
Sortirons-nous sains et saufs de cette pandémie?
En janvier 1998, une terrible tempête s’est abattue sur le sud-est du pays, frappant de l’Est ontarien jusqu’au Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Durant 2 jours, le verglas s’est agrippé aux branches et aux fils électriques, qui ont cédé sous le poids de la glace. Ottawa, Montréal et les environs ont été particulièrement touchés. Durant des semaines, des millions de personnes se sont retrouvées sans électricité. En plein hiver!
Ceux qui ont connu l’épisode s’en souviennent. Chacun faisait de son mieux pour s’en sortir, essayant de trouver une façon de se chauffer, cherchant un autre abri, se demandant comment s’alimenter, se laver et satisfaire leurs besoins de base. Ceux qui ont connu l’épisode s’en souviennent. C’était la course folle pour dénicher une génératrice qui avait déjà trouvé preneur. Montréal a frôlé la catastrophe lorsque le complexe de traitement des eaux potables s’est trouvé à la merci d’une seule et dernière ligne électrique. À cette époque, je demeurais à Notre-Dame-de-Grâce, quartier réputé pour ses beaux grands arbres. La ville avait des allures cauchemardesques. La nuit, certains quartiers étaient plongés dans une noirceur lugubre alors que d’autres épargnés par les pannes, scintillaient de tout feu. Cela a duré 3 semaines. Et puis, un soir, le courant est revenu. Comme ça! Comme par magie! Comme si ça n’avait été qu’un long cauchemar. Enfin! Alléluia! Ceux qui ont vécu des catastrophes similaires, ceux qui ont côtoyé les feux de forêts à Fort McMurray ou connus les inondations printanières savent de quoi il en ressort. On n’oublie jamais ces temps mauvais.
Nous n’oublierons jamais la pandémie de la COVID-19.
À la différence des catastrophes naturelles, la pandémie se distingue par l’ampleur des dégâts, mais surtout, par l’incertitude qui plane et qui persiste. Contrairement aux catastrophes qui passent : un jour l’eau cesse de monter, le feu finit par se calmer et l’électricité revient, avec la pandémie on a l’impression que cela ne finira jamais. Déjà qu’on nous annonce une deuxième vague et d’autres encore; déjà qu’aucune thérapie ne semble particulièrement efficace; déjà qu’on ignore s’il y aura éventuellement un vaccin. Comme si la menace était là, omniprésente, omnipuissante et, surtout, éternelle.
Pas surprenant que cette pandémie nous fasse tellement peur.
Cette peur nous a amenés à prendre des mesures draconiennes. Tout a été mis en œuvre pour éviter la propagation du virus. Des contrées entières ont été confinées. Des pays mis sur pause. On a interdit les rassemblements. On a empêché les personnes âgées de sortir de chez elles. On a défendu aux aidants naturels de soutenir leurs parents ou leurs proches. On a encabané les enfants, éloigné les amis, cloîtré les amoureux ne vivant pas sous le même toit, interdit aux grands-parents de s’occuper de leurs petitsenfants. Des familles entières ont été séparées et cloisonnées. Interdiction de se voir, de se parler, de se toucher.
Avec quels résultats?
Au Québec, la situation a été terrible. Près de 60 000 personnes contaminées et près de 6000 décès, au moment d’écrire ces lignes. L’un des pires bilans à l’échelle planétaire. Et ce, même si les mesures de confinement et de distanciation ont été généralement observées. La maladie a particulièrement touché les personnes âgées, surtout celles demeurant en résidence de soins de longue durée. Des personnes grabataires, laissées à elles-mêmes, abandonnées, déshydratées, affamées, retrouvées baignant dans leurs excréments. Des préposés aux bénéficiaires mal protégés, trimbalés par des agences de placement peu scrupuleuses de CHSLD en CHSLD, de zone rouge en zone froide, sans égards. Des préposés débordés, apeurés, mal protégés, quittant le bateau en perdition. Des politiciens sur la sellette qui font des points de presse quotidiens, qui ne savent plus où donner de la tête, qui font appel à l’armée comme si nous étions en temps de guerre ou aux médecins spécialistes pour qu’ils remplacent les préposés aux bénéficiaires. Et partout, les médias et les réseaux sociaux, omniprésents, qui inondent les ondes de mauvaises nouvelles.
Et surtout la peur.
La peur des lieux, du métro, des autobus, des épiceries. La peur des parcs, des bancs, de tout ce qui a été touché par autrui.
La peur des autres. Ceux que l’on croise. Ceux que l’on ne connaît pas. Ceux qui ne portent pas de masque. Ceux qui sont asymptomatiques — on ne sait jamais, ils sont peut-être contagieux même s’ils ne le savent pas.
La peur de l’étranger, mais aussi des proches — les cousins, les frères et sœurs, les enfants, les conjoints que l’on n’a pas vus depuis longtemps. La peur des autres. La peur d’ouvrir les bras. De toucher. De serrer la main. D’embrasser. D’aimer. Tout cela n’est pas normal.
La crise du verglas de 1998 a été bien peu de chose comparée à cette pandémie. Cette dernière laissera des séquelles autrement plus grandes que celles engendrées par l’infection. Peut-être sortirons-nous saufs de cette pandémie, mais pas nécessairement sains.
Autant rêver mieux (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1714906/artistes-diversite-rever-mieux-daniel-belanger)?
Footnotes
This article is also in English on page 546.
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