Maintenant plus que jamais, les récits revêtent de l’importance, autant ceux des patients que ceux des médecins de famille. En cette période d’instabilité, il est crucial d’être délibérément à l’écoute des récits en médecine familiale.
En réponse à la pandémie d’infection au coronavirus 2019 (COVID-19), les cliniques de médecine familiale ont rapidement réagi. Les cliniques ont dû limiter les visites en personne pour protéger la santé des patients, du personnel, des communautés et des médecins euxmêmes. Sans source garantie d’approvisionnement en équipement de protection personnelle et compte tenu de la nécessité de contrôler avec diligence les va-et-vient et le nettoyage dans la clinique, les visites sur place sont devenues l’exception. L’intendance des ressources s’applique maintenant aux visites en clinique mêmes, en raison des risques que posent les contacts physiques. Les soins primaires ont fait une transition vers les soins virtuels, surtout par téléphone1,2. Avec ce médium, il n’y a que les mots.
Récits des patients
Il est bien établi que plus de 80 % des diagnostics peuvent être posés chez des patients en consultation externe en se fiant seulement à l’anamnèse3. En l’absence des manœuvres de l’examen physique et de l’idée générale que permet le fait de poser les yeux sur la personne, il importe de permettre au patient de faire la narration de son histoire. La recherche démontre que l’écoute prolongée, avant que les médecins commencent le rapide feu roulant de questions, permet de faire ressortir les points positifs et négatifs les plus pertinents4. Combiné à l’opinion forgée par la relation au fil du temps, le récit du patient révèle les sentiments, les idées, les fonctions et les attentes que nous cherchons à comprendre afin d’orienter la prise en charge.
Ouverture à l’endroit de la saine intendance des ressources
De nombreux collègues, dont le Dr Peter Kuling dans l’article connexe publié dans cette édition du Médecin de famille canadien (page 582)5, ont observé que certains patients sont de plus en plus ouverts à l’idée que plus n’équivaut pas toujours à mieux. Lorsqu’ils perçoivent que l’équation risques-bienfaits penche en faveur des risques, certains patients décident de refuser ou de reporter certains tests ou procédures. Les professionnels pouvaient juger inutiles certaines de ces pratiques avant la pandémie, mais les discussions à cet égard semblaient épineuses, voire futiles.
Maintenant, l’occasion est idéale pour discuter de l’utilité des mammographies de dépistage chez les femmes de 45 ans à risque moyen, de la nécessité de subir annuellement une batterie de tests, ou encore des effets de la mesure du taux de vitamine D chez le Canadien moyen. Les soins préventifs et les dépistages étant essentiellement à l’arrêt complet, nous pourrions trouver le temps de faire l’essai de nouvelles approches dans les conversations concernant « les choix faits avec soin ».
Récits des professionnels
La pandémie nous a donné du temps pour réfléchir. Il y a eu les premières semaines de halte, d’anxiété et d’incertitude. Maintenant, certaines parties de la pratique redémarrent lentement, de même que les appels plus nombreux des patients qui ont remis à plus tard ou ignoré leurs besoins et leurs questions en soins primaires.
La pandémie a aussi offert à la communauté de la médecine familiale l’occasion de procéder à une autoréflexion. Qui sommes-nous? Dans un contexte plus large, qu’est-ce qui nous importe à nous, à nos familles et à nos communautés? Quels domaines de la médecine familiale avons-nous exercés avec soin? À la fin de cette crise, qu’allons-nous préserver et qu’allons-nous abandonner? Dans la pratique et dans nos vies, avons-nous choisi avec soin?
Peut-être nous imaginons-nous la forme que prendra la pratique après la pandémie. Nous pourrions diminuer nos heures de clinique et ajouter une demi-journée ou 2 de médecine virtuelle à partir de notre domicile. Les examens médicaux périodiques pourraient être structurés de manière complètement différente. Après avoir fait un examen virtuel de l’anamnèse sociale, des antécédents familiaux, des inquiétudes actuelles et de la médication, on pourrait donner aux patients un rendez-vous de 15 minutes à la clinique pour mesurer leur pression artérielle, leur poids et leur taille, administrer des vaccins et, au besoin, faire subir un examen physique ciblé. Bien entendu, cela présuppose que la pratique virtuelle continuera d’être rémunérée.
Choisir avec soin dans
Le Médecin de famille canadien
Depuis 2016, Le Médecin de famille canadien offre des pages où les professionnels des soins primaires de toutes les régions du pays peuvent exprimer leurs réflexions sur les choix judicieux. La série Choisir avec soin Canada lance maintenant sa troisième édition. à plusieurs égards, la série reflète l’évolution et la maturité de la campagne Choisir avec soin. D’abord conçue comme un exercice de sensibilisation, elle s’est maintenant élargie pour mettre l’accent sur la mise en œuvre durable dans la pratique des recommandations de la campagne. La série, qui comporte des entrevues avec des médecins de famille de tous les coins du pays, a initialement mis en évidence des recommandations précises et des façons pour les cliniciens de les mettre en application. Les thèmes subséquents portaient surtout sur la prise de décisions partagée et sur les façons dont les conversations avec les patients pouvaient éviter des tests et des traitements inutiles. La série de 2020–2021 se concentrera sur les récits tirés de la pratique; elle s’intitule Choisir nos mots avec soin. Cette itération sera dirigée par un médecin de famille qui en est à ses premiers 5 ans de pratique, le Dr Aaron Jattan, qui apportera un regard neuf sur les défis, les possibilités et les satisfactions de l’intégration des approches de médecine narrative dans l’exercice. La série continue de porter sur l’amplification de la voix des médecins de famille d’un bout à l’autre du pays.
Choisir nos mots avec soin
L’initiative Choisir avec soin est essentiellement axée sur les conversations au sujet de ce qui importe aux patients. Il peut être difficile de changer notre approche et de ne plus simplement prescrire des tests et des traitements, une habitude qui répond souvent à notre propre impulsion de faire quelque chose plutôt que ne rien faire. Il peut être tout aussi difficile de répondre aux attentes de services que nous percevons chez les patients.
Notre nouvelle série sera un espace où les professionnels des soins primaires pourront réfléchir à des conversations cliniques particulières qui sont restées gravées dans leur mémoire et qui ont servi de catalyseur pour l’élaboration d’une approche renouvelée à l’endroit de la pratique. Dans notre évolution en tant que personnes et professionnels des soins primaires, certaines expériences donnent à réfléchir, incitent à inventer et à mettre en pratique de nouvelles façons d’être. Pour bon nombre, la pandémie compte parmi ces expériences.
Nos patients continuent de se fier à nous pour obtenir des renseignements, pour être rassurés et stabilisés, au moment où nous naviguons dans des eaux inconnues. Dans ce changement séismique se trouve la possibilité d’utiliser l’écoute assidue et d’avoir des conversations plus approfondies pour prodiguer nos soins aux patients.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2020 issue on page 556.
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