
Quand j’ai commencé ma carrière en médecine familiale universitaire à l’Hôpital Women’s College à Toronto (Ontario), en 1994, je pratiquais la médecine familiale complète, sauf les accouchements.
Il y avait alors une unité de 10 lits pour patients hospitalisés en pratique familiale au 10e étage de l’hôpital. L’unité comptait environ une douzaine de médecins de famille et nos résidents en médecine familiale. Chaque mois, 3 membres du personnel et les résidents en stage en médecine familiale s’occupaient tour à tour de nos patients les plus malades et de ceux de nos collègues médecins de famille affiliés à l’hôpital. Les demandes d’admission nous venaient de notre petit service d’urgence qui comptait aussi principalement des médecins de famille. Les résidents étaient les premiers répondants au service des urgences et à l’unité d’hospitalisation, mais ils étaient aussi sur appel en obstétrique et pour répondre à nos patients dans la communauté. Nous faisions ensemble la tournée des patients de 7 h 30 à 9 h les lundis, mercredis et vendredis, et les personnes de garde la faisaient la fin de semaine. Il arrivait souvent que nous refassions la tournée auprès des plus malades à la fin de nos cliniques. L’enseignement au chevet représentait une importante partie de notre travail.
La plupart de nos patients admis étaient plus âgés et souffraient de comorbidités, d’isolement social et de fragilité. Heureusement, nous avions accès à des consultations par nos collègues en spécialités médicales et chirurgicales, de même qu’à une équipe d’autres professionnels de la santé, notamment en travail social, en ergothérapie, en physiothérapie et en diététique, et à une infirmière clinicienne spécialisée en gériatrie. La planification du congé pour les patients plus complexes commençait le jour suivant leur admission, avec la contribution et le soutien de cette équipe expérimentée élargie. Nos résultats se comparaient favorablement à ceux de nos collègues internistes.
Pour le personnel et les résidents en médecine familiale, le travail était exigeant sur les plans physique, mental et, parfois, psychologique. Mais, il était aussi profondément satisfaisant. Toutefois, la plus grande source de satisfaction venait du sentiment de travailler ensemble en équipe, à se soutenir et à s’entraider, et d’un sentiment encore plus profond de connexion et de camaraderie avec nos collègues spécialistes.
L’unité a fermé au début des années 2000, à la suite de la fusion de notre hôpital avec un grand centre hospitalier universitaire non habitué aux médecins de famille soignant leurs propres patients à l’hôpital. Ce sentiment de connectivité et d’appartenance à une équipe très efficace a disparu.
Le 8 avril 2020, le Women’s College (où je pratique une médecine familiale moins complète) a instauré une clinique novatrice de soins virtuels aux patients atteints de l’infection au coronavirus 2019 (COVID-19) (https://covidcareathome.ca). L’un des premiers défis à relever était de pourvoir les postes. On en savait très peu alors sur l’évolution naturelle du virus, et les premières séries de cas publiées en Chine1,2 portaient sur le milieu hospitalier où il y avait des taux élevés de maladies sévères et de décès. L’une des grandes préoccupations était la façon d’identifier en temps opportun les patients qui allaient progresser vers une détresse respiratoire exigeant des soins urgents, et ce, sans bons outils de prédiction3.
Malgré ces incertitudes, le programme a été développé à partir d’un modèle de surveillance à distance en soins primaires4. Dans le redéploiement du personnel, les postes du programme ont été comblés par 6 médecins de famille : 5 avec lesquels j’avais travaillé à notre ancienne unité et pendant près de 30 ans dans notre clinique de pratique familiale, et moi-même. La participation des résidents seniors en médecine familiale, d’une relève fournie par 2 internistes, d’un pneumologue et de 2 psychiatres, de même que d’une équipe de professionnels de la santé, dont des infirmières, des infirmières praticiennes et des travailleuses sociales, a été essentielle aux activités du programme. Étant donné les incertitudes cliniques et le manque de connaissances sur cette nouvelle maladie, les premières semaines comportaient des rondes virtuelles auprès des patients 2 fois par jour, au début et à la fin de la journée, des conférences hebdomadaires sur les cas pour discuter et apprendre des patients les plus complexes, ainsi que l’intégration d’une évaluation clinique, pédagogique et programmatique.
Les quelque 150 patients soignés jusqu’ici ont été recommandés par le centre d’évaluation de l’hôpital et étaient positifs à la COVID-19. Plusieurs avaient des facteurs de risques d’issues défavorables, mais peu ont été envoyés à l’hôpital, et 1 seul a été admis brièvement pour observation et soutien. Aucun n’est décédé. Au moment de leur congé du programme, la majorité des patients s’étaient presque complètement rétablis.
Pour mes collègues et moi-même, malgré le travail exigeant sur les plans physique, mental et, parfois, psychologique, ce fut un cas d’épuisement professionnel, interrompu5. Nous avons redécouvert la joie de travailler ensemble à se soutenir, s’aider et apprendre les uns des autres face à une pandémie destructive, mettant à profit nos années d’expérience comme médecins de famille, répondant aux besoins communautaires et utilisant nos capacités d’adaptation.
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