hôpital sous un nouveau diagnostic de DST1, et une consultation est demandée pour une prise en charge continue du diabète.
Diagnostic différentiel
Il y a de nombreux diagnostics différentiels pour la dyspnée de Kussmaul. Dans le contexte du DST1, la dyspnée de Kussmaul résulte de l’acidose métabolique. Un diagnostic différentiel ciblé, approprié à la population pédiatrique, devrait envisager des troubles liés à d’autres systèmes (Encadré 1).
Diagnostics différentiels pour la dyspnée de Kussmaul chez les jeunes enfants
Cardiaques
Insuffisance cardiaque
Choc cardiogénique
Respiratoires
Infection — pneumonie, croup, bronchiolite
Asthme non contrôlé
Obstruction des voies aériennes supérieures (p. ex. corps étranger)
Métaboliques et endocriniens
Acidose — méthanol, urémie, acidocétose diabétique, propylène glycol, paraldéhyde, fer, isoniazide, acidose lactique, éthylène glycol, salicylates (p. ex. alcool, poisons ingérés, acide acétylsalicylique) (acronyme mnémotechnique en anglais : MUDPILES)
Insuffisance rénale
Erreurs innées du métabolisme
Hyperthyroïdisme
Neurologiques et psychologiques
Pathologie intracrânienne avec pression intracrânienne accrue (p. ex. lésion occupant de l’espace, hémorragie, œdème cérébral)
Traumatisme crânien substantiel
Anxiété
Autre
Sepsis
Discussion
Le diabète sucré de type 1 est un problème chronique courant chez l’enfant. L’âge de l’apparition du DST1 durant l’enfance a une répartition bimodale : l’une atteint son sommet entre 4 et 6 ans, et un deuxième sommet se situe au début de la puberté (10 à 14 ans)1. Aux États-Unis, l’incidence du DST1 chez les enfants de race blanche non hispanique s’élève à 23,6 par 100 000 par année2. Dans les provinces canadiennes, l’incidence varie de 36 par 100 000 à Terre-Neuve-et-Labrador3 à 15 par 100 000 au Québec4. Un facteur de stress (comme une infection) ajouté à un mauvais contrôle glycémique peut déclencher une DKA.
La fréquence rapportée de la DKA comme étant la présentation initiale du DST1 durant l’enfance varie de 15 à 67 %, selon diverses études5. Mais, fait à considérer avant tout, plus de la moitié des enfants de moins de 3 ans souffrent d’une DKA comme première présentation de leur DST15. Parmi les symptômes d’une DKA figurent la polyurie et la polydipsie, une perte pondérale, de la fatigue, une altération de l’état mental et la détresse respiratoire (p. ex. dyspnée de Kussmaul)6. Bien que la polyurie et la polydipsie soient fréquentes, la dyspnée de Kussmaul se produit dans seulement 28 % des cas de DKA7. En plus des facteurs de risque physiologiques, il existe d’autres facteurs de risque de développer une DKA, notamment le sexe féminin, l’absence de prédispositions familiales, l’ethnie afro-américaine, un plus jeune âge (< 5 ans) et d’autres facteurs sociaux, dont une situation socioéconomique défavorable, un accès limité aux services médicaux et des circonstances familiales instables5,8,9.
Une étude de cas de 2016 faisait état d’un nourrisson de 7 semaines souffrant d’une DKA qui s’était présenté à l’urgence avec de la fièvre, un état mental altéré et une détresse respiratoire. Dans cette situation, les analyses comprenaient une lecture de la glycémie par échantillon capillaire et des investigations pour trouver les sources de l’infection19. Cette étude de cas est conforme aux rapports selon lesquels une maladie fébrile précédente est observée dans 40 % des cas de DKA6.
Conclusion
Notre jeune patiente avait un prodrome viral et des symptômes antérieurs apparentés au croup; toutefois, les constatations à l’examen physique ne concordaient pas avec l’anamnèse médicale. Ce cas met en évidence la nécessité pour les médecins d’être vigilants quand les symptômes antérieurs et l’examen clinique ne semblent pas concorder. Durant la saison du rhume et de la grippe, les médecins de famille pourraient être tentés de poser un diagnostic précoce d’infection respiratoire chez les patients qui présentent des symptômes respiratoires. Des questions importantes, et pourtant simples, visant à savoir s’il y a eu polyurie et polydipsie chez les jeunes enfants qui consultent pour des problèmes respiratoires aident à savoir si la DKA est un diagnostic à considérer. Enfin, envisagez de faire une mesure de la glycémie par prélèvement capillaire au point de service chez les enfants qui souffrent de détresse respiratoire et ont un niveau de conscience réduit pour détecter une éventuelle DKA. Il est aussi possible de mesurer les cétones au moyen d’une analyse d’urine par bandelettes ou des dispositifs capillaires au point de service pour confirmer le diagnostic.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ L’acidocétose diabétique (DKA) est une présentation courante du diabète sucré de type 1 chez les enfants de moins de 3 ans.
▸ La dyspnée de Kussmaul, caractérisée par une tachypnée et une profondeur accrue de la respiration en réaction à une acidose métabolique, est une présentation initiale moins commune de la DKA.
▸ Durant la saison du rhume et de la grippe, la DKA peut être plus difficile à identifier parce que la dyspnée de Kussmaul pourrait être prise à tort pour un signe d’infection respiratoire.
▸ Une évaluation de la polyurie et de la polydipsie, de même qu’une mesure au point de service du glucose et des cétones chez les jeunes enfants qui présentent des symptômes respiratoires pourraient aider les médecins de famille à envisager la DKA et un diabète sucré de type 1 comme diagnostic possible.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2020 issue on page 425.
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